16/12/2010
FAUTE DE GOUT
En cette fin d’année 2010, le prix Nobel de la Paix a été décerné à un citoyen chinois. Liu Xiaobo est son nom. Je salue son courage, même si je sais qu’il ne lira jamais ces lignes. Quand j’écris, avec le ton placide du chroniqueur vivant paisiblement dans son pays, qu’on lui a décerné ce prix Nobel, c’est bien évidemment un euphémisme. On n’a pu lui remettre ce prix, ni même l’approcher ou le féliciter en lui serrant la main. Ah bon ? Etait-il donc dans l’incapacité de se mouvoir ? Cloué pour cause grave dans un lit d’hôpital ? Non : seulement incarcéré pour dissidence ! Ah, voilà qui fait bien désordre ! Quelle idée aussi d’attribuer un prix Nobel de la Paix à un type sous les verrous ! A-t-on idée des tracasseries administratives qu’on encourt ? Et pour le protocole pénitentiaire, l’impétrant doit-il garder ses menottes aux mains et bâillon sur la bouche ? Pour le coup, c’est un sale tour que l’on joue aux dirigeants chinois qui ont pris ombrage de l’initiative. C’est ce qu’on appelle un coup de pub intempestif, voire un camouflet désobligeant. Une faute de goût peut-être, contraire à l’art de survivre en bonne société. Les Chinois l’ont fait entendre à l’Occident avec la suave fermeté qui est la leur. C’est vrai que nous autres nous ne respectons rien : ni les convenances, ni le savoir-vivre, encore moins ce qui devrait pourtant être aujourd’hui le réflexe de la planète : ménager la nouvelle donne économique chinoise. Ah, décidément, nous voilà bien grossiers ! On ne soufflète pas la frappe économique chinoise avec un vulgaire Nobel. Gare à nos monnaies ! La vengeance se mange froide, même en maniant la baguette. En attendant, Liu n’en finit pas de braver ce tigre de papier qu’est l’oligarchie chinoise. D’une certaine façon, son prix le protège. On peut espérer bien plus : que ce prix Nobel contribue bien vite à sa libération, et surtout à sa réhabilitation qui équivaudrait à un avènement heureux pour les Chinois : la démocratie en Chine.
Yves CARCHON
19:29 Publié dans numéro 6 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : prix nobel, chine, démocratie
14/12/2010
Wikileaks : la contre-attaque
L’affaire Wikileaks – qui est loin d’être terminée – pose avec une singulière insistance quelques problèmes éthiques que nous voudrions successivement aborder ici.
Il y a, tout d’abord, la divulgation de documents classés confidentiels. Est-ce que Julian Assange, au nom de la liberté d’expression et de la transparence démocratique, pouvait mettre en ligne 250 000 télégrammes des services diplomatiques américains sans miner un peu le principe fondamental dont il se réclame ? Peut-on tout dire sur le Net, sans sélection ni auto-censure ? La réponse relève, évidemment, de la responsabilité individuelle. Car ces télégrammes, on le sait bien, proviennent de « fuites » et, sans être des révélations particulièrement fracassantes, ils égratignent volontiers quelques dirigeants politiques – dont Nicolas Sarkozy, taxé d’impulsivité et d’autoritarisme. Autrement dit, Assange savait qu’il provoquerait des remous et une rapide réaction des institutions concernées. Par contre, il n’avait sans doute pas prévue l’intensité de celle-ci. A-t-on jamais vu une affaire de coucherie estivale justifier un mandat d’arrêt international ? Non, les USA n’ont pas apprécié le tour qu’il leur a joué et, de manière indirecte, ils le lui ont fait durement payer. Ce faisant, ils se sont mis en porte-à-faux avec leur propre constitution qui garantit sans coup férir la liberté de la presse - mais Assange est-il, à leurs yeux, un journaliste ?-. La réaction, pour le moins inattendue, d’un Vladimir Poutine plaidant la cause du trublion australien maintenant en prison, confirme, si besoin était, que les vieilles oppositions sont toujours vivaces entre la Russie et les Etats-Unis. Pas de surprise, en revanche, du côté d’Eric Besson, actuel ministre de l’économie numérique, déclarant Wikileaks persona non grata dans l’espace français.
