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13/06/2014

Bruissements (37)

 

 

Réformes : c’est entendu : la prison et les conditions d’incarcération doivent changer. A Marseille, nous sommes bien placés pour le souhaiter avec les Baumettes  - qui cumulent surpopulation et vétusté indigne des cellules. La réforme pénale entreprise par Christiane Taubira va dans ce sens. Elle devrait à terme désengorger les maisons d’arrêt en plaçant sous contrôle judiciaire des détenus dont la peine n’excède pas cinq ans. Elle pourrait aussi leur éviter les « sorties sèches » (sans débouché social) et lutter contre l’embrigadement insidieux au djihadisme, autre épiphénomène de l’emprisonnement. Reste à savoir qui peut y prétendre dans la population carcérale. Car il n’y a pas que des petits dealers mais aussi des auteurs de violences physiques graves dans cette catégorie. Et quid du droit des victimes dans ce souci affirmé d’humanisation des peines ? A cela il faut ajouter la suppression des peines planchers créées en 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Bref, cette réforme, à maints égards nécessaire, caresse l’opinion publique à rebrousse-poil, elle qui s’inquiète - non sans raison - de la montée de la délinquance et qui voudrait plus de sévérité pour les récidivistes. Ce qui pourrait bien se traduire par une nouvelle sanction dans les urnes, lors de prochaines élections.

 

Paribas : amende record de 10 milliards de dollars infligée par la justice américaine à notre BNP Paribas pour n’avoir pas respecté l’embargo américain imposé à Cuba, l’Iran et le Soudan. L’affaire a pris une tournure diplomatique depuis que François Hollande essaie de la revoir à la baisse avec Barack Obama. Le président américain pourra toujours s’abriter derrière l’indépendance de la justice vis-à-vis du politique dans son pays. Que révèle cette affaire qui menace l’équilibre de nos rapports économiques avec les USA ? La cupidité et l’irrespect des accords internationaux que manifestent, bien sûr, les banques – et Paribas est loin d’être un exemple isolé. Mais aussi, comme le montre la riposte américaine, qu’elles ne sont pas au dessus des lois, d’un côté ou l’autre de l’Atlantique. Autrement dit, un pouvoir déterminé peut les faire plier, notamment en les punissant par là où elles ont pêché…

 

Démission : il se drapait sans cesse dans la toge de la vertu, exigeant à tout bout de champ la démission des ministres socialistes qu’il accusait d’avoir failli. Mais Jean-François Copé, habile à voir la paille dans l’œil des autres, ne voyait pas la poutre qui était dans le sien. L’affaire Bygmalion a révélé de quoi il était capable et a fait voler en éclats une respectabilité politique déjà bien entamée avec sa douteuse élection à la tête de l’UMP, en novembre 2012. Mardi 27 mai, un conseil spécial des cadres de l’UMP l’a forcé à la démission au terme d’un réquisitoire qui rappelait les anciens procès. Dans l’attente de nouvelles élections interne, cet automne, le triumvirat Fillon-Raffarin-Juppé a pris la direction du parti. Je ne sais si ça ira mieux à l’UMP mais, en tous les cas, ça ne pourra pas aller plus mal. Copé ou l’antonomase de l’hypocrisie politicienne.  

 

Brésil : depuis le 12 juin, le monde entier a les yeux tournés vers le Brésil et la coupe du monde de football qu’il accueille pour un mois. Mais cet évènement, pourtant très populaire dans ce pays, suscite beaucoup moins l’enthousiasme des Brésiliens, cette année. S’ils aiment toujours le football, ils apprécieraient davantage  une hausse de leurs salaires et des conditions décentes d’accès à l’habitat. Depuis plusieurs semaines, ils le manifestent haut et fort, tandis que les grèves continuent de paralyser les moyens de transport à l’approche du coup d’envoi. Et il n’y a guère, à l’étranger, qu’un  Michel Platini, ex-champion pétrifié dans ses ambitions personnelles, pour s’en indigner et appeler les Brésiliens à une trêve. Néanmoins, cette prise de conscience est plutôt saine et encourageante dans ce grand pays en progression économique constante.

 

 

                    Erik PANIZZA

06/06/2014

6 juin 1944 : une commémoration sur le fil du rasoir

 

