08/03/2011
Diffamation
« La femme, on la di-ffame ». Disait Lacan avec son humour si particulier. Pour peu qu’on le creuse un peu, ce calembour homophonique laisse entrevoir au moins deux pistes de réflexion.
La première, évidemment, est littérale. Avec ou sans la diérèse, on la diffame, on dit du mal d’elle, et cela depuis si longtemps que la femme – qui n’existe pas, comme on le sait – a fini par en tirer une fierté bien enviable. Cela ajoute même à la panoplie de ses charmes mythiques.
La seconde est plus subtile et s’adresse peut-être aux femmes incarnées. Depuis au moins aussi longtemps, on la « dit femme », on la nomme, on la désigne de l’extérieur. Autrement dit, elle n’a pas sa loi – son autonomie – en elle-même. Ce sont les autres – donc les hommes – qui détiennent sa vérité.
Cette problématique peut sembler dépassée. S’arracher à cette tutelle, assumer sa parole et son savoir spécifique, se reconquérir en somme : ce furent là les grandes tâches du mouvement féministe tout au long du XXeme siècle. Et les femmes d’aujourd’hui, de plus en plus présentes sur la scène sociale, lui en sont toutes redevables. Néanmoins, cette évolution ne concerne guère que les sociétés occidentales. Une minorité, par rapport au reste du monde, où la lutte pour l’intégration et la tolérance est loin d’être un combat d’arrière-garde.
Jacques LUCCHESI
12:39 Publié dans numéro 20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : femme, lacan, diérèse
01/03/2011
Urgences
On ne se rend aux urgences que dans l’angoisse et dans l’urgence…La nuit, souvent, car on dirait que tous les maux qui accablent l’humanité se précipitent à la tombée du jour. Derrière la porte d’entrée commence le grand ballet de la misère. Les plus à plaindre ne sont pas ceux qui accompagnent un parent ou qui attendent nerveusement le diagnostic médical. La plupart sont tassés sur des sièges durs, mais quelques-uns vont et viennent, fauves en cage sous la lumière blafarde des néons, comme s’ils cherchaient à marquer de leurs pas le carrelage grisâtre. Cigarette que l’on va fumer, malgré le froid, sur le seuil. Ça parle fort, sans discrétion, entre parents. Un coup d’œil suffit pour comprendre qu’il n’y a que des pauvres, ici. Et rares sont ceux qui peuvent échapper à la morosité ambiante par la lecture.
Encore n’est-ce là que le premier cercle, l’antichambre de la souffrance. Il y a d’autres portes au bout du couloir, des portes qui ne s’ouvrent pas que d’une simple poussée de main, des portes qui ne laissent passer qu’une personne à la fois. Mieux vaudrait ne jamais connaître le spectacle qu’elles réservent aux entrants. Organiques ou mécaniques, toutes les formes d’accidents trouvent ici leur aboutissement. Lits médicaux mal alignés où somnolent, transfusés et perfusés, des malheureux de tout âge, de tout sexe ; où les râles et les éruptions de toux alternent avec les plaintes des patients devenus, au fil des heures trop lentes, impatients. Contre toute attente, la malchance a aussi ses jours. Elle est plus virulente les jours de fête et les week-ends, comme si les intervalles de liberté et d’enthousiasme attiraient sournoisement l’adversité et la douleur.
Et puis, tout au fond, il y a les blocs où l’on procède aux premiers soins. Entrent et sortent sans cesse des infirmiers, des médecins, affairés au contrôle de ces petits écrans où s’affichent les données biologiques de base. Par quels ressorts internes résistent-ils à la fatigue ? Juste à côté, dans la salle du personnel, montent parfois des exclamations joyeuses et des rires, sas nécessaire de décompression au milieu de tant de naufrages. L’inégalité des forces en présence est flagrante : la politique de réduction des effectifs est aussi passée par là. Comment faire face à tant de demandes ? Comment accorder à chacun cette dose minimale d’humanité qu’il attend comme un véritable tranquillisant? Leur jeunesse et leur beauté semblent vouées à une usure accélérée. Combien de temps tiendront-ils encore dans ces officines du mauvais sort ?
Jacques LUCCHESI
11:46 Publié dans numéro 20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : urgences, angoisse, lits médicaux
22/02/2011
Le syndrome tunisien
La Tunisie aujourd’hui a fait florès. Comment ne pas applaudir, vu l’état de la démocratie dans le Maghreb et sur tout le pourtour arabe méditerranéen. Comment ne pas s’en féliciter ? Mais aussi, surtout, comment ne pas être inquiet de l’embrasement qui a gagné Bahreïn, le Yémen, l’Algérie et la Lybie. Les Américains comme les Européens, débordés et dépassés par les événements, ne savent trop s’il faut en rire ou en pleurer. En Egypte, par exemple, l’armée semble avoir pris le relais de Moubarak. Mais pour quelle issue : assurer la transition ou mettre main basse sur le pouvoir ? On sait qu’en Egypte l’armée tient les rênes du pouvoir depuis des lustres. Les vieux démons ont hélas la vie dure. L’armée reste l’armée. La révolution égyptienne ne risque-t-elle pas d’être volée au peuple ? Des prémices nous le font penser mais prions Allah (pour ceux qui y croient) que cette transition ait vraiment lieu ! A Bahreïn comme au Yémen, on nous dit que la violence est à son comble et qu’il y a des morts. Et l’on s’en étonne ! Nos commentateurs croient-ils qu’une révolution se fait tranquillement de la même manière qu’à une époque la guerre en Irak se disait chirurgicale ? Dans la foulée, deux autres pays s’éveillent pour goûter au vent de liberté : l’Algérie et la Lybie. On peut craindre le pire dans ces deux derniers pays : une répression sanglante. Kadhafi sera impitoyable, s’il ne l’est déjà. Le peu que l’on sait déjà sur ce qui se passe à Bengazi et Tripoli donne la mesure hélas de massacres à venir. A Alger, même inquiétude. Bouteflika n’est pas un tendre, loin de là ! Dès lors, comment nos fluctuantes démocraties peuvent-elles accompagner ces lames de fond sans être tout aussitôt taxées d’ingérence scandaleuse ? Et d’ailleurs, le peut-on ? Certes, l’Occident croit dur comme fer avoir déposé une sorte de brevet ancien sur le vocable révolution, mais a-t-il les moyens d’infléchir le cours des choses ? Ca me semble difficile. Ce qu’on sait, les Américains en tête, c’est que cette partie du monde est en train de basculer sans qu’on sache la configuration nouvelle qu’elle prendra. Les Islamistes attendent-ils au coin du bois ? D’autres dictatures ont-elles des chances de s’imposer ? Et quelles seront les incidences sur le conflit israélo-palestinien ? Et le Canal de Suez où transitent nos tankers ? Et le pétrole ? Voilà bien des soucis, sujets de préoccupation en perspective. Quel historien américain avait prophétisé incongrument la fin de l’Histoire ?
Yves CARCHON
15:37 Publié dans numéro 20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tunisie, lybie, khadafi, transition