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05/09/2014

Bruissements (40)

 

 

Université d’été : habituellement programmées fin août début septembre, les universités d’été sont l’occasion, pour les partis politiques, de remonter le moral des  militants et, accessoirement, d’écouler produits dérivés et livres écrits par leurs dirigeants. Cette année, c’était la Rochelle qui, évidemment, focalisait tous les regards, vu les dissensions qui agitent le parti socialiste. Que pouvait, dès lors, faire Manuel Valls sinon se lancer dans une harangue unanimiste pour tenter d’étouffer toutes les voix discordantes à sa gauche? Tous repères confondus, son discours du 31 août a atteint les sommets de l’autosatisfaction. Il a ainsi fait applaudir par l’auditoire Najat Vallaud-Belkacem qu’il venait quelques jours plus tôt de nommer à la tête du ministère de l’éducation : comme si cette promotion avait quelque chose à voir avec son mérite personnel. Il a invité les personnalités présentes à ovationner le président (absent), rappelant à juste titre que sans son élection de 2012, le PS ne serait pas aux affaires, que personne ici, à commencer par lui-même, n’occuperait le poste qu’il occupe. Merci, François, pour ta grande générosité. C’est dire implicitement que la politique actuelle se réduit à une lutte des places. Mais c’est aussi faire l’aveu, non moins tacite,  que son destin politique est maintenant lié à celui de François Hollande. Et plus dure sera la chute.

 

Contrôles : tout aussi décomplexé, François Rebsamen, ministre du travail, s’est lancé deux jours plus tard dans un sermon sur les chômeurs paresseux, invitant Pôle Emploi à augmenter les contrôles pour vérifier que les demandeurs d’emplois cherchaient bien du travail. Or, c’est justement ce que le PS ne cessait de reprocher à Sarkozy – ce maître en discriminations sociales – quand il était au pouvoir. Devant les réactions d’indignation d’une partie de la Gauche et des syndicats, le ministre a vite fait marche arrière, usant d’arguties pour justifier ses propos matinaux. Il n’empêche : adaptation à la réalité ou pas, il est difficile de reconnaître le vieil humanisme socialiste dans cet ukase qui fleure bon les thèses du MEDEF.

 

Féminisme : les féministes françaises sont en deuil. Elles déplorent, avec la nomination de Najat Vallaud-Belkacem à l’éducation, la disparition de son stratégique  ministère des droits des  femmes dans le gouvernement Valls 2. Pas tout à fait, puisqu’il est devenu un département du ministère de la santé et des affaires sociales. Un simple secrétariat d’état pour une cause aussi noble et aussi urgente : quelle offense ! Selon elles, c’est l’égalité des sexes qui est en régression. A cela s’ajoute une polémique venue d’outre-Atlantique, où un mouvement de jeunes femmes américaines remet en question les thèses – ou les clichés – féministes sur la féminité, l’inégalité salariale et les violences sexuelles. Un manque évident de culture politique pour nos modernes vestales, cibles de leurs venimeuses flèches. Le mieux est encore d’aller s’en faire une idée  personnelle en tapant sur le Net « Women against feminism ». Quand on vous dit que tout change…

 

Zara : proposer aux enfants un tee-shirt rayé avec une belle étoile jaune en son centre, est-ce de la provocation ? Bien sûr que non, puisque l’étoile en question est celle de nos bons vieux shérifs, héros de tant de westerns. Malgré tout, il y a des esprits mal tournés qui y ont vu autre chose, comme qui dirait un rappel d’une époque sinistre – et pas si lointaine – pour les Juifs. Devant le tollé de protestations qui s’en est suivi, Zara – propriété de Bernard Arnault – a vite retiré de la vente son équivoque tee-shirt. On pourrait croire à son innocence si, voici deux ans, la même marque espagnole n’avait pas déjà semé le trouble dans les esprits avec un sac à main barré d’une croix gammée – pardon, un swastika indien. Une façon feutrée de tester les limites du tolérable dans notre société.