 En matière de commémorations nationales, on rencontre souvent deux poids et deux mesures. Il y a celles qui furent longtemps vivaces – comme l’appel gaullien du 18 juin – avant de s’évanouir dans les oubliettes de l’Histoire. D’autres dates perdurent dans notre mémoire collective, mais leur anniversaire est désormais à géométrie variable. C’est le cas pour le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie. Depuis 2009 et la venue de Barack Obama au mémorial d’Omaha Beach, il était retourné à une quasi confidentialité. Nouvelle décennie oblige : ce ne sera pas le cas pour son 70 eme anniversaire. Pour le coup François Hollande a même vu grand. Car durant tout ce week-end, sur les côtes normandes, ce ne seront que cérémonies, reconstitutions historiques et feux d’artifices. Au total 1800 vétérans, 500 musiciens et 650 figurants assureront le spectacle pour près d’un million de visiteurs. Et c’est sans parler des banquets qui réuniront 9000 invités et 19 chefs d’état, dont le talentueux monsieur Poutine récemment privé de G8. Si l’on ajoute à cela la frénésie médiatique autour de cet évènement depuis plusieurs semaines – un jeu vidéo revisitant le débarquement est déjà sur le marché -, on pourrait presque douter du but initialement annoncé. Celui-ci est pourtant clair : célébrer le sacrifice des milliers de jeunes soldats fauchés par les balles allemandes voici soixante-dix ans. Des garçons venus des Etats-Unis, du Canada, d’Angleterre et aussi de France, lâchés nuitamment dans cette tourmente avec un seul ordre : marcher droit devant et reconquérir, mètre après mètre, ce territoire occupé par les nazis, première étape dans la libération de notre pays. Indiscutablement, leur courage et leur souffrance méritent tous les honneurs de nos contemporains. Mais qu’en sera-t’il, au juste, dans le contexte géopolitique actuel ? Est-ce que cette célébration restera une fin en soi ou se transformera en moyen pour régler des problèmes autrement plus pressants, comme la diminution de la dette de Paribas ou la tolérance des Russes vis-à-vis de l’Ukraine ? Car si nos ennemis d’hier sont devenus nos amis, d’anciens alliés – justement invités ici – peuvent apparaître aujourd’hui comme des adversaires potentiels et il faut plus que jamais jouer de prudence pour assurer le maintien de la paix internationale. Le monde, durant ces soixante-dix années, a certes beaucoup changé. Mais il reste toujours travaillé par de multiples motifs de guerre. Les croix blanches des cimetières normands sont là aussi pour nous rappeler quel est le prix de la paix.

 

 

                         Bruno DA CAPO

30/05/2014

L’Europe face aux populismes

 

                

 

 

 Le rejet des élites n’est pas un phénomène nouveau en Europe. Périodiquement, des mouvements populaires se sont élevés contre des structures étatiques – monarchiques ou républicaines – jugées trop arbitraires ou trop corrompues. Il s’agit ainsi d’exprimer toutes sortes de doléances à caractère économique, mais surtout sa méfiance vis-à-vis des institutions. Pour eux le peuple, ses coutumes et ses valeurs, sont au fondement de la légitimité politique et il faut donc leur redonner une parole vive - une parole jugée trahie par ses propres représentants. Cette crise de la confiance est le point de départ de tous les populismes et, en France comme ailleurs, il ne manque jamais d’habiles politiciens pour exploiter électoralement cette scission. Le populisme n’est pas le fascisme, avec son aspiration à l’unité organique de la nation. Mais il lui prépare le terrain, d’autant qu’il ravive généralement de vieux préjugés xénophobes. En cela, il s’oppose à la philosophie politique des Lumières d’où est issue notre république. Cette alternative inquiétante qu’il porte en son sein implique néanmoins – c’est sans doute son paradoxe – de passer par un cadre politique qu’il conteste viscéralement. Nous l’avons encore constaté avec ces récentes élections européennes qui l’ont propulsé à des sommets jamais atteints. Avec 24 députés au Parlement Européen, un parti d’essence populiste comme le FN se retrouve en capacité d’influer négativement sur l’orientation de la politique fédérale ; position qu’il confortera en s’alliant aux représentants d’autres formations nationalistes et europhobes, qu’ils viennent de Belgique, de Hongrie ou du Danemark. Outre qu’ils pourront  saper du dedans une construction européenne jugée contraire à leurs mesquins idéaux, ces partis recevront en plus, de cette même Union Européenne abhorrée, de confortables subventions qui leur permettront de préparer leurs prochaines campagnes dans leurs pays respectifs. N’est-ce pas, là aussi, l’un des paradoxes de cette élection ? Ces électeurs eurosceptiques restent, malgré tout, très minoritaires par rapport à tous ceux qui ont, une nouvelle fois, boudé les bureaux de votes. C’est l’autre électrochoc de ces européennes : le parti – informel – des abstentionnistes n’en finit pas, lui aussi, de progresser, atteignant cette fois-ci le chiffre record de 65% en France. Ce désintérêt massif pour les questions européennes traduit, lui aussi, un sentiment populiste de méfiance envers la classe politique. « A quoi bon aller voter puisque, de toutes les façons, on ne prend pas en compte nos problèmes ni notre opinion ? ». Semblent dire ces millions d’électeurs absents parce que déçus. Des précédents aussi douteux que le traité de Lisbonne en 2007 pourraient presque leur donner raison. Mais c’est également le signe d’une pédagogie déficiente ou mal adaptée. Car rendre au plus grand nombre l’Europe désirable ne peut se faire seulement avec des chiffres et des quotas. Plus que jamais, il faudrait insister sur les échanges culturels et techniques ou les valeurs communes – telle la liberté – qui ont façonné, malgré les conflits, l’histoire des peuples de ce continent. Il faudrait insister davantage sur l’importance de l’immigration en France, ne fut-ce que pour mieux faire comprendre sa physionomie actuelle. Bref, il faudrait donner, à cette construction européenne, une chair, des couleurs et des saveurs qui pourraient constituer le socle d’une nouvelle tradition. Et ériger ainsi un rempart contre les vieux démons nationalistes.

 

 

                                  Bruno DA CAPO