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05/02/2016

Bruissements (57)

 

Taubira : En annonçant publiquement sa sortie du gouvernement, mercredi 27 janvier, Christiane Taubira a fait l’évènement. Etait-ce pour autant une surprise ? Non, car l’ex-Garde des Sceaux était notoirement en désaccord avec le projet de loi sur la déchéance de nationalité porté par François Hollande et Manuel Valls – ce que son petit livre, depuis, a confirmé. Et ce n’était pas, bien sûr, la première fois que ses convictions étaient heurtées par la tournure prise par ce quinquennat prétendument socialiste. (Rarement on aura enregistré autant de démissions, volontaires ou non). Le premier ministre a hypocritement salué son départ, osant dire qu’elle manquerait au gouvernement : pas à lui, en tous cas, vu leurs rapports tendus depuis 2012. Le bilan qui se dégage des trois années de Christiane Taubira à la place Vendôme est plutôt mitigé. Si elle a réussi à faire voter la loi instaurant le mariage pour tous en 2013 et, un an plus tard, la suppression des peines-planchers, elle a échoué en revanche sur la réforme de la justice pour les mineurs et la suppression de la Cour de Justice de la République. Partisane des peines alternatives à l’incarcération (comme le bracelet électronique), elle fut souvent critiquée par l’opposition pour son supposé laxisme : reste que les prisons, sous son ministère, ne se sont pas désengorgées ni améliorées en qualité de vie. D’autre part – et c’est plutôt inquiétant – jamais une ministre n’aura été aussi raillée pour sa couleur de peau et ses origines raciales. De basses calomnies que cette femme au caractère bien trempée a su traiter avec le mépris qu’elles appelaient. Avec Christiane Taubira c’est une certaine idée de la Gauche qui quitte à pas feutrés ce gouvernement. Où les absents sont maintenant plus remarquables que ceux qui restent.

Iran : Avec la levée des sanctions économiques contre l’Iran et son retour dans la communauté internationale, c’est un marché potentiel de quatre-vingts millions de consommateurs qui s’ouvre aux industries européennes. De fait, on déroule un peu partout le tapis rouge à son président, Hassan Rohani, transformé en super-représentant de commerce. En enfouissant sous le même tapis les questions liées aux droits de l’homme et à la répression féroce qui s’exerce toujours au pays de l’ancienne Perse. On redécouvre aussi les différences de cette civilisation avec la nôtre, notamment pour ce qui touche à la pudeur et à l’impudeur. La semaine dernière Matteo Renzi, qui recevait le président iranien à Rome, a cru bon prendre les devants et faire voiler les nus antiques qui peuplent les musées italiens. Belle façon de voiler aussi son identité culturelle pour plaire à ce visiteur richissime. A-t’on jamais vu des chefs d’état musulmans se mettre à la mode occidentale lorsqu’ils reçoivent un dirigeant européen en visite officielle ? La France, qui accueillait le lendemain, le délicat Rohani, a banni le vin du banquet de réception à l’Elysée, François Hollande ayant chargé Manuel Valls d’assurer le discours de bienvenue. Notre cher président ne s’est pointé qu’à l’heure du thé pour parachever la négociation de juteux contrats avec son homologue iranien. En évitant soigneusement d’évoquer les questions qui fâchent. Ainsi va le monde quand l’économie y règne en souveraine absolue.