 

Ashia King : la polémique enfle aussi autour de l’affaire Ashia King. Rappelons que ce petit Anglais de 5 ans, qui souffre d’une tumeur au cerveau, a été retiré de l’hôpital où il était soigné par ses propres parents, ceux-ci préférant partir en Espagne pour expérimenter un autre traitement. Mal leur en a pris car les autorités anglaises ont lancé contre eux un mandat d’arrêt pour enlèvement d’enfant…Depuis, ils ont été arrêtés et emprisonnés comme de vulgaires criminels. Peut-on, en tant que parent, être logiquement tenu pour le kidnappeur de son propre enfant quand on n’est pas d’accord avec les solutions thérapeutiques proposées  dans  son pays ? Qui est d’ailleurs, des parents ou de l’état, le premier responsable d’un enfant ? Ces questions méritent d’être clairement posées. A travers elles, c’est notre rapport à la liberté et à la démocratie qui est interrogé. Car l’Angleterre, c’est aussi l’Europe où nous sommes tous embarqués.

 

 

 

                          Erik PANIZZA  

29/08/2014

Avis de tempête

                            

 

 Le lapsus n’aura échappé à personne ayant assisté, lundi 25 août, au discours télévisé de François Hollande à l’île de Sein. Alors qu’il rappelait les heures sombres qui ont précédé la libération du pays, voici 70 ans, le président a substitué « parti » à « patrie échouée ». A quoi pensait-il alors ? Il est vrai qu’il avait des circonstances atténuantes, discourant sous une pluie battante sans le secours d’un parapluie charitable. Quid du protocole élyséen ? Il faisait presque pitié à voir, l’eau dégoulinant sur ses cheveux et ses lunettes. Peut-être voulait-il signifier à l’opinion publique qu’au sens propre comme au sens figuré, il ne craignait pas de se mouiller ? A moins qu’il ne se préparât à participer, lui aussi, au médiatique – mais débile – Ice Bucket Challenge ? Pendant ce temps, à Matignon, Manuel Valls (de conserve avec Hollande)  avait commencé son grand ménage de rentrée, auditionnant l’un après l’autre les ministres de son gouvernement. Il s’agissait, pour cet homme d’ordre, d’en remettre sans tarder au sein de son exécutif, quitte à couper quelques têtes persifleuses. La première à tomber – il l’a vite remise sur ses épaules – fut celle du fringuant ministre de l’industrie, ennemi déclaré de l’austérité, rebelle à tout esprit d’équipe qui ne soit pas la sienne en propre. Valls-Montebourg ou l’impossible consensus ! Puis vint le tour du ministre de l’éducation et de la ministre de la culture, soucieux, eux aussi, de retrouver leur liberté de parole. On se demande pourquoi ces trois-là ne sont pas partis avant qu’on ne les démissionne. Gageons qu’ils ne vont pas se priver, tout comme Cécile Duflot, de livrer au public leur vision des coulisses du pouvoir. Une alternative vivifiante à la langue de bois généralisée qui caractérise la nouvelle donne ministérielle.  On sait depuis par quelles personnalités (on ne peut plus conformistes) Montebourg, Hamon et Filippetti  ont été remplacés à leurs postes respectifs. La nomination la plus détonante est sans doute celle d’Emmanuel Macron à l’économie; mais il est vrai que l’ex-banquier de Rothschild – excusez du peu ! - est aussi l’inspirateur du controversé pacte de responsabilité et qu’à ce titre-là, il méritait bien une promotion. Il aura les mains libres pour poursuivre le tournant libéral choisi, depuis janvier, par le locataire de l’Elysée. Déjà le MEDEF applaudit à tout rompre. Quant à l’Union Européenne, elle a de quoi être satisfaite : les réformes que n’a pas accomplies Sarkozy durant sa mandature le seront peut-être par Hollande, au grand dam de ses électeurs. Si toutefois il parvient à conserver la majorité à l’Assemblée Nationale, car la fronde d’une partie des députés socialistes n’est pas prête de décroître, tout au contraire. Et il se pourrait bien qu’à l’instar des grands cétacés égarés, le PS ne soit plus dans deux ou trois ans  que ce « parti échoué », selon le lapsus présidentiel ô combien circonstancié.

