03/10/2013
Merci patrons
Qu’elle est loin l’époque où le repos dominical était sacré dans la société française. En ces temps reculés, il n’y avait guère que le boulanger qui tenait boutique le dimanche matin : puisque le pain est, après tout, un symbole évangélique. Dans un autre ordre de valeurs, il n’est pas moins loin le temps où les travailleurs, tous secteurs confondus, faisaient cause commune contre les patrons quand ceux-ci voulaient les faire travailler davantage. On ne refusait pas de bosser mais on voulait aussi du repos et des loisirs pour se ressourcer près des siens, vivre tout simplement sans contrainte un jour ou deux par semaine. Oui, les temps ont bien changé ; nous sommes manifestement entrés dans une autre ère : celle de la civilisation du travail et de l’économie souveraine. Au nom de ces sempiternels motifs que sont la crise et la concurrence, un système de travail continu se met progressivement en place, fragmentant toujours plus les horaires et les salaires. Qu’importent désormais les vieux rythmes sociaux, la convivialité des dimanches et des jours de fêtes face à la religion du chiffre d’affaires ? Car dans une société largement déchristianisée comme la nôtre, il n’y a aucune raison objective pour que l’on perde ainsi de l’argent. Les gens consomment-ils moins ces jours-là que le restant de la semaine ? Sûrement pas ! Et si ce n’est pas encore le cas, on s’arrangera pour que ça change. Du coup les patrons redressent la tête, transgressent allègrement les lois, s’opposent à l’état. Depuis le temps que le discours libéral leur serine qu’ils sont les héros de notre époque, ils finissent par croire que ce sont eux - et pas leurs employés- les véritables créateurs de richesses. Karl Marx : un has-been face à Friedrich Hayek et Milton Friedman. L’attitude de Leroy-Merlin et de Castorama, dimanche dernier dans la région parisienne, est hautement révélatrice de ce renversement théorique en France. Dans ces supermarchés du bricolage, on ne peut tenir la loi limitant le travail dominical que comme un ukase rétrograde. D’ailleurs, disent-ils, tout le monde est content : les employés dont les salaires sont ainsi majorés, comme les familles qui peuvent faire, le dimanche, les achats qu’ils n’ont pas eu le temps de faire dans la semaine. Et tous de soutenir ces courageux patrons, bienfaiteurs de l’homo-économicus, contre ces ignares qui nous gouvernent. La réalité est légèrement différente. Il s’agit d’abord pour ces deux enseignes de ne rien céder à leurs concurrents sectoriels qui bénéficient de dérogations le dimanche, notamment en vertu de leur situation géographique (les fameuses zones touristiques). D’autre part, en généralisant les CDD et les heures supplémentaires pour les employés qui le souhaitent – mais ont-ils vraiment le choix ? -, les patrons évitent ainsi de réajuster collectivement les salaires. Sous couvert de favoriser les plus méritants, on entretient la précarité de tous les autres. Puisque chacun ne pense plus qu’à son intérêt immédiat… Leroy-Merlin et Castorama devront néanmoins s’acquitter d’une amende de 120 000 euros pour chacun de leurs établissements frondeurs. Quatorze d’entre eux étant concernés, cela représente quand même une rentrée substantielle dans les caisses de l’état. Entre celui-ci et les deux enseignes de bricolage, un bras de fer semble engagé. Reste à savoir combien de temps elles pourront payer, chaque dimanche, cette somme – même si elles escomptent, en contrepartie, des bénéfices bien supérieurs. Au fait, si tous les clients du dimanche travaillaient, eux aussi, comme les employés de Castorama et de Leroy-Merlin, qui irait se servir chez eux ?
Erik PANIZZA
14:47 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castorama, leroy-merlin, concurrence, amende
27/09/2013
Bruissements (26)
Allemagne : Avec un volume d’échanges représentant 28% de l’économie européenne (celui de la France atteint à peine les 19%), l’Allemagne est unanimement regardé comme le bon élève de l’UE. Tout ce qui s’y déroule, à commencer par ses élections, est évidemment très suivi. Mais un pays ne se mesure pas seulement à l’aune de sa réussite économique ; le bonheur et la prospérité de ses membres sont aussi des paramètres qu’il ne faut pas négliger pour son appréciation générale. Et là c’est, outre-Rhin, une autre paire de manches. Réélue sans surprise au poste de chancelière, dimanche dernier, avec 42% des voix, Angela Merkel va devoir prêter davantage l’oreille aux voix discordantes et revendicatrices qui montent de plus en plus autour d’elle. Car tout n’est pas rose au pays de Bach et de Goethe. Malgré ses 80 millions d’habitants, l’Allemagne est menacée par la dénatalisation à moyen terme. Et le SMIC n’y existe pas encore, ce qui permet à bien des patrons de faire travailler des employés sans qualification pour 3 euros de l’heure, voire moins. Allez vivre décemment avec ça ! Voilà une explication au « miracle allemand ». Harmoniser les rémunérations sera certainement l’un des grands chantiers d’ « Angie » pour les quatre années à venir. Taxer un peu plus les grands dirigeants d’entreprise en sera peut-être un autre. D’autant qu’un gouvernement de coalition entre la CDU et le SPD, son rival social-démocrate, se profile – la chancelière ayant raté de peu la majorité absolue. Voilà de quoi rapprocher encore un peu plus l’Allemagne de la France.
