14/08/2014
Snowden reste en Russie
Il y a un an de ça, le monde entier apprenait l’existence d’Edward Snowden, un informaticien américain de 29 ans, consultant à la NSA, qui avait dénoncé les écoutes généralisées de la puissante agence de renseignements qui l’employait. Il y révélait, notamment, que l’Allemagne et la France, pourtant alliées des USA, étaient espionnées sans vergogne. L’affaire avait alors provoqué quelques remous diplomatiques et mis le lanceur d’alerte dans l’inconfortable situation d’un proscrit : car ce qui est moral n’est pas forcément légal et vice-versa. Commençait pour lui une errance aérienne dont on se demandait quand elle prendrait fin. Le temps d’une escale en France, le gouvernement lui avait fait comprendre que sa présence sur notre territoire n’était pas la bienvenue. Finalement Snowden, qui espérait trouver refuge en Amérique Latine, avait obtenu – comme d’autres avant lui - l’asile politique en Russie. Une occasion, pour Vladimir Poutine, de redorer son blason démocratique (bien terne) à peu de frais ; d’adresser aussi un pied-de-nez au sempiternel adversaire de la Russie que sont les USA. Le 7 août dernier, la Russie a donc renouvelé le visa de Snowden pour trois ans. Tant mieux pour Snowden dont la probité ne méritait sans doute pas un tel ostracisme (une grande partie de l’opinion occidentale lui est d’ailleurs favorable). Il pourra ainsi continuer à apprendre le Russe et mettre ses connaissances en informatique au profit de sa patrie adoptive. Depuis, les tensions internationales se sont encore accrues ; la guerre civile en Ukraine et le soutien logistique qu’apporte la Russie aux rebelles pro-russes n’en finissent pas d’inquiéter l’Europe. Pour pallier à l’impossibilité d’une intervention militaire, ses dirigeants, en accord avec Washington, multiplient les protestations et les menaces de sanctions économiques contre Poutine et ses proches. Peine perdue au vu des filières d’approvisionnement dont il dispose en Amérique du Sud et en Asie. Dans ce contexte qui rappelle de plus en plus celui de la guerre froide des années 60, Snowden reste plus que jamais un symbole et un enjeu. Un symbole pour tous ceux qui voient – et ils sont nombreux – dans la Russie une alternative au modèle occidental affaibli par ses dissensions : les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Un enjeu car, si le vent venait à tourner, il y a gros à parier que l’ardent défenseur des libertés qu’est Poutine pourrait utiliser Snowden comme monnaie d’échange. Nous n’en sommes pas là et Snowden peut continuer à mener une vie discrète mais paisible en Russie. Avec, toutefois, la certitude qu’il ne pourra plus réitérer ici son coup de force communicationnel de mai 2013. Vous avez dit liberté…
Bruno DA CAPO
14:48 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : snowden, poutine, nsa, guerre froide
08/08/2014
Nabilla ou l’art du rien
Rappelez-vous : c’était au printemps 2001. La téléréalité venait, avec « Loft Story », d’arriver dans nos tubes cathodiques. Les teenagers français se passionnaient pour les amours de Loana et de Jean-Edouard. En attendant impatiemment les sélections de la saison suivante qui les feraient peut-être entrer à leur tour dans le saint des saints… On parlait de cobayes humains, mais l’œil clignotant n’en devint pas moins le logo de la décennie. Comme bien d’autres après elle, Loana n’était néanmoins qu’une candidate que ses compétences multiples (sens du décolleté profond, aptitude au farniente en bord de piscine, art du sèche-cheveux et du peigne-brosse) avaient envoyée en finale, au terme d’un parcours jalonné d’épreuves vicelardes. Car « Loft story » n’était pas une sinécure et on y cultivait autant la vacherie que la larme à l’œil. Douze ans depuis se sont écoulés et le système n’a fait, bien sûr, que se perfectionner. Son dernier avatar en date, celle qui laisse loin derrière toutes ces aspirantes plus ou moins pathétiques au quart d’heure de célébrité, c’est sans conteste Nabilla Benattia. Cette Algéro-Suissesse de 22 ans a fait ses classes, elle aussi, dans des émissions aussi instructives que « L’amour est aveugle » ou « Les anges de la téléréalité ». Son joli minois et sa poitrine précocement siliconée lui ont valu, en 2012, de faire la couverture de New Look. Depuis, la bimbo n’a cessé d’entretenir le buzz autour d’elle, allant jusqu’à faire privatiser son exclamation d’un