10/09/2014
Pourquoi un califat ?
Tout comme la royauté et l’empire, le califat fait partie de ces vieilles notions politiques toujours susceptibles d’exercer leur séduction sur des esprits contemporains à l’occasion d’une crise de régime. C’est ce à quoi nous assistons en Irak et en Syrie depuis le 29 juin dernier, date à laquelle Abou-Bakr Al-Baghdadi s’est auto-proclamé calife et a lancé ses milices sanguinaires à l’assaut de ces deux pays fortement éprouvés par les conflits internes. Evidemment ce sont les populations locales, musulmane et chrétienne, qui ont fait les frais de leur fièvre conquérante : massacres, tortures, conversions forcées, exodes massifs. On ne compte plus les exactions de ces djihadistes fanatisés dont l’argument religieux cache bien mal leur appétit de puissance. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que l’on trouve, dans leurs rangs, des centaines – sinon des milliers – d’européens dont beaucoup ont eu à affaire à la justice de leurs pays respectifs.
Si, sous l’angle historique, le califat – union du politique et du religieux théorisée par Mahomet – a été, au Moyen-Orient, une réalité effective pendant prés de quinze siècles; s’il a connu des périodes de rayonnement (les Omeyyades et les Abbassides à Bagdad), il n’en reste pas moins qu’il s’est progressivement effacé devant d’autres formes, plus démocratiques, de gouvernement. Sa dernière manifestation, le califat ottoman, a pris fin en 1924 avec la modernisation de la Turquie par Atatürk. Quiconque voudrait poser sérieusement le problème de sa résurgence ne pourrait le faire en ignorant les bouleversements historiques qui ont depuis affecté cette partie du monde. Car autrement, ce n’est ni plus ni moins qu’un viol du droit des peuples à disposer librement d’eux-mêmes. N’est-ce pas ce qui se passe actuellement en Syrie et en Irak – ce dernier pays ayant entrepris de réformer ses structures étatiques ? A quelle légitimité peut prétendre un état islamique qui pratique, sur une telle échelle, la destruction et la terreur ? Aucune !
Il faut rappeler ici que le califat, au sens classique du terme, était une entité politique largement intégratrice. En son sein – comme au sein des empires – la tolérance était la règle. Les minorités religieuses y étaient nombreuses mais elles pouvaient, sous certaines conditions financières (la dhimma) et avec une relative liberté, vivre leur différence par rapport à l’Islam dominant. Rien à voir avec l’intolérance forcenée d’Abou-Bakr Al-Baghdadi et de ses sicaires, eux qui préfèrent la décapitation à la capitation (l’impôt).
Non, ce pseudo califat et ses méthodes criminelles ne reflète en rien son modèle historique. Il n’a pas sa place dans le monde d’aujourd’hui, comme Barack Obama l’a récemment déclaré. Reste qu’il n’en est pas moins influent et très dangereux. D’ores et déjà, les USA et leurs alliés réfléchissent à une forme d’intervention pour stopper sa progression. Une vaste coalition se met en place. Mais sans l’engagement sur le terrain des nations arabes réfractaires à cette vision dévoyée de l’Islam, on voit mal comment les occidentaux pourraient faire l’économie d’une force militaire terrestre en Irak puis en Syrie.
Bruno DA CAPO
14:32 Publié dans numéro 13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : califat, dhimma, irak, coalition