02/07/2013
Femen : une sanction qui dérange
La nouvelle, le 12 juin dernier, fit le tour des rédactions du monde entier : trois Femen européennes – deux Françaises, une Allemande – venaient d’être condamnées par la justice tunisienne à quatre mois de prison ferme. Le motif était le même qu’en France : l’exhibition publique de leurs seins nus devant un bâtiment officiel par solidarité avec Amina Sbouï, seule Femen tunisienne connue et emprisonnée depuis le 19 mai. Son crime : avoir montré ses seins, elle aussi, mais en photo seulement et sur Facebook. Les associations féministes françaises crièrent, bien entendu, au scandale, dénonçant une justice aux mains des islamistes ; tandis que notre actuel gouvernement déplorait la sévérité de la peine. Quatre mois de prison, c’est beaucoup et c’est peu, au regard des peines autrement plus lourdes que subissent bien des militants politiques dans leurs pays d’origine (ainsi, Amina Sbouï a, elle, écopé de deux ans).
C’est là, justement, toute l’équivoque – et la saveur, aussi – de cette affaire. Les trois Femen européennes se situaient ouvertement dans cette mouvance. Pour elles, se dénuder sur la voie publique constitue un acte politique et pas licencieux. Un argument certes discutable mais que les juges tunisiens n’ont pas cru bon de retenir, se limitant au vieux critère d’attentat à la pudeur. L’opinion française indignée a peut-être feint de l’ignorer, mais le même délit existe aussi dans notre droit pénal. Voici ce que dit le texte en vigueur depuis 1993 : « L’article L222-32 du Code Pénal remplace l’ancienne loi sur l’outrage public aux bonnes mœurs (article 330) et prévoit que l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 1500 euros d’amende. »
Un an d’emprisonnement ! On a bien lu la peine que prévoit, à l’encontre des exhibitionnistes de tout sexe, notre loi. Et personne n’oserait soutenir que la poitrine féminine dénudée en place publique n’entre pas dans cette catégorie de délits. Seulement en France, la loi n’a jamais été appliquée pour les Femen, sans doute par complaisance du pouvoir politique à leur égard. Ont-elles cru qu’elles pouvaient bénéficier de la même impunité n’importe où dans le monde ? Je ne le crois quand même pas. Car on peut parfois regretter que le monde entier ne soit pas aligné sur nos valeurs, mais on doit, de gré ou de force, en prendre acte. En allant exhiber leurs glandes mammaires en Tunisie, nos trois Femen se doutaient que leur geste ne serait pas aussi bien toléré qu’en France. La justice tunisienne, quoiqu’on en dise, n’a pas été bien sévère avec elles. Cela n’enlève rien à leur courage, ajoute même du sens à leur action : car là où nulle sanction n’accompagne la transgression d’un interdit, la charge politique est à peu près nulle, se réduit à une simple gesticulation. Du reste, elles ont finalement été libérées le 27 juin, après un mois de détention, tandis que leur consoeur tunisienne est, elle, restée derrière les barreaux. Une mesure de faveur, dictée par la diplomatie, qui renforce paradoxalement le sentiment d’inégalité entre les peuples. Alors même que la solidarité était la motivation initiale des trois militantes féministes.
Bruno DA CAPO
19:36 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : femen, tunisienne, prison, transgression
28/06/2013
Affaire Tapie : vers la fin du feuilleton ?
Bernard Tapie, c’est l’histoire d’une énergie dont il est momentanément le nom. C’est l’histoire d’un joueur aux ambitions insatiables, toujours changeantes : chanteur, homme d’affaires, dirigeant d’un club de football, homme politique, comédien, animateur…Les Français vivent maintenant depuis plus de trente ans avec cette personnalité provocante qui se joue de tous les codes. Ils suivent l’évolution de sa vie publique comme un feuilleton à rebondissements, avec la fascination que le peuple porte à ceux qui osent défier les normes. Vie pour le moins sinusoïdale, où l’abime n’est jamais loin du sommet.
