25/09/2014
Bruissements (41)
Gattaz : suspendre les jours fériés, déroger à la loi sur les 35 heures ou revoir librement le SMIC à la baisse, secteur par secteur : voici quelques propositions, parmi d’autres tout aussi antisociales, que Pierre Gattaz, dans un document d’une cinquantaine de pages, a avancé pour conditionner un retour à l’embauche. En cela, il confirme ce que tout le monde pensait dès janvier : que le cadeau fiscal proposé par François Hollande, dans le cadre du pacte de responsabilité, ne serait pas suffisant pour le patronat. Si une telle voracité peut choquer les âmes pures, elle n’a rien d’étonnant dans le contexte actuel. Lorsque les chaines publiques de télévision passent tous les soirs les clips du MEDEF à la gloire du travail, il n’y a aucune raison pour que son président adopte une attitude consensuelle. Si Gattaz voulait provoquer l’opinion publique, il y a réussi au-delà de ses espérances. Magnanime, il a déclaré, sitôt après, vouloir laisser un peu de temps au gouvernement pour régler ses propres conflits. Quand on a un ami aussi zélé que Manuel Valls à la tête de l’état, on aurait tort de le mettre au pied du mur et de heurter ainsi sa grande susceptibilité.
Sarkozy : en finira-t’on jamais avec Sarkozy ? Au soir de sa défaite électorale, le 6 mai 2012, il avait surpris, presqu’ému, par la dignité de ses propos. Se mettre en retraite du pouvoir : après tout, il n’y a pas que la politique dans la vie. A peine 28 mois plus tard, chacun peut prendre la mesure de son inconstance en le voyant revenir, plus tacticien que jamais, sur la scène publique. Ce qui est encore le plus surprenant, c’est de constater l’admiration qu’il suscite toujours chez une certaine jeunesse, toute prête à lui servir de porte-voix. Avec lui, on est davantage dans le registre émotionnel du showbiz que de la politique. Mais il n’est pas certain que ses anciens électeurs préfèrent son nouveau masque humble et miséricordieux à l’ancien, celui du néo-Bonaparte plein d’ambition et d’énergie. Dimanche soir, sur le plateau de France 2, face à un Laurent Delahousse plus incisif qu’à l’accoutumé, il était aussi ridicule que pitoyable, cherchant ses mots quand il ne les mangeait pas, incapable d’avancer des idées politiques précises, se contredisant tranquillement, justifiant son retour par son grand amour de la France. On aurait cru entendre le Maréchal Pétain en 1940 : « Je fais don de ma personne à la France ». Sans même parler de sa complainte victimaire à l’encontre de la justice (qui n’en a pas fini avec lui). Comment croire un instant à sa sincérité ? La vérité, c’est que le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été un échec, tant personnel que politique. Tout comme Hollande à présent, il n’a pu tenir – et pour cause ! – ses engagements initiaux. Et il n’y a aucune raison objective pour qu’il fasse mieux la seconde fois que la première. Mais voilà, au fond de lui, il ne peut supporter que d’autres, dans son parti, prennent la place qu’il croit sienne – celle de la vedette, évidemment. Vous avez dit changement…
Ecosse : au terme d’un référendum très suivi, les Ecossais se sont prononcés à 56% contre l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni. Choix prudent pour les uns, décevant pour les autres - à commencer par Alex Salmond, leader du parti indépendantiste - qui pensaient que leur région avait les moyens économiques de son autonomie. Quant à nous, Européens continentaux, il faudra continuer à échanger nos euros contre des livres pour visiter le pays des Highlands et du Loch Ness. Reste à savoir maintenant si David Cameron donnera plus de pouvoirs à l’Ecosse (mais aussi au Pays de Galles et à l’Irlande du Nord), comme il l’a officiellement déclaré. Même si ces élections écossaises pour l’auto détermination se sont avérées négatives ; même si, sur cette question brûlante, elles ne sont pas une première – on ne peut que rappeler les exemples opposés du Québec et du Monténégro -, elles pourraient néanmoins inspirer d’autres régions européennes – la Catalogne en Espagne, la Padanie en Italie – que travaillent depuis longtemps des velléités séparatistes. Faut-il déplorer, sous la tutelle de l’UE, ce possible détricotage de vieilles nations qui se sont constituées, au fil des siècles, dans la contrainte et la douleur ? Il est encore trop tôt pour le dire. Bornons nous à constater que les nouveaux habits de l’Europe se taillent toujours dans ses vieux oripeaux.
