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03/09/2013

Bruissements (25)

 


 

Syrie : l’ardeur vengeresse des Etats-Unis et de leurs alliés contre Bachar El Assad va-t’elle aboutir à un pétard mouillé ? C’est fort possible, au vu des divergences et des atermoiements qui ont marqué la semaine écoulée. En bons professeurs de morale universaliste, on veut punir le vilain élève Bachar pour son emploi du gaz sarin contre les Syriens, mais  pas renverser son infâme pouvoir. On annonce des frappes sur des objectifs militaires et gouvernementaux des semaines à l’avance : depuis quand un pays ayant des visées belliqueuses contre un autre lui dit-il ce qu’il compte faire ? Bonjour l’effet de surprise ! Même si Obama obtient – ce qui n’est pas certain – l’accord du Congrès ; même si les experts mandés par l’ONU lui confirment, dans quelques semaines, ce que le monde entier sait déjà, que pourra-t’il faire qui puisse ébranler sérieusement le régime syrien ? A ce compte-là, Bachar a de grandes chances de se cramponner au pouvoir et de poursuivre – tout comme Saddam Hussein après la première guerre du Golfe – son petit bonhomme de chemin, fut-il arrosé quotidiennement de sang frais. Et la France, dans tout ça, fidèle ordonnance des USA ? François Hollande, chef de guerre de plus en plus affirmé, compte-t’il toujours réunir le Parlement pour une prochaine action militaire (tout en sachant qu’il peut s’en passer) ? Il ne manquerait plus qu’il soit, au final, le seul protagoniste de cette mission rédemptrice. Et s’il n’en reste qu’un…

 

Peines planchers : au terme d’un feuilleton qui aura duré presque tout l’été, Christiane Taubira a fini par l’emporter, politiquement parlant, sur Manuel Valls. Au cours d’une réunion à huis-clos, vendredi 30 août à l’Elysée, le Président de la République et le Premier Ministre ont donc tranché en faveur des propositions de réforme de la Garde des Sceaux, obligeant leur impétueux Ministre de l’Intérieur (désavoué aussi sur son refus de regroupement familial des étrangers) à faire profil bas. Une façon de  dire que l’on continue de rouler à gauche dans ce pays. Les fameuses peines planchers, créées sous Sarkozy pour sanctionner plus durement les cas de récidive, vont donc être supprimées pour les primo-délinquants et les récidivistes condamnés à moins de six mois d’emprisonnement. A la place, le juge pourra proposer des peines probatoires de contrainte pénale en milieu ouvert (travaux d’intérêt collectif, surveillance électronique). Il s’agit ainsi de favoriser leur réinsertion progressive et d’essayer de désengorger nos prisons actuellement sur-saturées (68 800 détenus en France). La Droite, évidemment, a crié au laxisme, dénonçant une mesure incitative pour les délinquants – de plus en plus nombreux et de plus en plus violents. Il n’en reste pas moins – les chiffres sont là pour le confirmer – que les peines planchers n’ont pas empêché la hausse des cas de récidive sous le précédent gouvernement. Et que, d’ores et déjà, on planifie la construction de 6500 places supplémentaires dans les prisons.

Corrida : depuis quelques années, la cause animale est revenue en force dans le débat intellectuel et social. Sous le juste motif de vouloir adoucir les conditions de vie et de mort des bêtes qui participent de notre alimentation, certains en viennent même à réclamer des droits pour les animaux. C’est évidemment un non-sens, car si l’animal a bien une sensibilité, il ne peut, pour autant, s’inscrire dans cette dimension théorétique – le propre de l’humanité, du moins jusqu’à présent - qui, seule, pourrait justifier cette revendication. Dans ce cas, cela n’aboutirait qu’à ajouter de nouveaux devoirs à la liste, déjà longue, de l’homme moderne. Cette forme d’irrationalisme rencontre un point critique avec la corrida. De nombreuses associations voudraient la faire abolir au nom d’une barbarie inutile et dépassée. Ses partisans, tout aussi déterminés, mettent en avant sa dimension symbolique et esthétique - sans même parler de ce que les férias rapportent aux économies locales. Osons le dire : qu’est-ce que quelques dizaines de taureaux sacrifiés, chaque année, dans les arènes françaises, au regard des millions de bovins, de cochons et de moutons qui subissent le même sort dans nos abattoirs ? Mais les militants du CRAC (collectif anti corrida) et de la Fondation Brigitte Bardot ne l’entendent pas de cette oreille, eux qui ont envahi l’arène de Rion-des-landes, samedi 24 août  - jour de la Saint Barthélémy - empêchant la corrida de s’y dérouler. Au final, une échauffourée  mémorable entre gendarmes, militants et aficionados, huit blessés (dont un grièvement) et plusieurs dizaines de milliers d’euros en dégâts et manque à gagner pour les organisateurs. Une enquête a été ouverte, bien sûr. Mais aucun remerciement n’est venu, pour le moment, du Front Taurin de Libération. Si ce n’est pas de l’ingratitude, ça…