Sa dernière affaire en date l’illustre assez parfaitement ; elle pourrait bien mettre un frein sérieux à la volonté de puissance de ce corsaire de la république (qui, depuis, a fait main basse sur la presse quotidienne de la PACA). Car sa richesse retrouvée, voici cinq ans, repose – plus personne n’en doute à présent – sur un nouveau coup de poker ; l’une de ces décisions politiques scandaleuses qui contribuent à ébranler un peu plus la confiance, déjà bien fissurée, entre le citoyen et l’état. Imagine-t’on ce que représente, pour tant de gens qui peinent à joindre les deux bouts dans ce pays, l’octroi de 403 millions d’euros de dédommagements à un particulier, fut-il Bernard Tapie ? Que signifie un préjudice moral estimé à 45 millions d’euros quand la justice française n’en accorde que le centième, ou guère plus, à des innocents qui ont purgé de longues peines de prison? On comprend bien, dans cette nouvelle loterie nationale, que les dés sont étrangement pipés. Pour continuer de filer la métaphore, cette affaire évoque le jeu bien connu des dominos, chaque pièce entrainant la suivante dans sa chute. Il y a d’abord eu Christine Lagarde, entendue par les juges en qualité de témoin assisté, pour la procédure exceptionnelle d’arbitrage qu’elle a avalisée lorsqu’elle était ministre des finances. La justice a eu moins d’égards avec Pierre Estoup – l’un des trois arbitres avec Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin -, mis directement en examen malgré son grand âge (87 ans). Mise en examen aussi pour Jean-François Rocchi, ex président du CDR et Stéphane Richard, alors directeur de cabinet de Christine Lagarde et actuel PDG d’Orange. L’enquête devait forcément remonter jusqu’à Bernard Tapie lui-même, mis en examen, mais dans un cadre hospitalier, depuis lundi dernier. Au terme des quatre jours d’audition réglementaires, il est ressorti libre ce matin, quoique la justice n’en ait pas encore fini avec lui. La dernière pièce du jeu pourrait bien être Nicolas Sarkozy, déjà impliqué dans d’autres affaires non moins douteuses et qui devrait, dans ce cas, s’expliquer sur les rapports qu’il entretenait avec Bernard Tapie, alors fréquemment invité à l’Elysée. Selon toute vraisemblance, la procédure d’arbitrage de 2008 risque d’être annulée par l’actuel gouvernement et Tapie sommé de rembourser le pactole empoché. Reste qu’une nouvelle procédure pourrait être alors engagée par l’homme d’affaires avec, à la clé, des prétentions financières encore plus exorbitantes.
Bruno DA CAPO
15:34 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tapie, lagarde, arbitrage, pactole
18/06/2013
Bruissements (22)
Retraites : la question des retraites est actuellement le sujet politique le plus préoccupant en France. Et quoi de plus normal puisque tous les Français, de près ou de loin, sont concernés. Il n’a pas pesé pour rien dans la défaite de Sarkozy, l’an dernier, et le peuple de gauche, dans sa majorité, attendait de François Hollande une révision ferme de la loi Fillon (novembre 2010). Or, force est de constater que celui-ci tergiverse sur ce dossier et, finalement, tente de poursuivre avec des aménagements les réformes entreprises par son prédécesseur. Au motif que la durée moyenne de la vie s’est notoirement allongée, il voudrait ainsi porter la durée des cotisations-retraites de 40 à 42 ans, voire 44 ans. On voit sans effort de calcul à quoi peuvent s’attendre les jeunes – et ils sont nombreux – qui prennent leur premier emploi à 26 ou à 28 ans, aujourd’hui. Doit-on accepter de travailler jusqu’à 70 ans parce que l’on peut espérer vivre jusqu’à 85 ans – d’ailleurs dans quelles conditions - ? N’y a-t-il pas une limite naturelle, aujourd’hui comme demain, où le corps humain ne peut plus fournir d’efforts soutenus et réguliers ? Comme le disait avec pertinence le leader du Front de Gauche, si les gens vivent plus vieux, c’est aussi parce qu’ils travaillent moins. Vieille rengaine qui a, au moins, le mérite de pointer la régression sociale là où l’on parle d’ajustement à la réalité. La volonté de faire porter une partie du poids des réformes sur les actuels retraités n’est pas moins contestable. Pour certains, il n’est pas acceptable que les retraités vivent mieux, aient plus d’avoir que les jeunes ménages. Et d’entonner le refrain galvaudé de la solidarité intergénérationnelle. Mais se sont-ils demandé comment ont vécu les actifs d’hier pour bénéficier maintenant d’un relatif confort financier ? N’ont-ils pas trimés et souffert, eux aussi ? N’ont-ils pas été assez pressurés pour qu’on veuille encore réduire leur pouvoir d’achat? Le pire est encore que ce stupide discours trouve un écho, voire un aval, chez les retraités eux-mêmes. Certains se culpabilisent, vont jusqu’à trouver injuste d’avoir plus d’avantages que leurs descendants : comme s’il n’était pas normal d’être plus riche à 65 ans qu’à 25. C’est contre ce formatage bêtifiant des esprits que le Franc-Tireur entend réagir. Plus personne ne doit avaler de telles couleuvres, qu’elles soient estampillées de Droite ou de Gauche.
Méric : que la vie ne soit pas juste, nous le savons tous intuitivement et les probabilités de vivre jusqu’à un âge avancé seront toujours démenties par les accidents individuels. Ainsi le parcours de Clément Méric, qui s’est refermé à seulement 18 ans par un beau soir de juin. Quelles qu’en soient les causes, la mort d’un jeune homme laisse toujours un goût amer. Mais ce qui n’aurait pu n’être qu’un fait-divers sordide (comme il s’en produit hélas fréquemment) a pris aussitôt une dimension politique. Car Clément Méric a été frappé à mort parce qu’il affichait ouvertement ses convictions gauchistes. Ce n’est pas nouveau dans notre histoire et, par le passé, d’autres jeunes gens ont connu le même sort que lui pour les mêmes raisons. Mais voilà, dans la France de 2013, ce genre d’homicides n’est plus supportable ; il accuse, bien plus qu’il n’excuse, leurs auteurs. Pour mettre un terme à l’instrumentalisation politicienne de cette affaire, Jean-Marc Ayrault a donc demandé la dissolution des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires – groupuscule d’extrême-droite auquel appartenait l’assassin de Clément Méric. Mais nous vivons dans un état de droit et il faut encore que la justice entérine cette demande gouvernementale. De toutes les façons, elle ne règlera pas le problème de la violence extrémiste et de la séduction qu’elle exerce sur des jeunes en rupture avec les valeurs démocratiques. Car le danger, dans nos sociétés, ne vient pas seulement que des militants islamistes. C’est ce que cette triste affaire nous rappelle.
Marseille-Métropole : déception pour les 109 maires des Bouches du Rhône qui ferraillaient avec l’Etat depuis trois ans autour du projet Marseille-Métropole. Celui-ci a finalement été adopté par le Sénat, mardi 4 juin, à l’instigation de Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation. Une victoire, selon elle, pour les habitants de ce territoire qui verront ainsi leurs problèmes traités à la bonne échelle. Evidemment, il y a encore des « résistants » parmi les élus locaux : on ne renonce pas aussi facilement à son autonomie et à ses petits privilèges. Mais malgré la fronde annoncée, il y a toutes les chances que le projet de Marseille-Métropole, après celui du Grand Paris et de la métropole lyonnaise, prenne effet en janvier 2016. Gageons, en attendant, que ces doléances coloreront la campagne des municipales de 2014.
Erik PANIZZA
14:12 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : retraites, méric, marseille-métropole