jour « Allo, non mais allo, quoi ! », partout reprise ou parodiée. Consécration suprême : la chaine NRJ, en cet automne2013, lui a offert, avec « Allo Nabilla, ma famille en Californie », une série pour elle seule, le mardi soir en prime-time. Flanquée de sa mère, de sa grand-mère, de son frère et de son fiancé du moment, on y voit une Nabilla se promener entre Los Angeles et Hollywood en quête d’invitations et de passages sur les télés américaines. Son modèle et sa rivale, c’est la pulpeuse Kim Kardashian – une brune comme elle -, « star » de « L’incroyable famille Kardashian », autre feuilleton familial qui cartonne aux USA. C’est d’ailleurs pour ça que Nabilla, en conquérante de l’inutile, vient chasser sur ses terres. En voilà au moins une qui croit encore à l’Amérique. Ce qui est incroyable, chez Nabilla, c’est sa fatuité et son culot. Elle a, comme très peu, élevé le narcissisme au rang des beaux arts. A défaut de forcer le respect, une telle détermination à faire parler de soi dénote sans doute une forme d’intelligence, mais une intelligence de l’insignifiance. Car, enfin, qu’est-ce que Nabilla a à dire à notre monde ? Rien. Son message, c’est son image. Son ambition, c’est d’être Nabilla à l’échelon planétaire, voire interplanétaire (car son vide est aussi sidéral). Et le pire, c’est qu’elle va certainement faire des émules. Triste époque.
Jacques LUCCHESI
14:44 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nabilla, loana, loft story, nrj
01/08/2014
Retour sur les Fralib
Les Fralib, c’est d’abord l’histoire d’une énergie collective, d’une résistance ouvrière, orchestrée par les syndicats, face aux froids calculs d’une multinationale – Unilever – soucieuse d’engranger un maximum de bénéfices, quitte à sacrifier un site pourtant rentable. Ce conflit, qui a débuté en septembre 2010, a été largement médiatisé. Ainsi, Arnaud Montebourg, tout juste nommé ministre du redressement productif, était venu à Gémenos pour clamer aux ouvriers en grève un franc et sympathique : « Je ne vous oublie pas. ». Mais qu’a-t-il fait depuis ? Pas grand-chose, on le sait bien. Et son autorité ministérielle n’est pour rien dans l’accord qui a été signé, fin mai, entre la direction d’Unilever et les représentants syndicaux des Fralib. Après trois plans de sauvegarde de l’emploi et des astreintes journalières sans cesse reconduites, le groupe anglo-néerlandais a fini par céder aux exigences ouvrières. Cet accord, qui leur a octroyé une enveloppe globale de 19, 2 millions d’euros a ainsi mis fin à quatre années de lutte. Au final, l’occupation de l’usine de Gémenos aura duré 1336 jours. Durant toutes ces journées, des équipes d’ouvriers se sont relayées jour et nuit, hiver comme été, pour empêcher le démantèlement de leur usine (fermée depuis septembre 2012) et les expulsions musclées. Parallèlement, le combat se menait aussi devant les tribunaux, notamment pour l’annulation des plans patronaux de sauvegarde de l’emploi qui n’auraient abouti qu’au versement d’une prime congrue. Au lieu de quoi, les 76 employés les plus tenaces toucheront, chacun, 100 000 euros (en plus des indemnités de départ). Et 60 d’entre eux vont tenter à présent l’aventure de la SCOP, puisque 7 millions ont été affectés au rachat des machines. Ce statut juridique est sans doute, à l’heure actuelle, le plus égalitaire, chacun y étant à la fois actionnaire et salarié. Il permet de mieux répartir les bénéfices et s’il n’exclut pas un administrateur, il prévoit aussi son renouvellement tous les trois ans avec un salaire qui n’a rien à voir avec celui des PDG de SA. Bénéficiant d’une fiscalité allégée, la formule tente de plus en plus d’entrepreneurs en France, même si, en ce domaine, elle se situe loin derrière d’autres pays européens, comme l’Italie. Pour en revenir à nos ex-Fralib, leur coopérative – baptisée Scop-ti – a pris contact avec un groupe anglais pour sous-traiter sa production. Mais elle ne pourra plus exploiter la fameuse marque Eléphant (pourtant née en Provence en 1896) qui reste la propriété d’Unilever. Le combat continue et il n’est pas gagné d’avance. Mais leur exemple continue d’inspirer d’autres travailleurs en lutte dans la région: comme, par exemple, ceux des Grands Moulin Maurel. Les Fralib ou comment une défaite est devenue un succès.
James LIPTON
14:54 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fralib, unilever, montebourg, gémenos