Liberté d’expression : au Qatar, un poète, Mohammed Al-Ajami, croupit depuis maintenant deux ans en prison. Son crime : avoir écrit et lu un poème célébrant la révolution tunisienne et appelant à d’autres soulèvements dans les pays arabes. D’abord condamné à perpétuité, sa peine  a été ramenée à 15 ans : sans doute une faveur de l’émir à la tête de ce pays richissime, ardent défenseur du progrès dans le monde. En Russie c’est un peintre, Konstantin Altounine,  qui a dû s’exiler après avoir exposé, le 15 août dernier à Saint-Petersbourg, un tableau représentant Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine  travestis en femmes et se caressant tendrement. Dès le lendemain, la police russe débarquait dans le musée, mitraillette au poing, pour saisir l’objet du scandale. Comme on le voit, la liberté d’expression est loin d’être un droit acquis partout dans le monde. Et l’art, pour peu qu’il ne flatte pas ouvertement le pouvoir, demeure un bon révélateur du degré de démocratie d’un pays. En l’occurrence, elle est à peu près nulle dans les deux nations susmentionnées – mais ce n’est pas une surprise. Il parait qu’Altounine a trouvé depuis refuge en France. Il pourrait peut-être en profiter pour peindre François et Jean-Marc en situation de rapprochement  intime. Histoire de mettre à l’épreuve notre tolérance historique.

 

                          Erik PANIZZA

27/08/2013

Ligne rouge

 

        

 

Avec les flambées post-révolutionnaires en Egypte, depuis juillet, on avait presque oublié que la guerre civile se poursuivait en Syrie. Et que le clan Assad était prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, y compris à exterminer méthodiquement les Syriens (plus de 100 000 morts depuis mars 2011). En employant l’arme chimique contre les civils, Bachar El Assad est-il allé trop loin, cette fois ? La vision de corps convulsés, yeux hagards et lèvres écumantes, a fait le tour des rédactions de la planète. Et l’ONU a crié au crime contre l’humanité, réveillant du coup les consciences assoupies des états membres de son conseil de sécurité qui, à l’exception de la Russie et de la Chine, verraient d’un bon œil la défaite et la chute du bourreau de Damas. Du reste, on peut logiquement se demander en quoi l’usage du gaz sarin est plus abominable, plus intolérable, que les massacres perpétrés avec des obusiers et des mitrailleuses. En matière d’horreur, il y a des subtilités qui ne sont pas toujours évidentes. Il n’empêche : la tension internationale est repartie à la hausse. Et le spectre de la guerre fait, à nouveau, tinter ses inquiétants grelots. Les USA ont  haussé le ton et renforcent leur flotte aéronavale en Méditerranée. Des inspecteurs de l’ONU ont obtenu de Damas l’autorisation d’aller enquêter sur les sites incriminés; nul doute que leurs résultats confirmeront les preuves déjà en circulation. En France, malgré une forte opposition intérieure, le gouvernement sera solidaire du grand frère américain s’il décide une intervention militaire avec ou sans résolution onusienne. Il peut compter sur le soutien, stratégique et diplomatique, d’une quarantaine d’états – dont plusieurs pays musulmans, comme la Turquie – si l’hypothèse d’une coalition internationale se précise. Que fera, dans ce cas, la Russie de Poutine – premier fournisseur d’armes à Assad -, elle qui ne cesse de marteler que les conséquences d’une telle décision seraient terribles ? Sûrement moins que ce qu’elle dit. Car on ne peut pas indéfiniment jouer la carte de la paix pour protéger ses intérêts. On ne peut pas toujours ignorer l’indignation qui monte de partout devant tant d’abominations. Aussi explosive que soit la situation géopolitique dans cette partie du monde, on ne voit pas très bien, à présent, comment cette crise pourrait se résoudre sans l’envoi d’une force internationale. Sans aller jusqu’à l’invasion du territoire syrien – car personne ne veut d’un nouveau bourbier irakien - , cela pourrait se traduire par des bombardements ciblant les centres névralgiques du régime actuel. Cela impliquerait, surtout, de soutenir davantage les forces rebelles à Assad, dont la progression a été stoppée, ces derniers mois, par manque d’armes et de médicaments. Elles pourraient ainsi trouver un second souffle et inverser enfin le cours de la guerre en leur faveur. Ce qu’elles feront ensuite de la démocratie et de la liberté si chèrement acquise est, évidemment, une autre histoire.

