16/06/2014
Donne-moi ta main, camarade...
Sous les pavés la plage. Sous celle de Copacabana, je crains que ce ne soit l’inverse. Sous le soleil de la samba et sous le firmament footballistique des stars du ballon rond, dont nos hôtes prestigieux 7 fois vainqueurs de cette Coupe du Monde, se cachent la misère, la mort, les conditions de vie inacceptables dans de monstrueuses favelas que même un sport porté comme un flambeau ne pourrait effacer. Au Brésil aujourd’hui, l’agitation est certes encore très limitée et n’atteint pas le mouvement social de juin 2013. Pourtant, les manifestants anti-Mondial parlent d’une disproportion vertigineuse entre les sommes engagées à foison dans cette coupe du Monde et leur pouvoir d’achat à eux. Ils parlent aussi de corruption, un mal qui ronge leur pays. Pourtant, des tentatives ont été faites pour remettre un peu d’ordre dans le fatras des favelas (qu’on appellerait chez nous « les territoires perdus de notre république »). Une opération d’envergure orchestrée par le gouvernement brésilien a réduit de 70% le nombre de morts violentes dans les favelas de Rio. Il s’agissait de « pacifier » les favelas en vue de préparer les Jeux Olympiques prévus en 2016... Tout un programme ! Pacifier : vocable déjà connu dans notre histoire pas si lointaine... Dans cette histoire, les trafiquants, maîtres des lieux, ont dû, pour raison hautement politique, cédé la place à la police. Du coup, le nombre de décès dus à des interventions strictement policières est proche de zéro ! Sans les Jeux à venir, les choses auraient suivi leur cours. Le strass, la fête, la danse sur les plages, voilà qui ressemble à l’antique fatum qui dit qu’il faut donner des jeux au peuple. Mais lui, le peuple, sait bien que les lampions une fois éteints le renverront peupler les favelas dont on nous dit qu’elles sont désormais pacifiées !
Yves CARCHON
14:42 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : brésil, plage, copacabana, favelas
13/06/2014
Bruissements (37)
Réformes : c’est entendu : la prison et les conditions d’incarcération doivent changer. A Marseille, nous sommes bien placés pour le souhaiter avec les Baumettes - qui cumulent surpopulation et vétusté indigne des cellules. La réforme pénale entreprise par Christiane Taubira va dans ce sens. Elle devrait à terme désengorger les maisons d’arrêt en plaçant sous contrôle judiciaire des détenus dont la peine n’excède pas cinq ans. Elle pourrait aussi leur éviter les « sorties sèches » (sans débouché social) et lutter contre l’embrigadement insidieux au djihadisme, autre épiphénomène de l’emprisonnement. Reste à savoir qui peut y prétendre dans la population carcérale. Car il n’y a pas que des petits dealers mais aussi des auteurs de violences physiques graves dans cette catégorie. Et quid du droit des victimes dans ce souci affirmé d’humanisation des peines ? A cela il faut ajouter la suppression des peines planchers créées en 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Bref, cette réforme, à maints égards nécessaire, caresse l’opinion publique à rebrousse-poil, elle qui s’inquiète - non sans raison - de la montée de la délinquance et qui voudrait plus de sévérité pour les récidivistes. Ce qui pourrait bien se traduire par une nouvelle sanction dans les urnes, lors de prochaines élections.
Paribas : amende record de 10 milliards de dollars infligée par la justice américaine à notre BNP Paribas pour n’avoir pas respecté l’embargo américain imposé à Cuba, l’Iran et le Soudan. L’affaire a pris une tournure diplomatique depuis que François Hollande essaie de la revoir à la baisse avec Barack Obama. Le président américain pourra toujours s’abriter derrière l’indépendance de la justice vis-à-vis du politique dans son pays. Que révèle cette affaire qui menace l’équilibre de nos rapports économiques avec les USA ? La cupidité et l’irrespect des accords internationaux que manifestent, bien sûr, les banques – et Paribas est loin d’être un exemple isolé. Mais aussi, comme le montre la riposte américaine, qu’elles ne sont pas au dessus des lois, d’un côté ou l’autre de l’Atlantique. Autrement dit, un pouvoir déterminé peut les faire plier, notamment en les punissant par là où elles ont pêché…
Démission : il se drapait sans cesse dans la toge de la vertu, exigeant à tout bout de champ la démission des ministres socialistes qu’il accusait d’avoir failli. Mais Jean-François Copé, habile à voir la paille dans l’œil des autres, ne voyait pas la poutre qui était dans le sien. L’affaire Bygmalion a révélé de quoi il était capable et a fait voler en éclats une respectabilité politique déjà bien entamée avec sa douteuse élection à la tête de l’UMP, en novembre 2012. Mardi 27 mai, un conseil spécial des cadres de l’UMP l’a forcé à la démission au terme d’un réquisitoire qui rappelait les anciens procès. Dans l’attente de nouvelles élections interne, cet automne, le triumvirat Fillon-Raffarin-Juppé a pris la direction du parti. Je ne sais si ça ira mieux à l’UMP mais, en tous les cas, ça ne pourra pas aller plus mal. Copé ou l’antonomase de l’hypocrisie politicienne.