Djihadistes : il était une fois trois braves petits Français qui étaient allés en Syrie faire ce qu’ils croyaient être leur Djihad. Arrêtés puis extradés par les autorités turques – quel manque de chance ! -, ils furent d’abord placés dans un avion à destination de Paris. Mais c’est finalement dans un autre vol, pour Marseille celui-là, qu’ils firent leur retour glorieux en France. Là, aucun comité officiel, aucun policier pour les accueillir avec les honneurs que l’on doit à des héros de leur acabit: normal puisque c’est à Orly qu’ils étaient attendus. Sous le coup de la déception, ils s’évanouirent dans la nature, faisant savoir toutefois qu’ils se rendraient aux autorités si elles voulaient les interroger. C’est ce qu’ils firent le jour suivant, car c’étaient des garçons doux et coopératifs. Et comme le commissariat, où ils s’étaient présentés, était fermé, ils attendirent patiemment son ouverture. Bon ! Stoppons ici cette pseudo fable qui ne montre que trop les failles de notre système de sécurité, prétendument renforcé depuis l’engagement de la France contre l’état islamique en Irak. On voudrait en rire si ce n’était aussi grave. D’autant que ce cafouillage tragi-comique survient à peu près au même moment que l’enlèvement et l’exécution atroce d’Hervé Gourdel par des terroristes islamistes en Algérie. Son crime : avoir été un citoyen français en vacances. Même si nous devons ne pas céder à la paranoïa sécuritaire, voire à l’affolement (ce qui est le but recherché par ses assassins), nous ne pouvons pas, non plus, ignorer la menace insidieuse que ces tensions internationales font peser sur notre territoire. Oui, nous sommes entrés dans une nouvelle forme de guerre et celle-ci exige de nous la vigilance la plus extrême.
Migrants : ont-ils été touchés par la grâce en entendant le pape François qualifier de « honte » la mort d’une centaine de migrants africains au large des côtes siciliennes? Toujours est-il qu’un couple de riches financiers italo-américains, Régina et Christophe Catrambone, ont décidé de secourir ces déshérités absolus. Pour cela, ils ont tout simplement créé leur propre ONG, Migrant Offshore Aide Station (MOAS), et fait transformer un ancien chalutier en navire hôpital. Il patrouille désormais dans les eaux de la Méditerranée à la recherche d’éventuels naufragés, secondé dans sa mission par des hors-bords et des drones. Une initiative sans tambour ni trompette et qui mérite d’être applaudie par ces temps de déshumanisation accélérée. Rappelons que depuis le début de cette année, ce sont près de 1900 réfugiés qui sont morts en espérant trouver un sort meilleur en Europe.
Erik PANIZZA
13:16 Publié dans numéro 13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gattaz, sarkozy, ecosse, gourdel
17/09/2014
Aubagne : l’art interdit
Réputée pour sa foire aux santons et son festival de courts-métrages, Aubagne l’est aussi pour sa biennale d’art singulier. Cette manifestation, conçue voici 25 ans par l’artiste Danielle Jacqui, a créé une dynamique culturelle appréciable et secoue un peu la torpeur qui règne, l’été, sur cette petite commune provençale. Hébergée dans la salle municipale du Bras d’Or, elle la transforme, tous les deux ans, en une sorte de caverne d’Ali Baba où la surprise est toujours au rendez-vous. Mais n’est-ce pas le propre de l’art singulier que de faire feu de tout bois sans s’embarrasser des considérations mondaines qui prévalent en d’autres contrées de l’art ? En tant que critique d’art, j’ai eu le plaisir de la chroniquer plusieurs fois et je m’apprêtais à découvrir cette 13eme édition quand j’ai appris avec dépit son annulation. Pourquoi une telle décision ? Au départ de tout cela, il y a la sélection contestée de deux œuvres : la suite de petits formats de Marie Morel, scènes érotiques dans l’esprit du vieux Kama Sutra et « La machine à accoucher », sculpture de Demin représentant, avec un réalisme mordant, une femme et son rejeton encore sanglant. Rien de bien scandaleux, surtout quand on sait quelles obsessions organiques travaillent les œuvres d’artistes contemporains – comme Wim Delvoye, par exemple. D’autre part, quand on songe aux récentes polémiques sur la GPA, on se dit même que Demin et sa fameuse sculpture sont en phase avec notre époque. Eh bien ces œuvres-là ont été tout simplement jugées pornographiques par le maire UMP d’Aubagne, M. Gérard Gazay. Pour l’édile nouvellement élu et ses sbires à la culture, elles risquaient de choquer des enfants et devaient être retirées de l’exposition. Comme si les enfants étaient les principaux visiteurs de ce genre d’expositions. Un bras de fer s’est alors engagé entre la municipalité et la Compagnie d’Art Singulier en Méditerranée, organisatrice de la biennale. Accéder à la requête du maire, c’était permettre sa tenue pour les autres artistes participants mais aussi abdiquer cet esprit de liberté qui l’anime depuis ses débuts. A l’issue du vote, le choix d’annuler la biennale – ou plutôt de la reporter en un lieu et un moment plus favorables – s’est imposé à tous. Une décision courageuse et qui fait honneur à ce collectif d’artistes face à la censure institutionnelle. Une fois de plus, le pouvoir politique a commis un amalgame grossier entre art et bienséance. Faut-il rappeler à monsieur Gazay que l’art n’a pas à être joli ni poli pour être montrable ? Que tous ceux qui se sont opposés à son entière liberté d’invention ont été désavoués par l’Histoire ? Et que le premier effet de ce moralisme stupide a été supporté par les Aubagnais, renvoyés à leur ennui estival sans aucune possibilité d’évasion dans l’imaginaire.