 

 

                              Bruno DA CAPO

19:14 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : syrie, assad, gaz sarin, onu

20/08/2013

Vergès l’insolent

 

      

 

 

 Jacques Vergès s’est éteint à Paris, le 15 août dernier, à l’âge de 88 ans. Sa dernière provocation aura été de mourir dans l’appartement qui avait recueilli le dernier soupir de Voltaire voici 235 ans. Entre le philosophe des Lumières et « l’avocat du diable » – comme on l’a si souvent surnommé -, un parallèle peut être esquissé. Si Voltaire a pris la défense des opprimés et des insoumis de son temps  - comme le chevalier de La Barre -, Vergès, lui, a formé sa pensée à l’aune de l’anticolonialisme, sans doute aiguillé par ses origines (père réunionnais, mère vietnamienne). Courageusement il a défendu, au risque de sa  vie, ceux que la république rejetait dans les marges ou condamnait d’avance, comme les terroristes algériens lors de la guerre d’indépendance. Comme Voltaire qui contestait parfois les institutions politiques quand elles lui semblaient injustes ou intolérantes, Vergès axera ses plaidoiries sur la remise en question du système judiciaire comme reflet de la loi du plus fort : ce sera sa fameuse « défense de rupture ». Ce parti-pris politique l’entrainera à défendre principalement des personnalités criminelles honnies par l’opinion publique, tels Klaus Barbie ou Carlos. Pour Vergès, en effet, il n’y avait pas de client indéfendable, aussi monstrueux soit-il. C’était sa conception du métier d’avocat et si bien des critiques sont montées de la société civile et des associations de victimes, aucune en revanche n’est venue de ses pairs. Quoiqu’irréprochable d’un point de vue déontologique, la parcours de Jacques Vergès n’en est pas moins émaillé de zones d’ombre, la plus importante étant sa « disparition » pendant huit ans, entre 1970 et 1978. Par ailleurs, il a souvent affiché ses accointances avec le pouvoir, que ce soit celui, douteux, de la Françafrique ou celui, franchement exécrable, de dictateurs comme Pol Pot ou Saddam Hussein. Cultivant volontiers l’ambiguïté et l’insolence face aux médias, il réservera à ses nombreux ouvrages – dont « Le salaud lumineux » - sa vérité et sa réflexion sur la justice. Ces derniers temps, son narcissisme l’avait même poussé à se raconter sur la scène, mettant en lumière les liens existant entre le théâtre et le tribunal. Au cœur des drames et des conflits qui ont déchiré le XXeme siècle, Jacques Vergès laisse derrière lui l’image séduisante d’un homme de liberté plus que de convictions. Il n’empêche que les défis qu’il a relevés tout au long de sa carrière n’ont pas fini d’être médités par tous ceux qui sont engagés ou qui s’engageront dans la belle et difficile profession d’avocat.

 

 

                           Bruno DA CAPO