Brésil : depuis le 12 juin, le monde entier a les yeux tournés vers le Brésil et la coupe du monde de football qu’il accueille pour un mois. Mais cet évènement, pourtant très populaire dans ce pays, suscite beaucoup moins l’enthousiasme des Brésiliens, cette année. S’ils aiment toujours le football, ils apprécieraient davantage une hausse de leurs salaires et des conditions décentes d’accès à l’habitat. Depuis plusieurs semaines, ils le manifestent haut et fort, tandis que les grèves continuent de paralyser les moyens de transport à l’approche du coup d’envoi. Et il n’y a guère, à l’étranger, qu’un Michel Platini, ex-champion pétrifié dans ses ambitions personnelles, pour s’en indigner et appeler les Brésiliens à une trêve. Néanmoins, cette prise de conscience est plutôt saine et encourageante dans ce grand pays en progression économique constante.
Erik PANIZZA
14:30 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : réformes, copé, brésil, paribas
06/06/2014
6 juin 1944 : une commémoration sur le fil du rasoir
En matière de commémorations nationales, on rencontre souvent deux poids et deux mesures. Il y a celles qui furent longtemps vivaces – comme l’appel gaullien du 18 juin – avant de s’évanouir dans les oubliettes de l’Histoire. D’autres dates perdurent dans notre mémoire collective, mais leur anniversaire est désormais à géométrie variable. C’est le cas pour le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie. Depuis 2009 et la venue de Barack Obama au mémorial d’Omaha Beach, il était retourné à une quasi confidentialité. Nouvelle décennie oblige : ce ne sera pas le cas pour son 70 eme anniversaire. Pour le coup François Hollande a même vu grand. Car durant tout ce week-end, sur les côtes normandes, ce ne seront que cérémonies, reconstitutions historiques et feux d’artifices. Au total 1800 vétérans, 500 musiciens et 650 figurants assureront le spectacle pour près d’un million de visiteurs. Et c’est sans parler des banquets qui réuniront 9000 invités et 19 chefs d’état, dont le talentueux monsieur Poutine récemment privé de G8. Si l’on ajoute à cela la frénésie médiatique autour de cet évènement depuis plusieurs semaines – un jeu vidéo revisitant le débarquement est déjà sur le marché -, on pourrait presque douter du but initialement annoncé. Celui-ci est pourtant clair : célébrer le sacrifice des milliers de jeunes soldats fauchés par les balles allemandes voici soixante-dix ans. Des garçons venus des Etats-Unis, du Canada, d’Angleterre et aussi de France, lâchés nuitamment dans cette tourmente avec un seul ordre : marcher droit devant et reconquérir, mètre après mètre, ce territoire occupé par les nazis, première étape dans la libération de notre pays. Indiscutablement, leur courage et leur souffrance méritent tous les honneurs de nos contemporains. Mais qu’en sera-t’il, au juste, dans le contexte géopolitique actuel ? Est-ce que cette célébration restera une fin en soi ou se transformera en moyen pour régler des problèmes autrement plus pressants, comme la diminution de la dette de Paribas ou la tolérance des Russes vis-à-vis de l’Ukraine ? Car si nos ennemis d’hier sont devenus nos amis, d’anciens alliés – justement invités ici – peuvent apparaître aujourd’hui comme des adversaires potentiels et il faut plus que jamais jouer de prudence pour assurer le maintien de la paix internationale. Le monde, durant ces soixante-dix années, a certes beaucoup changé. Mais il reste toujours travaillé par de multiples motifs de guerre. Les croix blanches des cimetières normands sont là aussi pour nous rappeler quel est le prix de la paix.
Bruno DA CAPO
14:35 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : obama, débarquement, normandie, commémorations