Jours de colère : Mardi 26 janvier, il y avait beaucoup de monde dans les rues pour protester contre la politique gouvernementale. Les enseignants, bien sûr, opposés à la réforme scolaire par le bas de Najat Vallaud-Belkacem, mais aussi les fonctionnaires en lutte contre l’austérité planifiée qui bloque depuis quatre ans leur indice de progression. Quant aux taxis, en grève eux aussi, ils pestaient contre l’intrusion d’Uber dans ce qu’ils estiment être leur pré carré. A Marseille, place Castellane, on a vu quelques pneus brûler et enfumer le ciel ce jour-là. Ils ont raison, évidemment, de défendre leur profession, mais ils n’empêcheront pas, à moyen terme, les changements commerciaux induits par les nouvelles technologies. Le samedi suivant, c’était au tour de la préfecture d’être assiégé par des manifestants qui réclamaient la fin du déversement des déchets industriels dans les calanques. Beaucoup de bonne volonté, surtout quand on sait le peu de poids des revendications écologiques et citoyennes face au pouvoir de l’industrie et de l’argent. Ce même jour, on pouvait voir un autre défilé de protestation, contre la prolongation de l’état d’urgence, celui-là. Car beaucoup, y compris dans la classe politique, ne comprennent pas ce qu’il peut apporter de plus aux dispositifs anti-terrorisme déjà mis en place. En revanche, ils commencent à mesurer les risques d’extension des pouvoirs de l’état sur les libertés individuelles (déjà bien rognées). Enfin, cette semaine, c’étaient les agriculteurs qui réclamaient une amélioration de leurs conditions de travail et de ventes. Les tracteurs, dans les villes, ont pris la relève des taxis pour signifier à l’imposant Stéphane Le Foll leur ras-le-bol généralisé. Lequel s’est vu offrir, mercredi soir, à Bourg-en-Bresse, une pelle et un « mille-feuille administratif » agrémenté d’une bougie d’anniversaire (puisque le ministre fêtait ses 56 ans). Un strip-tease improvisé de quelques agriculteurs a suivi ce présent significatif. Contrairement à leur ministre de tutelle les paysans français manquent de tout mais pas d’humour.


Migrants : Si ces différents problèmes sociaux ont occulté, depuis quelques semaines, la question des réfugiés, celle-ci ne s’est pas arrêtée à la fin de l’été. On sait quelle attitude de fermeture, vis-à-vis d’eux, ont adoptée des pays comme la Hongrie, la Pologne ou la Slovénie. L’Allemagne, après leur avoir ouvert généreusement ses frontières, est en train de rétrograder, surtout après l’affaire de Cologne. Idem pour la Suède et le Danemark, ce dernier projetant même de ponctionner les réfugiés au dessus de 400 euros de biens personnels. Mais la palme de l’ignominie revient sans doute au belge Carl Decaluwé, - gouverneur de la Flandre Occidentale -, qui a demandé à ses concitoyens de ne plus donner à manger aux migrants en provenance de Calais afin qu’ils ne viennent plus ici. A l’entendre, on aurait cru qu’il parlait de pigeons ou de chats. Un tel oubli des devoirs les plus élémentaires fait froid dans le dos. La déshumanisation des esprits se porte plutôt bien dans cette partie de l’Europe.

 

                      Erik PANIZZA

29/01/2016

Adversaires mais pas trop

 

Qui porte la parole politique en démocratie ? Et doit-on la laisser aux seuls représentants des partis politiques ? Ces questions, assurément, transparaissaient dans le dernier numéro « Des paroles et des actes », jeudi 21 janvier sur France 2. En invitant Daniel Cohn-Bendit et Alain Finkielkraut pour débattre de l’état de la France, David Pujadas avait joué la carte des idées plutôt que celle des sempiternelles litanies économiques et il n’y avait pas lieu de le regretter. Mais entre ces deux personnalités emblématiques de la vie intellectuelle française, la suite des choses allait démontrer qu’il y avait plus de connivence que de réelle opposition.
On ne présente plus Daniel Cohn-Bendit, sinon dans ses grandes lignes. Figure historique de Mai 68, leader d’EELV, député européen (désormais à la retraite), journaliste, essayiste, l’homme a gardé à 70 ans une rare liberté de parole qu’il ne manque jamais une occasion d’exercer, y compris contre son camp. Le gauchiste qu’il fut s’est sans doute converti à la social-démocratie - on le lui a beaucoup reproché - mais sans se départir de son esprit libertaire. Européaniste convaincu et apôtre du changement, il ne pouvait qu’être sensible aux polémiques sur la déchéance de nationalité, puisque lui-même fut un temps apatride et possède à présent la double nationalité, allemande et française. Aussi une partie de son argumentaire porta sur les inégalités sociales qui caractérisent encore la France de 2015. Pour lui, les musulmans sont les premières victimes de cet état de faits.
Face à lui Alain Finkielkraut, 66 ans, incarne une certaine idée de l’intellectuel français s’impliquant, hors de tout appareil politique, dans le débat public. Philosophe, homme de radio, ex-professeur à Polytechnique, et depuis peu académicien, ce fils d’immigrés juifs polonais ne manque jamais, pour justifier son succès, de rappeler les vertus de l’assimilation sur le communautarisme ambiant. Pour lui le récit national ne doit pas faire de concession aux revendications ethniques qui tendent à le fragmenter ; et c’est aux musulmans qui vivent en Europe d’adapter leur religion aux normes européennes, pas le contraire. Ses prises de position contre une Gauche trop éloignée du réel l’ont fait cataloguer comme un tenant de la Droite extrême ; à tort sans doute car ses propos relèvent avant tout du simple bon sens. Cependant, il y a en lui une rigueur – voir des crispations – qui en font une personnalité clivante pour beaucoup. Et ce ne sont pas les paroles cinglantes que lui a adressées, au cours de ce débat, une jeune enseignante musulmane, qui démentiront ce constat.
Au-delà de ces brefs éléments de signalétique et des réparties attendues entre les deux invités, il ressortait surtout de cet échange vif mais amical une opposition sensible de tempéraments. Il y a chez Cohn-Bendit un irréductible optimisme et cela ne tient pas seulement à sa vision progressiste du monde. A l’inverse, chez Finkielkraut, on sent bien une conscience déchirée entre un présent insatisfaisant et un futur lourd de menaces. D’où sa valorisation du passé, non point dans sa globalité mais dans ses meilleurs aspects.

