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17/09/2014

Aubagne : l’art interdit

                    

 

 Réputée pour sa foire aux santons et son festival de courts-métrages, Aubagne l’est aussi pour sa biennale d’art singulier. Cette manifestation, conçue voici 25 ans par l’artiste Danielle Jacqui, a créé une dynamique culturelle appréciable et secoue un peu  la torpeur qui règne, l’été, sur cette petite commune provençale. Hébergée dans la salle municipale du Bras d’Or, elle la transforme, tous les deux ans,  en une sorte de caverne d’Ali Baba où la surprise est toujours au rendez-vous. Mais n’est-ce pas le propre de l’art singulier que de faire feu de tout bois sans s’embarrasser des considérations mondaines qui prévalent en d’autres contrées de l’art ? En tant que critique d’art, j’ai eu le plaisir de la chroniquer plusieurs fois et je m’apprêtais à découvrir cette 13eme édition quand j’ai appris avec dépit son annulation. Pourquoi une telle décision ? Au départ de tout cela, il y a la sélection contestée de deux œuvres : la suite de petits formats de Marie Morel, scènes érotiques dans l’esprit du vieux Kama Sutra et « La machine à accoucher », sculpture de Demin représentant, avec un réalisme mordant, une femme  et son rejeton encore sanglant. Rien de bien scandaleux, surtout quand on sait quelles obsessions organiques travaillent les œuvres d’artistes contemporains – comme Wim Delvoye, par exemple. D’autre part, quand on songe  aux récentes polémiques sur la GPA, on se dit même que Demin et sa fameuse sculpture sont en phase avec notre époque. Eh bien ces œuvres-là ont été tout simplement jugées pornographiques par le maire UMP d’Aubagne, M. Gérard Gazay. Pour l’édile nouvellement élu et ses sbires à la culture, elles risquaient de choquer des enfants et devaient être retirées de l’exposition. Comme si les enfants étaient les principaux visiteurs de ce genre d’expositions. Un bras de fer s’est alors engagé entre la municipalité et la Compagnie d’Art Singulier en Méditerranée, organisatrice de la biennale. Accéder à la requête du maire, c’était permettre sa tenue pour les autres artistes participants mais aussi abdiquer cet esprit de liberté qui l’anime depuis ses débuts. A l’issue du vote, le choix d’annuler la biennale – ou plutôt de la reporter en un lieu et un moment plus favorables – s’est imposé à tous. Une décision courageuse et qui fait honneur à ce collectif d’artistes face à la censure institutionnelle. Une fois de plus, le pouvoir politique a commis un amalgame grossier entre art et bienséance. Faut-il rappeler à monsieur Gazay que l’art n’a pas à être joli ni poli pour être montrable ? Que tous ceux qui se sont opposés à son entière liberté d’invention ont été désavoués par l’Histoire ? Et que le premier effet de ce moralisme stupide a été supporté par les Aubagnais, renvoyés à leur ennui estival sans aucune possibilité d’évasion dans l’imaginaire.

 

 

                     Jacques LUCCHESI

08/02/2012

Bruissements (4)

 

                            

 

 

Farine : on se souvient sans doute que le Belge Noël Godin s’était fait une spécialité de l’entartage médiatique, faisant gouter abruptement ses vacherins à bien des personnalités en vue (comme Bill Gates ou BHL). Las ! François Hollande, lors de son récent meeting à Lille, n’a pas bénéficié d’un tel traitement gastronomique. C’est juste l’ingrédient – la farine – et non la pâtisserie consommable qu’il a reçu en pleine poire  - d’ailleurs avec un fair-play qui force l’admiration. Est-ce que son « agresseuse » - maitrisée manu militari par ses gardes du corps – voulait signifier ainsi que le candidat socialiste roulait les Français dans la farine ? Nous n’irons pas jusque là. Mais cet attentat tragi-comique repose le problème de la protection rapprochée des hommes politiques qui se détachent du rang. Exception faite, bien entendu, du président sortant, lequel bénéficie, là aussi, des moyens de l’Etat lorsqu’il va à la rencontre des Français. De quoi discourir tranquillement, du moins jusqu’en mai prochain.

