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14/06/2013

Bancs publics

 

                       

 

 Parmi les différents types de mobilier urbain qui jalonnent nos villes, le banc public est sans nul doute l’un des plus anciens, l’un des plus nécessaires aussi. En fer ou en bois – parfois les deux -, il offre ses courbes rigides à quiconque ressent un peu de fatigue après une bonne marche. Celui qui s’ennuie par une chaude après-midi d’été y trouve  l’occasion de se délasser un peu, soit en poursuivant la lecture d’un roman, soit en y pratiquant la contemplation muette des passants. Bien des personnes âgées y font des haltes prolongées et quotidiennes; il n’est d’ailleurs pas rare que des petits groupes d’individus vieillissants élisent l’un d’eux pour siège de leurs interminables discussions sur le monde comme il va. Quant aux « novis », ces jeunes amoureux chantés par Brassens et photographiés par Doisneau, ils viennent toujours s’y bécoter avec fougue, prélude à des ébats et des rendez-vous dans des espaces plus intimes. Si les bancs publics offrent, par leurs dimensions, un support collectif de détente, certains évoluent maintenant vers le siège individuel, comme on le constate dans d’autres villes européennes. Dans le cœur de Munich, on trouve ainsi des chaises métalliques disposées circulairement, de façon à permettre aux gens qui s’y assoient d’observer le spectacle incessant de la rue. A Vienne, dans les espaces verts qui bordent le Ring, la municipalité met même des transats à disposition des promeneurs ; et ils sont nombreux, l’été, à venir s’y faire bronzer en toute gratuité. C’est à ce souci d’amélioration du vécu urbain que l’on mesure aussi le degré d’évolution d’une société.

Rien de ce confort ne se retrouve, hélas, dans le centre-ville de Marseille redessiné par monsieur Gaudin et ses architectes. Sur le quai des Belges, les bancs publics, déjà peu nombreux avant les travaux de réaménagement, ont maintenant disparus. Terminé la gratuité d’une demi-heure de repos face à la Bonne Mère qui trône au loin, dans le décor. Des fois où quelques SDF auraient le mauvais goût de donner aux touristes le spectacle déplorable de leur avachissement… Seuls deux ou trois « survivants » en bois demeurent aux abords de la tour Saint-Jean. Notez bien que ce ne sont pas les bars avec terrasse qui manquent dans les parages, si vous voulez flemmardez un moment. Là, un garçon, généralement impoli et pressé, viendra prendre votre commande, que vous ayez soif ou non. Coût moyen d’une consommation : 3 euros. Il faut bien faire travailler le commerce… Cette disparition des bancs publics dans cette partie  - sans doute la plus fréquentée – de la ville en dit long sur le caractère mercantile de ce projet d’embellissement urbain. Il faut rentabiliser par tous les moyens ce « cadeau » prétendument fait aux Marseillais ; et chacun, d’une façon ou d’une autre, doit mettre la main à la poche. En attendant qu’un autre maire propose un jour de faire payer les heures d’ensoleillement passées au bord de la mer.

 

                                      Jacques LUCCHESI

15:48 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : banc public, brassens, gaudin, sdf

10/06/2013

C’était la Gauche...

 

 


