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10/06/2016

Bruissements (63)

 

 

Macron : Emmanuel Macron rêve-t’il à un destin présidentiel, le matin devant sa glace, quand il se rase ? A voir toute l’énergie qu’il déploie, depuis quelques mois, avec son mouvement « En marche », on peut raisonnablement le penser. Il est vrai qu’à seulement 38 ans, il a encore ses preuves à faire. Et que, tout comme Sarkozy avant lui, il oublie fréquemment qu’il a des fonctions ministérielles à assumer. Ce qui, pour bien d’autres, serait déjà un motif de légitime fierté, ne lui suffit pas manifestement. En outre, il multiplie les déclarations à l’encontre d’un gouvernement auquel il participe. Dans ces conditions, rien ne vaut qu’une bonne petite affaire financière pour tempérer ses ardeurs (on peut, éventuellement, prescrire en plus un shampoing à l’œuf cru). D’où le regard sourcilleux de Bercy sur sa déclaration de patrimoine (qui serait légèrement sous-évaluée). Après tout, les ministres aussi peuvent s’acquitter de l’ISF et participer à l’effort général. C’est fou, tout de même, ces technocrates socialistes qui ont des problèmes avec le calcul…

 

Hidalgo : S’il y a présentement en France une élue de Gauche qui prend des initiatives de Gauche, c’est bien Anne Hidalgo.  Après avoir interpellé Bruxelles sur le problème persistant de la pollution aux particules fines et limité la circulation automobile dans la capitale, la maire de Paris s’attaque de front au problème des réfugiés. On sait que ceux-ci vivent à ciel ouvert dans des conditions indignes. Anne Hidalgo a donc pris, en toute indépendance, la décision de faire construire rapidement un camp humanitaire au nord de Paris : puisqu’on ne veut pas d’eux au bois de Boulogne….Le modèle est le camp de Grande Synthe, près de Dunkerque, qui accueille depuis mars dernier quelques 1500 migrants. Elle peut compter, pour ce projet, sur le concours d’associations comme Emmaüs, Aurore et France Terre d’Asile. Mais point sur le gouvernement, que la maire a pris de court et que cette initiative dérange passablement. Qu’importe ! Anne Hidalgo a d’ores et déjà annoncé qu’elle en ferait construire d’autres si la situation l’exigeait. Souhaitons que son courage et sa générosité fassent quelques émules, parmi les édiles de province.

 

Benzéma : Périodiquement, le monde du football nous donne des preuves de sa grande vulgarité. Ce sport-spectacle – sans doute le meilleur moyen actuel d’abrutissement des masses – a pris une telle ampleur dans notre société que ses stars se croient tout permis. Le sexe est évidemment au programme de leurs excès, ce qui ne serait pas bien répréhensible  si les joueurs avaient l’intelligence de ne pas filmer leurs « exploits ». Ce n’est pas le cas de Mathieu Valbuena et de Karim Benzéma, d’où une enquête judiciaire les concernant. Dans ces conditions Didier Deschamps, le sélectionneur de l’équipe de France, a préféré les écarter de l’Euro 2016 (qui débute cette semaine). Cela n’a manifestement pas plu à Benzéma qui a déclaré, dans le journal espagnol Marca, que la vraie cause de son éviction était le racisme d’une partie de la société française. Rien de tel, pour essayer de redorer son blason, que de prendre une posture de victime. Mais les faits sont là et le reste n’est qu’affaire d’interprétation. Du reste, comment trouver sympathique un joueur qui a toujours refusé de chanter « La Marseillaise » lors des matches officiels ?

 

Sétif : Pour la plupart des Français, le 8 mai 1945 marque la capitulation de l’Allemagne nazie et est synonyme de joie. Mais pour les Algériens, c’est un jour de deuil et de colère ; car c’est ce jour-là que débutèrent, à Sétif, les émeutes et la répression impitoyable des autorités françaises. Le bilan fut très lourd puisqu’il devait faire plusieurs milliers de morts dans la population locale. Aussi, l’Amicale Franco-Algérienne de Marseille a voulu faire apposer, avec l’accord de la municipalité,  une plaque commémorant ce tragique évènement dans le quartier des Réformés. Quelques jours plus tard, la plaque avait disparu. Nouvelle pose et nouvel enlèvement deux fois de suite. Manifestement, il y a des gens, dans cette ville, qui ne supportent pas la concurrence des mémoires. A tel point que la mairie a fini par jeter l’éponge. On parle d’une altercation avec les responsables de cette association - qui n’entendent pas, bien sûr, en rester là.

