07/02/2014
Djihadistes : retour en France
Depuis quelques mois, les retours forcés de Français partis se battre en Syrie se multiplient. Il y a ceux qui n’ont pas eu de chance et qui reviennent dans un cercueil, comme ces deux demi-frères normands en décembre dernier. D’autres, heureusement, rentrent sains et saufs, rapatriés en France via la Turquie et aussitôt mis en examen, comme les deux adolescents toulousains - 15 et 16 ans- la semaine dernière. Au total, on estime à environ 200 le nombre de jeunes Français qui se sont rendus en Syrie pour prêter main forte aux forces rebelles au régime Assad. Nombre qui s’élève à 500 lorsqu’on englobe les autres ressortissants européens qui sont allés là-bas, défendre la même cause.
Au demeurant ce désir d’aventure militaire, qui pousse un individu à s’engager par conviction dans des guerres extra-nationales, n’est pas nouveau. On ne saurait que rappeler le souvenir de ces Français qui, tel Malraux, apportèrent leur soutien total aux combattants républicains lors de la guerre civile espagnole (1936-1939). Plus loin dans le temps, il y a Lord Byron, sulfureux poète anglais qui prît le parti des Grecs contre les Turcs : il devait y laisser sa vie en1824. Autant d’attitudes généreuses et idéalistes mais pas nécessairement religieuses. Ce n’est pas exactement le cas en Syrie, puisqu’on sait que ces nouveaux volontaires, souvent convertis de fraîche date à l’Islam, sont pris en charge, dès leur arrivée, par des organisations proches d’Al Qaïda, avec l’endoctrinement que l’on imagine aisément. Et cela inquiète, bien sûr, les autorités de leurs pays d’origine : car, lorsque ce conflit aura enfin trouvé son issue, que feront-ils, de retour en France ou ailleurs, de ces terribles apprentissages ?
Le citoyen lambda regarde avec perplexité ces engagements extrémistes. A juste titre, car on peine à leur trouver des motivations rationnelles. Défendre son pays, quand celui-ci est attaqué, est une attitude noble, voire héroïque. Se rebeller contre un pouvoir tyrannique, aussi. C’est le cas pour tous ces Syriens qui se battent présentement pour un avenir plus libre et plus digne : faut-il dire qu’ils bénéficient toujours d’une importante sympathie de la part des Européens ? S’engager dans un conflit étranger non par conviction mais par intérêt est, certes, bien plus contestable mais relève encore d’une forme de rationalité. Notre époque n’a certes pas inventé les mercenaires, même si elle les a dotés d’une puissance nouvelle - comme pour les hommes de la société américaine Black Water, lors de la deuxième guerre d’Irak.
Rien de tout cela pour les apprentis djihadistes en Syrie. Leur motivation est principalement religieuse : défendre l’Islam – ou plutôt le Sunnisme – contre le clan Assad, de confession Alaouite, donc hérétique à leurs yeux. Est-ce que, cependant, leur foi est leur unique motivation ? Sûrement pas ! Car il faut aussi prendre en compte la pression que le contexte économique actuel fait peser sur bien des jeunes, eux qui ne voient guère de quoi leur avenir sera fait. Comme d’autres, candidats à l’exil professionnel, ils pensent trouver dans la voie guerrière une forme d’accomplissement. Il y a aussi – et surtout – ce goût pour l’épreuve physique qui taraude tant de jeunes mal socialisés. Ils nous reposent, à leur façon, le problème de la guerre, nous qui avons tout fait depuis sept décennies pour la museler en Europe. Cette aspiration au combat, non plus, n’est pas nouvelle. Et toutes les sociétés pré-modernes l’ont prise en compte, cherchant à la canaliser de la façon la plus intégratrice possible. C’est seulement l’appréhension de ce faisceau de causes qui peut éclairer ce juvénile volontariat pour la Syrie.
Bruno DA CAPO
14:42 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : assad, syrie, byron, black water
31/01/2014
Bruissements (31)
Rupture : après quinze jours de surenchères médiatiques, François Hollande et Valérie Trierweiler ont officiellement acté leur séparation. Ou plutôt, c’est le chef de l’état qui, le 25 janvier, a annoncé de façon très régalienne à la presse qu’il mettait fin à sa relation avec sa compagne officielle. Qu’en est-il, dans tout cela, de l’égalité hommes-femmes si chère à sa ministre et porte-parole du gouvernement ? Pas grand-chose, assurément. Ou l’on voit que celui qui a le pouvoir s’exempte facilement des règles qu’il fait édicter. Cette séparation remet aussi en question le statut hautement privilégié de « première dame » (et l’on sait que, par le passé, certaines ont eu leur part d’influence politique). Ce qui, pour un état toujours en recherche d’économie budgétaire, n’est pas une mauvaise chose.