A défaut d’une synthèse impossible entre eux, on retiendra de ce débat que l’intelligence critique – qui n’est d’aucun bord particulier – peut aussi trouver sa place, à une heure de grande écoute, à la télévision française.

Jacques LUCCHESI

 

19/01/2016

Bruissements (56)

 

Valls : parmi les nombreux hommages rendus, un an après, aux victimes des attentats de janvier 2015, on aura sans doute relevé un nouveau raccourci de Manuel Valls : « expliquer, c’est excuser. ». L’homme, nous le savons, s’est fait une spécialité des formules lapidaires, mais tout de même. Car, enfin, expliquer n’a jamais été synonyme d’excuser. Il faut, évidemment, éclairer en amont le contexte social et la genèse des crimes terroristes, ne serait-ce que pour mieux les prévenir. Mais une fois accomplis, il ne s’agit en rien d’excuser leurs auteurs – du moins ceux qui sont encore vivants -, tout au contraire. Reste à savoir exactement à qui s’adresse cette incise. A y regarder de plus près, on pourrait retrouver, parmi ses destinataires, les tenants d’une gauche laxiste, occultant volontiers la responsabilité individuelle derrière la responsabilité collective. A ceux-là, il faut rappeler que certains, parmi les victimes d’hier, sont devenus les bourreaux d’aujourd’hui et que, dans le présent merdier, on ne peut plus transiger. Sur ce point on peut compter sur Valls pour s’en charger. Mais de là à envoyer toute analyse à la poubelle…

Antisémitisme : on en sait un peu plus sur l’adolescent qui a agressé, avec une machette, un enseignant israélite, mercredi 12 janvier dans un lycée professionnel de Marseille. Il serait d’origine turco-kurde et vivrait avec sa famille depuis cinq ans en France. Paisible et bon élève jusqu’ici, il semble s’être radicalisé en visionnant des vidéos de Daesh sur Internet – c’est de cette organisation qu’il s’est froidement réclamé. Depuis, il a été déferré devant le juge anti-terroriste de Levallois-Perret et l’enquête suit son cours. On voit, avec ce triste exemple fourni par l’actualité, toute la nécessité d’une explication rationnelle. Cette nouvelle agression antisémite, qui fait suite à celle qui avait frappé un autre enseignant juif en novembre dernier, a mis la communauté israélite de Marseille en émoi. Svi Ammar, le président du Consistoire, a même conseillé à ses coreligionnaires de ne plus porter la kippa dans la rue. Attitude aussitôt dénoncée comme pusillanime par le Grand Rabbin de France et d’autres associations juives. Nous ne pouvons que leur donner raison. L’antisémitisme est, plus que jamais, un condensé de bêtise et d’intolérance et il ne faut rien céder aux quelques ignares qui s’en glorifient. Les combattre par tous les moyens est le devoir de tout Français, juif ou non.

