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20/05/2016

Passage en force

                             

 

 

Dans la Constitution de 1958, l’article 49-3 est celui qui permet au chef du gouvernement de faire voter une loi (de finances) sans passer par le débat parlementaire. Article régalien par excellence dont l’usage – et encore plus l’abus – équivaut à un déni de démocratie (comme l’a souvent fait remarquer François Hollande par le passé). En faisant adopter par ce procédé l’impopulaire loi El Khomri sur la réforme du Code du Travail, Manuel Valls a enfoncé un peu plus le clou dans le cœur des socialistes. Certes, au fil des semaines, ses rédacteurs l’ont  un peu édulcorée ;  mais il n’en reste pas moins qu’elle corrobore, à un an des présidentielles, le tournant libéral pris contre toute attente par ce gouvernement. Quoique ses auteurs s’en défendent, elle fait la part un peu trop belle aux entrepreneurs sur les salariés. Durée du temps de travail, salaires ou congés: tout va pouvoir être négocié en dehors de toute convention syndicale. Quid de l’équilibre des forces en présence ? A ce jeu-là, on le sait bien, les patrons finiront toujours par avoir le dernier mot, quitte à lâcher un peu de lest. Le pot de terre contre le pot de fer.

Les cinquante six députés socialistes qui se sont élevés courageusement contre cette loi l’ont bien compris. Mais leur motion de censure – contrairement à celles des élus de Droite – n’a pu être avalisée, vu qu’il manquait  deux voix au chapitre. Le projet va maintenant passer au sénat avant de revenir à l’Assemblée Nationale pour un vote définitif, en  juin prochain. Depuis, la colère embrase de plus belle la rue avec les excès que l’on sait, noyant dans la violence les plus justes intentions, entretenant une confusion délétère entre manifestants et casseurs.  Les grèves, un peu partout, se multiplient à l’initiative des syndicats, dernier recours pour essayer de faire  plier le gouvernement.

Mais François Hollande reste inflexible. Au cours de ces quatre dernières années, il a été assez critiqué pour ses reculades et ne veut pas d’un CPE bis. Au lieu de ça, le chef de l’état affiche publiquement son optimisme. Pour lui le pays va mieux et la reprise est là. D’où de prochaines baisses d’impôt et des primes accordées, çà et là, aux fonctionnaires. Et de s’ériger en rempart contre les futurs candidats de Droite – qui ont, il est vrai, des programmes encore plus libéraux que le sien. A défaut de pouvoir dire « moi ou le chaos » - puisque chaos il y a déjà -, « moi ou la Droite » est devenu l’argument principal de sa prochaine campagne. Son attitude a de quoi remonter l’autre partie de la Gauche, celle qui lui rappelle que ce n’est pas pour ces réformes-là qu’il a été élu. Mais tout comme pour la loi sur le travail, le débat est également verrouillé sur ce point. La politique du dialogue a cédé le pas, là aussi, à celle du passage en force. Car Hollande ne veut surtout pas qu’il puisse y avoir une autre alternative que  lui à Gauche. Et pourtant….

 

              Bruno DA CAPO

13/05/2016

Bruissements (62)

 

 

 

Erdogan: drôle de pays que la Turquie, pourtant officiellement notre alliée dans la lutte contre Daesh ! Son président, Recep Erdogan, envisage de réformer la constitution laïque d’Atatürk pour y réintroduire l’Islam comme religion d’état. Depuis son arrivée au pouvoir, les condamnations de journalistes se multiplient et la presse libre est menacée d’étouffement. Et c’est sans même parler du chantage aux migrants que ce pays – candidat à l’entrée dans l’U E – nous fait contre d’importantes subventions. De là à limiter notre liberté d’expression pour plaire à son « sultan »…C’est ce qui semble s’être produit en Allemagne, après qu’Erdogan ait porté plainte, le mois dernier, contre Ian Böhmermann, un humoriste allemand. Motif : celui-ci l’aurait insulté, à travers un « poème » lu à une heure tardive sur une chaîne de télévision. On parle d’allusions sexuelles douteuses mais surtout de la répression que subissent les Kurdes et les Chrétiens en Turquie. Il n’y a que la vérité qui fâche, on le sait bien. Devant l’insistance des autorités turques, Angela Merkel a fait savoir qu’elle examinerait la demande d’Ankara. Ian Böhmermann sera-t-il trainé devant les tribunaux et condamné par la justice de son pays pour sa liberté de parole envers un chef d’état étranger? Ce serait une « première » en tous les cas et nous ne manquerions pas de le soutenir de ce côté-ci du Rhin.

 

Amende : il y a cependant des réactions plus rassurantes qui émanent de l’U E. Comme le projet d’infliger une amende proportionnelle aux pays membres qui refuseraient d’accueillir leur quota de migrants – et donc de soulager leurs voisins dans cette mission inscrite au cœur de la charte européenne. Ces états réfractaires, on les connaît bien à présent. Ce sont la Hongrie, la Pologne, la Slovénie et la République Tchèque. Avec eux, la défense de l’identité européenne implique des murs hauts et massifs aux frontières. Depuis, la Bulgarie s’est invitée dans le débat, tançant ces états qui veulent profiter des droits européens sans honorer leurs obligations. La Croatie et la Roumanie lui ont emboité le pas. Une ligne de fracture se dessine peu à peu au sein des anciens pays de l’Est. Difficile de s’harmoniser dans une communauté aussi vaste, entre des peuples qui ont tous une histoire singulière, qui poursuivent tous des intérêts égoïstes sous couvert d’adhésion.