 

Résistante : L’histoire vaut son pesant d’or. Elle démontre au moins que l’insoumission et le courage n’ont pas d’âge. Contactée par Manuel Valls pour être élevée au rang de commandeur de l’Ordre National du Mérite, Cécile Sénon, 93 ans, a dit non au premier ministre par solidarité avec les salariés et les jeunes en lutte contre le projet de loi sur le travail. Pour elle, accepter cette distinction dans le contexte social actuel eut été : « renier toute ma vie militante pour plus de justice et de solidarité, de liberté, de fraternité et de paix ». Il faut dire que Cécile Sénon n’est pas n’importe qui. Ancienne résistante ayant survécu au massacre d’Oradour sur Glane en 1944, cette retraitée des PTT a un long passé de syndicaliste et a déjà reçu la Légion d’Honneur. Un exemple, assurément, pour nos contemporains si enclins aux compromissions. Avec Cécile, c’est non.

 

 

Erik PANIZZA

03/06/2016

Génération sacrifiée

 

                   

 

 Un constat tout d’abord : on ne se méfie jamais assez des mots que l’on emploie. Il y a, dans le langage une instabilité qui affecte, au fil du temps, le sens de toutes ses productions, surtout quand elles deviennent d’un usage courant. C’est ainsi que les concepts se pervertissent, dérivent d’une discipline à une autre, ou que les expressions finissent par signifier tout autre chose que ce qu’elles décrivaient initialement. C’est le cas, en particulier, pour cette « génération sacrifiée » dont on nous rebat les oreilles dans les médias. Le terme est apparu au lendemain de la Grande Guerre et de ses terribles  hécatombes : un million cinq cents mille morts et deux fois plus d’estropiés, cela crée un traumatisme dans la mémoire nationale, cela laisse des traces, aussi, dans le lexique. Pour la plupart d’entre eux – les dates gravées dans le marbre des monuments aux morts en attestent -, c’étaient de touts jeunes hommes qui avaient entre vingt et trente ans quand ils allèrent au casse-pipe. Imagine-t’on l’enfer qu’ils ont vécu dans leur chair ? L’horreur de mourir à l’âge où l’être humain aspire le plus à la vie ?  Le vieux Clémenceau, alors président du conseil, pouvait proclamer à juste titre : « Ils ont des droits sur nous ». Certes, toutes les guerres sont horribles et on pourrait en dire autant de celles que Napoléon imposa aux jeunes Français nés entre 1785 et 1795 : ce fut aussi une autre génération sacrifiée.

Un siècle plus tard, qu’est devenue cette expression ? Qui désigne t’elle dans la bouche et sous la plume des journalistes qui s’en font l’écho? Une partie de la jeunesse française peine à s’insérer dans le monde du travail ou ne parvient pas à accéder au logement : génération sacrifiée. Les baby-boomers, à présent retraités, vivent grassement sur le dos des nouveaux actifs : génération sacrifiée. Ce sont nos enfants qui vont payer notre gaspillage énergétique : génération sacrifiée. On pourrait multiplier ce genre d’inepties qui font les choux gras des débats télévisés, mais à quoi bon ? Elles ont en commun d’oublier que le vécu des individus, hier ou aujourd’hui, n’est pas réductible à des tableaux statistiques. Et que la chance n’a pas souri à tous ceux qui sont nés juste après la Libération. Mais il arrive quelquefois que l’actualité rende à ce terme son sens premier. On a pu le voir, lors du week-end dernier, à Verdun, pour les commémorations franco-allemandes d’une bataille qui résume à elle seule l’absurdité sanglante du premier conflit mondial. On a pu comprendre, en voyant ces enfants s’ébattre joyeusement entre les croix blanches du cimetière où reposent à jamais tant de soldats fauchés dans la fleur de l’âge. Si ce genre de cérémonies a encore une utilité, c’est de relativiser les épreuves de notre temps par rapport à celles des époques passées. C’est d’apporter un éclairage historique aux expressions que les gens répètent comme des perroquets, dans l’ignorance de leur surgissement. C’est d’inviter à un peu plus de décence tous ceux qui découvrent que la vie ne donne jamais tout et tout de suite.                                