 

Censure : en 1982, on pouvait reluquer avec curiosité l’affiche de « Paradis pour tous » d’Alain Jessua dans tous les tableaux d’affichage de nos cinémas. Rappelons qu’on y voyait la tête du regretté Patrick Dewaere entre deux (jolis) pieds renversés de femme. L’équipe des « Infidèles » a-t-elle songé à lui redonner une seconde jeunesse avec, cette fois, Jean Dujardin dans une posture assez comparable ? Toujours est-il qu’elle a choqué quelques prudes âmes qui ont aussitôt avisé l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité pour la faire disparaître (avec une autre tout aussi suggestive) de notre paysage urbain. La mesquinerie de leurs arguments (machisme, sexisme, dégradation de l’image de la femme) pour exercer leur droit de censure est, elle aussi, renversante. Une seule consolation : ce puritanisme nauséabond servira encore une fois le « vice » qu’il voulait combattre.

 

Fichage : ah ! Si Alphonse Bertillon – créateur, à la fin du XIXeme siècle, de l’anthropométrie – avait eu à sa disposition les moyens de Claude Guéant… La proposition de loi pour une carte d’identité biométrique, présentée à l’Assemblée  Nationale le 31 janvier dernier, pourrait bien, si elle était adoptée en novembre 2012, lui donner les moyens – ou plutôt à son successeur – d’un fichage généralisé des Français, délinquants ou pas. Au motif de les protéger contre les escrocs et les voleurs d’identité, leurs données personnelles seraient  versées dans un unique fichier central (TES), à disposition permanente du Ministère de l’Intérieur. Ainsi, on pourrait à peu près tout savoir des goûts et habitudes du citoyen lambda. Si le Sénat et le Conseil d’Etat sont opposés à une pareille indistinction, les membres de l’actuel gouvernement s’en réjouissent, bien sûr. Une mobilisation de tous les acteurs politiques et associatifs est absolument nécessaire pour faire rectifier, d’ici la fin de l’année, ce projet orwellien. Sans cela, il se pourrait bien que notre vertueuse loi de 1978 sur l’informatique et les libertés ne puisse plus rien pour nous.

 

Civilisations : le même Claude Guéant, on le sait maintenant, est également un disciple de Samuel Huntington - l’auteur controversé du « Choc des civilisations ». En déclarant, la semaine dernière, que « toutes les civilisations ne se valent pas », il visait ouvertement la gauche française soupçonnée de relativisme culturel. Ce faisant, son pavé dans la mare a fait encore plus de remous qu’il n’en espérait puisque, mardi 7 février à l’Assemblée National, le député martiniquais (apparenté socialiste) Serge Letchimy l’a ouvertement accusé de complicité intellectuelle avec « ces idéologies européennes qui donné naissance aux camps de concentration ». Du coup, le groupe gouvernemental indigné, François Fillon en tête, s’est levé comme un seul homme et a déserté l’hémicycle, entrainant  la clôture de la séance. On n’en demandait pas tant, dans le camp socialiste, lui qui sait depuis longtemps qu’on n’est jamais si bien desservi que par les siens.  

 

Signatures : A chaque élection présidentielle, c’est la même attente, pour tous les petits candidats, des fameuses 500 signatures de maires. Sans elles, pas moyen de se présenter à la magistrature suprême et de jouer un moment dans la cour des grands. On peste après le blocage prétendument organisé en haut lieu. On réclame plus de proportionnelle pour avoir une alternative à la logique bi-partisane qui règne dans cette république. Revendications, certes, justifiées au regard de l’éthos démocratique. Mais revendications subjectives, aussi, car c’est davantage une affaire d’égos que d’égaux. On veut y participer quand on s’appelle Boutin, Morin, Villepin ou Schivardi, quitte à faire au mieux 1%. C’est peut-être un peu différent pour les Poutou, Arthaud et Joly qui sont poussés par leurs partis respectifs dans cette valse de pantins. Il y a, bien sûr, le cas « Marine Le Pen » et force est de constater qu’elle ne joue plus dans cette catégorie. Elle se rêve, bien sûr, en nouvelle égérie républicaine mais, signatures ou pas, il y a – heureusement-  encore loin de la coupe aux lèvres pour elle. Reconnaissons-le une fois pour toutes : le jeu électoral français se joue à quatre, cinq candidats tout au plus, chacun représentant un aspect, opposé et complémentaire, de la droite et de la gauche. Il n’y a vraiment pas besoin d’en introduire dix ou quinze autres, car cette cacophonie nuirait finalement à l’alternance démocratique. Nous ne voulons plus d’un « 21 avril 2002 » et il va falloir se résigner à voter utile. Cela peut paraître frileux mais c’est ainsi.

 

 

                                Erik PANIZZA