Jacques LUCCHESI
14:24 Publié dans numéro 13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aubagne, censure, biennale, jacqui
10/09/2014
Pourquoi un califat ?
Tout comme la royauté et l’empire, le califat fait partie de ces vieilles notions politiques toujours susceptibles d’exercer leur séduction sur des esprits contemporains à l’occasion d’une crise de régime. C’est ce à quoi nous assistons en Irak et en Syrie depuis le 29 juin dernier, date à laquelle Abou-Bakr Al-Baghdadi s’est auto-proclamé calife et a lancé ses milices sanguinaires à l’assaut de ces deux pays fortement éprouvés par les conflits internes. Evidemment ce sont les populations locales, musulmane et chrétienne, qui ont fait les frais de leur fièvre conquérante : massacres, tortures, conversions forcées, exodes massifs. On ne compte plus les exactions de ces djihadistes fanatisés dont l’argument religieux cache bien mal leur appétit de puissance. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que l’on trouve, dans leurs rangs, des centaines – sinon des milliers – d’européens dont beaucoup ont eu à affaire à la justice de leurs pays respectifs.
Si, sous l’angle historique, le califat – union du politique et du religieux théorisée par Mahomet – a été, au Moyen-Orient, une réalité effective pendant prés de quinze siècles; s’il a connu des périodes de rayonnement (les Omeyyades et les Abbassides à Bagdad), il n’en reste pas moins qu’il s’est progressivement effacé devant d’autres formes, plus démocratiques, de gouvernement. Sa dernière manifestation, le califat ottoman, a pris fin en 1924 avec la modernisation de la Turquie par Atatürk. Quiconque voudrait poser sérieusement le problème de sa résurgence ne pourrait le faire en ignorant les bouleversements historiques qui ont depuis affecté cette partie du monde. Car autrement, ce n’est ni plus ni moins qu’un viol du droit des peuples à disposer librement d’eux-mêmes. N’est-ce pas ce qui se passe actuellement en Syrie et en Irak – ce dernier pays ayant entrepris de réformer ses structures étatiques ? A quelle légitimité peut prétendre un état islamique qui pratique, sur une telle échelle, la destruction et la terreur ? Aucune !
Il faut rappeler ici que le califat, au sens classique du terme, était une entité politique largement intégratrice. En son sein – comme au sein des empires – la tolérance était la règle. Les minorités religieuses y étaient nombreuses mais elles pouvaient, sous certaines conditions financières (la dhimma) et avec une relative liberté, vivre leur différence par rapport à l’Islam dominant. Rien à voir avec l’intolérance forcenée d’Abou-Bakr Al-Baghdadi et de ses sicaires, eux qui préfèrent la décapitation à la capitation (l’impôt).
Non, ce pseudo califat et ses méthodes criminelles ne reflète en rien son modèle historique. Il n’a pas sa place dans le monde d’aujourd’hui, comme Barack Obama l’a récemment déclaré. Reste qu’il n’en est pas moins influent et très dangereux. D’ores et déjà, les USA et leurs alliés réfléchissent à une forme d’intervention pour stopper sa progression. Une vaste coalition se met en place. Mais sans l’engagement sur le terrain des nations arabes réfractaires à cette vision dévoyée de l’Islam, on voit mal comment les occidentaux pourraient faire l’économie d’une force militaire terrestre en Irak puis en Syrie.
Bruno DA CAPO
14:32 Publié dans numéro 13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : califat, dhimma, irak, coalition