Voyages : parfois le lexique nous offre l’occasion de nous réjouir pour pas cher. Après le voyage de Hollande en Hollande – pardon aux Pays-Bas -, nous avons eu droit, dans la même semaine, à la rencontre des deux François les plus en vue du moment. Car même à la tête d’un état censément laïque, il est toujours bon de se ménager les faveurs du pape, voire sa bénédiction. Sarkozy n’en doutait pas un instant, lui qui est revenu du Vatican avec le titre de chanoine. Rien de tel pour Hollande l’incroyant, même s’il confessait au successeur de Saint-Pierre être d’accord avec lui sur la question de la dignité humaine. Il n’est pas aussi certain que leurs avis convergent sur les Roms, l’avortement ou le mariage pour tous. Quant la politique économique, n’en parlons même pas. Au fait, qui est présentement le plus à gauche des deux ?
Cumul : au chapitre des – rares – promesses tenues par le chef de l’état, il y aura au moins la loi sur le non cumul des mandats. Celle-ci a été votée, mercredi 22 janvier, à l’Assemblée Nationale par 313 voix pour et 225 contre. Elle laisse quand même trois ans aux nombreux parlementaires cumulards pour s’y préparer, puisqu’elle ne prendra effet qu’en 2017. Il leur sera dès lors interdit d’exercer parallèlement un mandat exécutif local – à l’exception des fonctions de conseillers municipaux et régionaux. La même astreinte s’appliquera, par une loi complémentaire, aux députés européens. Si le but avoué est de favoriser le renouvellement du personnel politique, la cause est à chercher dans l’absentéisme persistant qu’entraine ce double statut, tant à Paris qu’à Bruxelles. Quand un député perçoit entre 6000 et 9000 euros par mois, la moindre des politesses vis à vis de ses concitoyens – qui sont aussi ses contributeurs – est d’assister aux séances de travail des assemblées où il est membre. Cette désinvolture scandaleuse a, néanmoins, ses défenseurs tant dans la majorité que dans l’opposition. Ainsi François Rebsamen, maire de Dijon et président du groupe socialiste au Sénat, justifie son opposition à cette loi par la nécessité, pour les parlementaires, d’avoir des attaches locales, situation nécessaire pour porter une parole avisée à l’Assemblée : encore faut-il qu’ils s’y rendent. Quant au tonitruant Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale, il promet d’ores et déjà l’abrogation de cette loi si son parti revient au pouvoir en 2017. Paroles, paroles…Des réactions qui en disent long sur la volonté d’immobilisme et la cupidité de beaucoup d’élus de notre nation.
Egalitarisme : s’il y en a une au moins qui ne change pas de cap dans ce gouvernement, c’est bien Najat Vallaud Belkacem. Cramponnée à son poste de ministre du droit des femmes, elle poursuit, imperturbable, sa croisade féministe, traquant partout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un privilège masculin. Le pack de lois sur l’égalité hommes-femmes qu’elle a fait voter, le 28 janvier, réaffirme la volonté de parité en politique, la lutte contre les violences conjugales, l’avortement parfaitement décomplexé et l’obligation renforcée faite aux maris divorcés de verser sans retard pension alimentaire à leurs ex-épouses. Rien, en somme qui soit bien nouveau ni particulièrement contestable. Là où les choses deviennent plus cauteleuses, c’est sans doute avec l’incitation faite aux nouveaux pères de prendre un large congé parental, tout comme les mères jusqu’ici. Car celui-ci serait, selon l’orthodoxie féministe, l’une des causes de la stagnation professionnelle des femmes dans notre société. Autrement dit, aux hommes d’assumer non seulement les soins du nourrisson à la maison mais aussi les écarts de salaires pendant que leurs conjointes iront travailler. Voit-on mieux l’intention subtilement revancharde ? Mais là où la ministre pousse la partialité jusqu’à la bêtise, c’est lorsqu’elle veut imposer l’enseignement de l’égalité des sexes dans le champ universitaire. Les premiers concernés par cette visée idéologique sont les étudiants des écoles de communication et de journalisme - lesquelles sont fréquentées à 60% par des filles. On imagine mal que beaucoup, parmi elles, s’en plaignent. Un coup d’épée dans l’eau qui n’en suscite pas moins une légitime protestation contre cette nouvelle ingérence du politique dans l’enseignement. Là comme ailleurs, ce sont les mêmes méthodes de moralisation forcée auxquelles on assiste depuis quelques temps. Et cela a de quoi inquiéter dans un pays prétendument démocratique comme la France.
