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01/03/2011

Urgences




 On ne se rend aux urgences que dans l’angoisse et dans l’urgence…La nuit, souvent, car on dirait que tous les maux qui accablent l’humanité se précipitent à la tombée du jour. Derrière la porte d’entrée commence le grand ballet de la misère. Les plus à plaindre ne sont pas ceux qui accompagnent un parent ou qui attendent nerveusement le diagnostic médical. La plupart sont tassés sur des sièges durs, mais quelques-uns vont et viennent, fauves en cage sous la lumière blafarde des néons, comme s’ils cherchaient à marquer de leurs pas le carrelage grisâtre. Cigarette que l’on va fumer, malgré le froid, sur le seuil. Ça parle fort, sans discrétion, entre parents. Un coup d’œil suffit pour comprendre qu’il n’y a que des pauvres, ici. Et rares sont ceux qui peuvent échapper à la morosité ambiante par la lecture.
Encore n’est-ce là que le premier cercle, l’antichambre de la souffrance. Il y a d’autres portes au bout du couloir, des portes qui ne s’ouvrent pas que d’une simple poussée de main, des portes qui ne laissent passer qu’une personne à la fois. Mieux vaudrait ne jamais connaître le spectacle qu’elles réservent aux entrants. Organiques ou mécaniques, toutes les formes d’accidents trouvent ici leur aboutissement. Lits médicaux mal alignés où somnolent, transfusés et perfusés, des malheureux de tout âge, de tout sexe ; où les râles et les éruptions de toux alternent avec les plaintes des patients devenus, au fil des heures trop lentes, impatients. Contre toute attente, la malchance a aussi ses jours. Elle est plus virulente les jours de fête et les week-ends, comme si les intervalles de liberté et d’enthousiasme attiraient sournoisement  l’adversité et la douleur.
Et puis, tout au fond, il y a les blocs où l’on procède aux premiers soins. Entrent et sortent sans cesse des infirmiers, des médecins, affairés au contrôle de ces petits écrans où s’affichent les données biologiques de base. Par quels ressorts internes résistent-ils à la fatigue ?  Juste à côté, dans la salle du personnel, montent parfois des exclamations joyeuses et des rires, sas nécessaire de décompression au milieu de tant de naufrages. L’inégalité des forces en présence est flagrante : la politique de réduction des effectifs est aussi passée par là. Comment faire face à tant de demandes ? Comment accorder à chacun cette dose minimale d’humanité qu’il attend comme un véritable tranquillisant? Leur jeunesse et leur beauté semblent vouées à une usure accélérée. Combien de temps tiendront-ils encore dans ces officines du mauvais sort ?


                                         Jacques LUCCHESI

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