 

Evacuation : En France aussi, les réfugiés continuent à soulever beaucoup d’hostilité, malgré les déclarations de principe de nos dirigeants. Comme en témoigne cette évacuation musclée, mercredi 4 mai à Paris, de ceux qui avaient trouvé refuge dans le lycée Jean Jaurès – pourtant désaffecté. 277 personnes ont ainsi été évacuées malgré les protestations d’une centaine de riverains présents sur les lieux. Elles ont été triées selon leur nationalité et leur situation administrative. On parle de les reloger – surtout les femmes et les enfants – dans un centre Emmaüs voisin. Mais ce n’est pas avec ce genre de rafle matinale que la police française va regagner la sympathie de l’opinion publique.

 

Londres : Il s’appelle Sadiq Khan et a 45 ans. C’est un fils d’un chauffeur de bus d’origine pakistanaise. Il a été élu, samedi dernier, maire de Londres - la plus grande métropole européenne - succédant ainsi à l’excentrique Boris Johnson. Il est aussi le premier musulman à accéder à une aussi haute fonction en Angleterre et en Europe. Dans son discours de réception, ce travailliste convaincu a remercié tous ceux qui l’avaient aidé dans cette victoire. Il a rappelé ses origines populaires et sa volonté d’être le maire de tous les londoniens, sans distinction de race ou de religion. Ce n’est pas en France qu’on verra de sitôt une telle promotion. Prochain rendez-vous électoral en Grande Bretagne le 23 juin, pour le référendum sur son maintien ou non dans l’Union Européenne.    

 

Jeux vidéo : bonne nouvelle pour les geeks : les jeux vidéo sont en passe d’être reconnus comme un sport en France. Lundi 2 mai, le Sénat a adopté une mesure permettant cette officialisation. C’était, depuis plusieurs années, une revendication de leurs nombreux pratiquants : rien qu’en France on estime leur nombre à 850 000 et à 4,5 millions celui de leurs spectateurs. Reste que d’appuyer sur des touches ou des manettes ne représente pas un effort physique particulier, de ceux, intenses et puissants, qui caractérisent les sports désignés comme tels. Bon, il y a bien les échecs, où le mental prime de loin sur le physique,  qui font déjà exception à la règle. Alors pourquoi pas les jeux vidéo ? Un autre problème se pose en aval : celui de la publicité et des paris en ligne qui accompagneraient ce type de compétitions. Pour l’heure, ils sont interdits mais la situation pourrait rapidement évoluer, avec les télés et les sponsors déjà en embuscade. Difficile, pour un jeu, d’échapper à l’emprise de l’argent lorsqu’il se transforme en sport.

 

                           Erik PANIZZA

06/05/2016

Retour sur un anniversaire

           

 

 

 Pour le peuple de gauche, mai 36 fût un peu son âge d’or. Pensez donc ! Un rassemblement unitaire de toutes les forces de gauche d’alors, du P C aux radicaux en passant par la SFIO et la CGT, une victoire écrasante aux élections, les ligues d’extrême-droite dissoutes, les droits syndicaux légalement confirmés, les retraites et les salaires augmentés, la semaine de travail abaissée de 48 à 40 heures et deux semaines de congés payés en prime. Du jamais vu dans la longue histoire de la 3eme République ! Et cependant cette euphorie sociale retomba presqu’aussi vite qu’elle était montée : des grèves s’ensuivirent rapidement, la production entra en récession, on dévalua le Franc et les capitaux fuirent massivement le pays. C’est que la promotion des classes populaires ne faisait pas l’affaire de tout le monde en France ; à commencer par les grands patrons qui voyaient avec inquiétude le spectre des nationalisations s’étendre sur leurs entreprises. Rien de nouveau sous le soleil et les lendemains déchantèrent vite. L’expérience du Front populaire prit fin moins d’un an après, marquant le retour au pragmatisme économique. En juin 37, Léon Blum démissionna, cédant son poste de président du conseil  à Camille Chautemps – un modéré – qui, lui-même, le refila pour quelques semaines à Blum, début 38, avant qu’Edouard  Daladier, plus rigoriste, n’en endossât les attributs pour trois années particulièrement tendues, vu le contexte international puis l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne nazie. Si le slogan du Front Populaire « Le pain, la paix, la liberté » devait filer aux oubliettes de l’Histoire, les principaux acquis sociaux votés lors des Accords de Matignon, en juin 36, ne devaient pas, après la guerre, être remis en question, ouvrant la voie à d’autres négociations, d’autres droits pour les travailleurs et les défavorisés. C’est ce qu’on appela longtemps le réformisme socialiste, du moins jusqu’à ces récentes années.

L’Histoire, on le sait bien, ne repasse pas les mêmes plats. Néanmoins, à quatre-vingts ans d’écart, on peut constater quelques similitudes avec notre époque. Comment ne pas s’interroger sur l’échec des socialistes chaque fois qu’ils accèdent au pouvoir ? Leurs prétentions politiques sont-elles si exorbitantes pour se briser aussi vite sur le réel ? D’autre part, tout comme en 36, la protestation populaire, aujourd’hui, est devenue particulièrement audible. Même pour François Hollande qui, en admirateur de Léon Blum, est allé conclure un colloque qu’organisait, mardi dernier, la Fondation Jean Jaurès et le think-tank Terra Nova au théâtre du Rond-Point. D’aucuns ont même dit que c’était son discours d’entrée en campagne qu’il faisait là. Reste qu’on ne sait plus très bien à quel électorat il va s’adresser maintenant. Parti, la fleur aux dents, avec Blum pour modèle (mais sans l’élégance morale de son aîné), François Hollande risque fort de finir son quinquennat dans la posture peu glorieuse de Daladier.

 

                       Jacques LUCCHESI