La nostalgie nous prend quand on regarde ce que la Gauche est devenue. La mort de Pierre Mauroy nous le rappelle cruellement. Avec lui, c’est la Gauche qui s’en va, celle qu’on aimait, qui portait haut et loin les idées progressistes de la France. Avec lui, c’est aussi le courage de tenir ses promesses qui s’en va. Le 10 mai 81, quand Mitterrand accéda au pouvoir, ce fut une grande et belle bouffée d’oxygène pour la France. Nommé Premier ministre, Pierre Mauroy, petit-fils de bûcheron et fils d’instituteur, est un homme du Nord. Jovial, généreux, partageux comme un chti, il est (au sens sartrien) de gauche : culturellement, viscéralement, je dirais même intrinsèquement. Il connaît la souffrance des petits, les difficultés du monde ouvrier, ce que signifie se tuer au travail. Bref, il n’a rien du produit politique-ENA clé en mains ! Il fait partie du peuple et rêve d’une France fraternelle et juste. Y travailler sera son ambition. Porté par ses idées, le socialisme, il entreprend les grandes réformes dès la première année : la cinquième semaine de congés payés, la retraite à soixante, c’est lui. L’’abolition de la peine de mort, la décentralisation, les radios libres, la place de la Culture avec Jack Lang..., c’est aussi lui. Pierre Mauroy, c’est l’histoire qui s’écrit. Porté par des idées, il entame des réformes pour la France. Mais le courage - le cœur - est là, contrairement hélas à aujourd’hui... Pour Pierre Mauroy, qui appartient autant au monde d’Hugo qu’à Jules Vallès, la Gauche, c’était une geste qui devait rétablir l’égalité entre les hommes, la solidarité entre Français. Grand homme d’Etat, il sut convaincre Mitterrand de la nécessité de la rigueur avec un Jacques Delors aux manettes de l’Economie. Il fallait du courage pour prendre une telle décision : il la prit, sachant fort bien qu’un tel tournant serait reçu comme une trahison par les siens. En le perdant, on se prend à se dire : Mauroy, c’était la Gauche. Notre Président (de gauche ?) serait bien inspiré, à la faveur de cette disparition, de faire sérieusement son examen de conscience. Mais le peut-il, sachant qu’on l’assimile plus volontiers au monde du Petit Chose qu’aux barricades des Misérables ?

 

                                                         Yves CARCHON

14:38 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mauroy, chti, bucheron, hugo

03/06/2013

Cinéma : « Hannah Arendt », de Margarethe Von Trotta

 

 

Construire le scénario d’un film d’environ deux heures sur une polémique intellectuelle ; montrer la pensée au travail à travers des personnages reflétant autant de personnalités historiques : voilà certainement une gageure par ces temps de cinéma distractif et sensationnel à tout prix. Ce pari, Margarethe Von Trotta l’a relevé et assumé avec brio dans « Hannah Arendt », son dernier film consacré à la philosophe judéo-allemande. Loin d’être un simple biopic – une biographie filmée – de l’auteure des « Origines du totalitarisme », ce film s’attache à un moment  particulièrement mouvementé de sa vie, lorsqu’Arendt, devenue citoyenne américaine, couvrît pour un magazine new-yorkais  le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem (1960-1961). Chacun sait le rôle capital que celui-ci prît dans la planification et l’extermination des Juifs européens durant le deuxième conflit mondial. Ce ne fut  pourtant qu’un homme ordinaire, fonctionnaire zélé au service d’une tâche abominable, que le monde entier découvrît à cette occasion (il n’apparaît ici qu’à travers des images d’archives). Un homme complètement identifié avec sa fonction, qui avait fait taire en lui toute forme de conscience morale, allant jusqu’à citer Kant pour justifier sa soumission à un régime monstrueux. Précisément, c’est devant ce vertigineux décalage qu’Hannah Arendt déduisit son concept de « banalité du mal ». Loin d’être la manifestation d’un ego hypertrophié, loin de surgir romantiquement des abimes de l’être, ce mal absolu était celui, froid et mécanique, d’une société toute entière, sorte de renversement normatif excluant toute passion. Cet effort de penser un système dans le temps même d’un procès singulier à plus d’un égard, les révélations des accords passés entre les nazis et les conseils juifs (qui favorisèrent, bien plus qu’ils ne limitèrent, le génocide de leur peuple), tout cela devait lui valoir la vindicte de l’opinion judéo-américaine et l’éloignement de ses collègues universitaires. L’exigence de vérité est souvent à ce prix. Contrairement à Martin Heidegger, docile suiveur du national-socialisme, Hannah Arendt eut le courage de penser contre soi, de mettre en question ses appartenances, sociales et raciales, et c’est cela qui lui confère son indéniable grandeur philosophique. Le film revient aussi sur les troubles rapports qu’elle entretint jusqu’au bout avec l’auteur de « L’Etre et le Temps ». Dans le rôle de la philosophe intrépide, Barbara Sukowa est superbe de justesse et de conviction. Elle éclaire et rend attachante son personnage d’un bout à l’autre du film, tenant la pensée du spectateur en éveil, évitant l’écueil de l’ennui.

Une symbiose réussie entre les pouvoirs du logos et ceux de l’image.

 

              Jacques LUCCHESI