Mais ces débats sont battus en brèche par le troisième acte de ce drame contemporain, à savoir l’irruption des partisans de Julian Assange sur la scène médiatique. Réagissant aussitôt à l’emprisonnement de ce dernier, ils ont littéralement inondés de pseudo-messages les sites internet de sociétés financières comme Visa ou Master Card jusqu’à les rendre inutilisables. Rappelons que celles-ci ont tout de même fermés les comptes d’Assange, rendant impossibles les moyens financiers de sa défense. Oui, nous sommes entrés dans l’ère de la guérilla numérique et si nous en doutions encore, ces justiciers de l’ombre nous l’ont démontré magistralement. Sous l’angle éthique, cette attaque de groupes parfaitement rodés aux stratégies informatiques ne peut pas être condamnée. Elle dit clairement l’importance des contre-pouvoirs dans un monde dominé par des coalitions féroces d’intérêts économiques, où des états, même sensément démocratiques, considèrent de plus en plus le Web comme une boite de Pandore qu’ils voudraient bien mettre sous leur coupe. Internet restera t’il longtemps encore cet espace de liberté sans précédent, où chacun peut afficher et faire entendre ses particularités ? Une nouvelle forme de résistance s’organise sous nos yeux. Nous sommes tous concernés par ce combat.
Bruno DA CAPO
13:56 Publié dans numéro 6 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : assange, wikileaks, mastercard
12/12/2010
DE LA VERSATILITE DES PEUPLES
Qu’on se souvienne : il y a deux ans, Obama était élu triomphalement président des Etats Unis. Il était le premier Noir métis dans l’histoire américaine à occuper la fonction suprême. La liesse était à son comble. On ne tarissait pas d’éloges sur la démocratie américaine. Deux ans plus tard, à la suite des élections pour le Congrès, Obama est descendu d’un coup de son piédestal. Du pinacle où les Américains l’avaient hissé, le voilà voué aux gémonies. Les Républicains l’ont emporté ; ils vont donc chercher à tout bloquer. Et peut-être revenir sur des réformes, dont celle de la Sécurité sociale arrachée de haute lutte par le camp démocrate. Pour Obama, triste constat à mi-mandat. Ses marges de manœuvre vont devenir étroites. Au plan international, il n’aura plus tout à fait les coudées franches. Et l’on peut penser que la diplomatie américaine peut se durcir dangereusement... D’une certaine manière et dans une autre mesure, Sarkozy affronte le même problème qu’Obama. Porté par une bonne majorité, le voilà impopulaire en l’espace de deux ans. Mouvements sociaux, grèves, déception fondée d’une majorité de nos concitoyens, révolte qui gronde, tout laisse penser que Sarkozy a quelque part raté le coche. J’en parle d’ailleurs tranquillement puisque je n’ai pas voté pour lui. Quoique les situations soient différentes, on ne peut néanmoins que souligner l’inconstance des peuples américain et français. Je savais déjà que gouverner la France n’était pas une chose aisée. Mais je vois que les Américains s’y mettent aussi ! Est-ce à dire que l’inconstance est l’apanage des peuples ? Oui, sans doute. Pourtant, il m’apparaît qu’il n’y a pas meilleur exemple pour la santé de nos démocraties que de pouvoir dire oui un jour et non un autre jour. Les peuples le savent. Ils en usent, en abusent : c’est à eux seuls qu’il appartient de redistribuer les cartes.
Yves Carchon
Yves Carchon est écrivain. Derniers titres parus, "Conversations à deux" (2009), "Un fiéffé mentor" (2010).On peut également consulter son site internet: theatre-yvescarchon.e-monsite.com
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