Transition énergétique : Hollande va-t’il tenir ses promesses de campagne en matière d’environnement ? Beaucoup, dans ce pays, l’espèrent et ses déclarations, lors de la récente conférence environnementale, laissent penser qu’il ne les a pas tout à fait oubliés. D’ici fin 2014, une nouvelle version de la « taxe carbone », plus progressive, moins pénalisante pour les ménages, devrait entrer en vigueur. La baisse de la TVA – de 10 à 5% - sur la rénovation thermique des logements est une autre mesure qui sera appréciée par un grand nombre de Français. Restent la réduction de la consommation en énergies fossiles – les plus polluantes – et la progressive diminution de la part du nucléaire dans la production énergétique nationale. Là, c’est loin d’être chose faite. On ne sait toujours pas si la vieille centrale de Fessenheim sera fermée en 2017. Cela n’a rien de surprenant quand on sait qu’elle est gérée par EDF et qu’il faudrait, dans ce cas, que l’état dédommage M. Proglio à hauteur de deux milliards d’euros. Voit-on mieux pourquoi les choses sont si longues à débloquer en ce domaine ?
Lobbies : cette affaire repose le problème des lobbies industriels qui interfèrent de plus en plus dans la vie politique européenne. C’est particulièrement inquiétant lorsqu’ils cherchent à contourner les normes sanitaires en vigueur. Ainsi Philip Morris, la tristement célèbre firme de cigarettes, aurait tenté d’influencer les arbitrages des députés européens en ce domaine. Car pour celle-ci, l’UE représente avant tout un marché de 500 millions d’acheteurs potentiels. On voit d’ici les pressions et les pots de vin. Evidemment quand c’est Corinne Lepage qui est au bout du fil, le succès est moins assuré qu’avec d’autres députés. Rappelons quand même que l’on estime à 700 000 le nombre des décès prématurés causés, chaque année, par l’usage du tabac dans l’U E.
GTA 5 : voulez-vous vivre simultanément les aventures d’un braqueur de banques, d’un escroc et d’un psychopathe ? Entrez dans une boutique de jeux vidéo et prononcez seulement ces quatre syllabes : GTA 5. Sorti le 17 septembre dernier, ce cinquième opus de la série Rockstar Games a mobilisé 250 informaticiens pendant 5 ans et a couté la bagatelle de 137 millions de dollars (c'est-à-dire encore plus qu’un blockbuster hollywoodien). Evidemment, ses créateurs escomptent un bénéfice bien supérieur, d’autant qu’il s’arrache comme des petits pains depuis son lancement. Devant un tel succès, la question est bien de savoir pourquoi il y a tant de gens, dans le monde, qui éprouvent le désir de vivre d’autres vies que la leur. Aristote voyait dans l’art dramatique une purgation des passions humaines (la fameuse « catharsis »). Pour le grand public, et surtout les plus jeunes, il semble que ce soit aujourd’hui les jeux vidéo qui assurent cette fonction. A moins qu’ils n’entrainent insidieusement leurs adeptes à confondre la fiction et la réalité, jusqu’à se résoudre dans la violence gratuite. Une vraie question de société, vous dis-je.
Honnêteté : l’honnêteté paierait-elle ? Ce serait assurément une nouvelle surprenante – mais une bonne nouvelle, quand même – dans ce monde où la corruption semble régner à tous les étages. C’est, en tous les cas, l’expérience qu’a faite un SDF américain de 54 ans en ramenant à la police de Boston un sac à dos égaré qui ne contenait pas moins de 42 000 dollars en liquide et en chèques. Son propriétaire, un jeune comptable de Virginie, a aussitôt lancé, pour le remercier, une collecte de fonds sur Internet. A ce jour, elle a rapporté quelques 100 000 dollars, ce qui va permettre à l’honnête SDF de repartir d’un bon pied dans la vie. Certains jours, on voudrait croire aux contes de fées…
Erik PANIZZA
17:26 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : allemagne, énergie, lobbies, gta 5
24/09/2013
C’est pour mieux te manger mon enfant
Beau tintamarre à droite ! C’est à qui montrera qui est capable de faire alliance avec le loup. Le loup, c’est le FN, pas le grand méchant loup. Nous ne sommes plus dans un cartoon ou Walt Disney. Ni dans un jeu de rôles. Non, nous touchons le fond. De plus en plus de militants UMP (60%) appuient le rapprochement de la droite dite républicaine avec le FN. Marine s’est certes habillée pour la circonstance (Municipales obligent) en grand-mère gâteau qui ne veut que du bien à notre beau pays et aux petits Français (et quand elle dit Français, on comprend bien de qui elle ne veut pas parler). Son opération séduction marche du feu de dieu. Tirez la chevillette et on sera élu ! Comment ? ça c’est une autre histoire ! A trop jouer avec le feu, on risque de se brûler non seulement les doigts mais le bras tout entier. Les caciques de l’UMP devraient relire Le singe et le chat du grand La Fontaine. Quand l’un s’attèle à tirer les marrons du feu, l’autre en profite pour les croquer. Ce jeu de dupes est non seulement malodorant mais contre-productif. Complaire à son électorat est certes la tentation. C’est aussi le signe que plus rien ne va plus au sein de notre Droite. A sa façon, Sarkozy et son ami Buisson, ont levé l’interdit. Copé, Fillon et d’autres ont décidé de creuser le sillon. Face à une Gauche qui se délite, on assiste aujourd’hui à la mort d’une Droite classique dont rien ne dit qu’elle ne finira pas par perdre l’âme qui était sienne. Alors viendra le temps des théories musclées, des nervis assassins. « Grand-mère, pourquoi as-tu d’aussi grandes dents ? » demandera Copé sans chaperon. « C’est pour mieux être élue ! » lui répondra Marine.
Yves Carchon
19:30 Publié dans numéro 12 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fn, copé, loup, marine