Goodyear : neuf mois de prison ferme pour huit ex-salariés de Goodyear qui avaient, en janvier 2014, séquestré pendant trente heures deux dirigeants de l’usine de pneumatiques au bord de la fermeture. C’est le jugement particulièrement sévère qu’a rendu, mardi 12 janvier, le tribunal correctionnel d’Amiens – et cela malgré que les deux dirigeants aient retiré leurs plaintes. L’annonce de cette sanction a mis le monde syndical en ébullition ; car ces salariés ne voulaient que négocier une prime de départ pour eux et leurs collègues qui soit un peu plus élevée que celle proposée par la direction de l’usine. Depuis les proscrits ont fait appel de leur condamnation et la fédération PS du Nord a demandé à la Garde des Sceaux d’intervenir personnellement pour assouplir cette sanction. D’autre part, une pétition demandant sa révision circule sur le Net. Nous sommes nombreux à l’avoir déjà signée, mais ce n’est pas encore assez.

Calais : les juges ont été plus cléments avec Rob Lawrie, ce bénévole anglais « coupable » d’avoir fait passer en Angleterre une petite Afghane de 4 ans reléguée avec sa famille dans un campement de la « jungle de Calais ». Il risquait pour son acte imprudent cinq ans de prison et n’a écopé, au final, que d’une amende de 1000 euros avec sursis. A l’annonce du verdict, l’ancien militaire de 49 ans reconverti dans l’humanitaire s’est confondu en remerciements pour ses juges. Ceux-ci ont dû être sensibles à la beauté morale de son geste. Lui aussi a bénéficié d’une pétition de soutien qui a recueilli plus de 150 000 signatures.

Cologne : Réfugiés ou pas, de quelque religion qu’ils soient, les hommes restent des hommes – hélas, voudrait-on ajouter. Et certains, en situation de privation sexuelle, cèdent facilement à l’agression. C’est ce que l’on a vu, durant les fêtes de fin d’année, à Cologne où plusieurs centaines de femmes ont porté plainte pour des violences sexuelles diverses (viols, attouchements, insultes). Parmi les suspects interpellés par la police, on trouve vingt-deux réfugiés récemment entrés sur le territoire allemand. Voilà qui n’est pas bon pour l’immense majorité d’entre eux qui se tient tranquille. Ni pour Angela Merkel et sa politique d’accueil, elle qui doit faire face à la protestation de plus en plus forte des groupements xénophobes comme Pegida. A tel point que certains, dans la classe politique allemande, voient dans ces agressions sans précédent une forme de manipulation. Il est vrai qu’on n’est plus à l’époque des sabines et que les agresseurs sexuels agissent rarement de façon aussi massive. Comme si ce n’était pas assez, le Danemark a annoncé que des agressions sexuelles commises par des réfugiés durant les deux dernières années, avaient été cachées jusqu’ici par sa police. Il y a du scandale dans l’air…

Foie gras : Une qui aurait pu subir le même sort si elle n’avait pas été aussi bien escortée, c’est Pamela Anderson en visite, mardi 19 janvier, à l’Assemblée Nationale. La pulpeuse actrice canadienne, ex-icône de la série « Alerte à Malibu », était venue soutenir la proposition de loi contre le foie-gras de la députée écologiste Laurence Abeille. Sa brève apparition – une dizaine de minutes - a suscité une émeute chez les journalistes venus couvrir l’évènement : un peu comme à la grande époque de Brigitte Bardot, son idole. Quant aux députés, exceptionnellement nombreux ce jour-là, leurs réactions allèrent de l’indifférence feinte ou amusée à des remarques pleines de finesse comme « Pas de silicone dans mon foie-gras » ou « une oie pour défendre les oies ». Ce qui est certain à présent, c’est qu’on sait comment rendre l’écologie passionnante en France. Merci Pamela.


    

                         Erik PANIZZA