 

 

                       Erik PANIZZA

22/08/2014

Ebola : l’autre guerre

                            

 

 Depuis le début de l’été, la guerre embrase le Moyen-Orient. Pas moins de quatre foyers d’hostilités (l’Irak, la Syrie, Gaza et la Lybie) reviennent  presque chaque jour à la une de l’actualité, charriant via nos écrans leurs flots d’images effroyables, pathétiques, déprimantes. Et ce n’est pas mieux en Centrafrique où les affrontements entre factions rivales se poursuivent ; ni d’ailleurs en Ukraine où la guerre civile n’en finit pas, opposant diplomatiquement la Russie et l’Union Européenne, ses voisins. On se demande parfois si l’Histoire a un sens pour les générations nouvelles, tellement elles semblent vouées à répéter les errements passés. Parallèlement à ces conflits, générés principalement par l’appétit de domination, une autre guerre, plus silencieuse, plus inquiétante, se poursuit ; une guerre qui ramène chacun à son origine naturelle et à sa native faiblesse : celle que mènent depuis toujours les hommes contre les maladies. Cet été, la menace vient encore une fois de l’Afrique et porte un nom trop bien connu : Ebola.

Ce virus, qui provoque des fièvres hémorragiques foudroyantes, n’est hélas pas nouveau. Il a été identifié en 1976 et depuis on en parle, de façon plus ou moins régulière, c'est-à-dire au gré des phases endémique ou épidémique de la maladie. Manifestement, nous sommes à nouveau dans le second scénario et celui-ci prend des proportions alarmantes. Après avoir touché la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, il a atteint le Nigéria – l’un des plus grands pays d’Afrique. Plus de 1300 morts lui ont été officiellement attribués, mais on se doute bien que ce chiffre pourrait être sous-estimé. Jusqu’où ira cette épidémie contre laquelle nos médications actuelles sont dramatiquement impuissantes ? Certes, nous connaissons les principaux vecteurs de transmission de cette maladie (le toucher, les secrétions naturelles) et sa zone de virulence –notamment en rapport avec des facteurs naturels. Mais nous ne savons que trop le caractère migratoire de ce type de virus. Des occidentaux, depuis rapatriés dans leurs pays d’origine, ont été infectés et nous avons pu voir de quels moyens de protection le personnel soignant doit user pour pouvoir les approcher. En outre, les premiers symptômes d’Ebola ressemblent souvent à ceux d’une grippe sévère, accentuant le trouble et la confusion chez ceux qui en sont porteurs, chez ceux aussi qui les côtoient. Allons-nous vers une nouvelle psychose collective, comme en ont provoqué, ces dernières années, la grippe aviaire et la SRAS ? Déjà, des compagnies aériennes refusent d’assurer leurs liaisons habituelles avec les pays touchés par l’épidémie. Le gouvernement évite de trop communiquer sur ce sujet, s’en tenant à des informations générales et l’on comprend bien pourquoi. Néanmoins, la recherche médicale s’active, même sans perspective de rentabilité à court terme. Et si les premiers traitements expérimentaux semblent être assez efficaces sur les grands singes, on mesure mal, pour le moment, leur degré d’efficience sur les volontaires humains.

Voilà une mobilisation qui devrait rappeler à tous l’unité et la fragilité de l’espèce humaine face à ces guerriers de l’ombre que sont les virus et autres agents pathogènes qui l’assaillent depuis toujours. Guerre ô combien fondamentale, urgente et sans distinction de sexe de race ou de religion. Puisse-t’elle faire apparaître, aux yeux de leurs acteurs mêmes, le caractère dérisoire des luttes partisanes qu’ils continuent çà et là de mener!

 

 

                       Jacques LUCCHESI