Erik PANIZZA
18:28 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rupture, voyages, cumul, égalitarisme
24/01/2014
Bruissements (30)
Dassault : il est soupçonné de chantage, de corruption, de fraude électorale et même d’une tentative d’assassinat. Mais qu’on se rassure : Serge Dassault n’ira jamais en prison. Son nom, son âge (88 ans), son passé d’homme politique et de patron de presse protègent ce citoyen pas comme les autres. Mercredi 8 janvier, le Sénat qui devait se prononcer sur la levée de son immunité parlementaire - Serge Dassault est toujours sénateur UMP de l’Essonne -, l’a maintenue d’une courte voix (13 contre 12, plus une abstention) au terme d’un vote à bulletin secret. Des pratiques très républicaines, comme on voit. Ce n’est pas pareil pour Jean-Pierre Bechter, son bras droit et actuel maire de Corbeil-Essonnes. Lui a été placé en garde à vue et entendu par la police. Est-ce que tout cela pourrait inquiéter Serge Dassault ? Il se dit prêt à être auditionné par le juge. Oui, mais en qualité de témoin assisté, tout de même.
Régions : la question des régions revient sur le tapis politique ces jours-ci. Par souci d’économie budgétaire, le gouvernement songe à ramener leur nombre de 22 à 15, voire à 10. Le point d’appui de cette réforme pourrait être la loi sur la décentralisation de décembre 2010 qui prévoit ce type de fusions mais par référendum. Juridiquement, ce nouveau découpage est donc possible. Et ses zélateurs rappellent que des régions agrandies seraient aussi plus subventionnées par l’UE. Reste que personne, qu’il soit simple administré ou élu local, ne veut perdre ni son identité ni ses prérogatives. Imagine-t’on la Loire Atlantique aspirée par la Bretagne ou l’Oise par l’Île de France ? D’ores et déjà, François Hollande songe à un système de bonus (pour les régions qui accepteraient la fusion) et de malus (pour celles qui la refuseraient). De belles frondes en perspective…
Plans sociaux : comment faire des bénéfices sur le dos des salariés ? En fermant les sites les moins rentables et en licenciant à tour de bras. C’est ce qu’on appelle ordinairement un plan qui n’a de social que le nom. Et, en ce début d’année 2014, cette stratégie n’en finit pas de faire des ravages. Après la fermeture programmée de l’usine Goodyear d’Amiens et la mise au chômage de ses 1200 employés (on sait comment la CGT a réagi, début janvier), c’est au tour du groupe Kering-la Redoute d’annoncer la mise à plat de son site de Tourcoing et le dégraissage en douceur de 1178 salariés sur les quatre prochaines années. Si l’on ajoute à ces deux dossiers le redressement judiciaire de la société Mory Ducros, le dépôt de bilan du groupe électroménager Fagor-Brandt, les pertes continues et les grèves à la SNCM, le bel Arnaud risque d’être très occupé cette année. Reste à savoir ce qui lui est encore possible de redresser dans ce contexte morose.
Angleterre : montrer des chômeurs qui profitent allègrement du système de protection sociale, voilà la nouvelle émission de télé-réalité qui fait fureur chez nos amis britanniques. C’est ainsi que la James Turner Street de Birmingham a été, après le passage des équipes de télévision, rebaptisée Bénéfices Street. De quoi entériner les coupes sombres dans les allocations familiales qu’envisage le gouvernement de David Cameron. Qu’on ne s’y trompe pas : cette guerre contre les pauvres, nouveaux boucs-émissaires de la crise économique, n’est pas que le triste apanage de l’Angleterre en Europe de l’Ouest. On l’a vu en France sous la présidence de Sarkozy. Et elle pourrait bien réapparaître sous celle de Hollande.
Grèce : depuis plusieurs années, la Grèce est le maillon faible de l’Europe et, régulièrement, l’actualité nous la présente sous ses pires aspects. La voici, depuis le 1er janvier, présidente pour six mois de l’U E. Les mauvaises langues se sont, bien sûr, déchainées contre cette présidence paradoxale mais règlementaire du « dernier de la classe ». Soit ! Mais la Grèce, même exsangue et en proie aux conflits internes, n’en reste pas moins - c’est un lieu commun, je le sais - le berceau historique de la civilisation européenne. En cela, sa promotion momentanée est hautement symbolique, même si elle ne changera rien aux orientations économiques de l’U E.
Fénéon : lecture des « Nouvelles en trois lignes » de Félix Fénéon (1861-1944). De quoi parlait-on dans les journaux français au tout début du XXeme siècle ? De romanichels expulsés, de bandes de voyous attaquant les passants, de luttes entre grévistes et non-grévistes, de cumuls des mandats politiques, de canulars à la bombe et de suicidés de tous âges. En somme les mêmes sujets qu’aujourd’hui, 110 ans plus tard…
Erik PANIZZA
13:18 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dassault, régions, grèce, fénéon