 

                      Jacques LUCCHESI

27/05/2016

La base et le sommet

                         

 

 

 Avec le recours à l’article 49-3 pour faire passer la réforme du Code du Travail, le gouvernement a ligué contre lui la quasi totalité des syndicats français. Et c’est naturellement la CGT – le plus ancien et le plus radical – qui a pris la tête de cette opposition frontale dans la plupart des secteurs concernés par cette réforme. Les transports et l’énergie sont, évidemment, les pôles les plus stratégiques et leur blocus ne peut être qu’impopulaire, affecte l’économie du pays au point d’obliger le gouvernement à des mesures encore plus autoritaires (comme les grévistes réquisitionnés de force). Mais comment faire pour être encore audible quand le dialogue a échoué ?

Dans cette crise exceptionnelle, il y a deux conceptions divergentes du progrès social qui s’opposent sans perspective de synthèse. Mais il y a surtout deux points de vue, deux niveaux de lecture du monde que l’on pourrait résumer par cette formule antinomique : la base et le sommet.

La base, c’est bien sûr la fronde syndicale qui l’incarne. Pour elle l’élément humain est primordial. Le travail est d’abord fait par des hommes pour des hommes et on ne peut pas ignorer leur vécu au nom d’intérêts supérieurs. On ne peut pas toucher à leurs acquis au motif que le monde a changé et qu’il faut s’y adapter : car pourquoi devrait-on consentir à vivre moins bien en travaillant tout autant, et même davantage ? Comment accepter des réformes qui tireraient vers le bas tant leur niveau que leur qualité de vie ? Elles pervertissent le sens que la Gauche, jusqu’ici, avait donné au mot « réforme ». Autant d’arguments qui sont parfaitement compréhensibles si l’on s’en tient à un regard empirique sur ces questions.

Quant au sommet, c’est naturellement la position du gouvernement. Qu’il l’admette ou non, son critère d’appréciation est d’abord d’ordre macro-économique. Son action obéit à une autre forme de rationalité: celle du bien public.  Il s’agit pour lui de situer le pays dans un concert de nations toutes productives et toutes concurrentes, même dans l’aire européenne. Et légiférer revient toujours, pour lui, à décider à priori de ce qui est bon pour la croissance, la consommation, l’embauche. Quitte à fragiliser le statut des travailleurs dans les entreprises. Quitte à transformer les individus en entités abstraites sur cet échiquier virtuel où tout se ramène à des  questions de stratégie et de répartition. Quand François Hollande déclare publiquement que « ça va mieux », il ne ment pas, il n’ironise pas sur la colère de la rue. Il exprime simplement la vérité issue des chiffres de son bilan comptable. Sans prendre en considération les sentiments des Français de chair et de sang qu’il subsume.

Le problème est toutefois que ce sont eux qui l’ont élu, avec leurs passions et leurs attentes. Ils l’ont porté au pouvoir dans un espoir de rupture avec la politique menée par les différents dirigeants de Droite depuis une vingtaine d’années ; pas pour qu’il poursuive et amplifie leur action au nom de l’intérêt général. On rappellera qu’en 2010, lors de la réforme des retraites engagée par le gouvernement Fillon, les leaders actuels, alors dans l’opposition, y étaient tous hostiles et soufflaient sur les braises de la contestation - François Hollande le premier. Qu’en est-il six ans plus tard ? Faut-il conclure avec amertume que le pouvoir corrompt toujours ceux qui l’exercent ? Non, mais il change inexorablement leur angle de vision sur les priorités du pays. D’où tant d’incompréhension et de mécontentement.

 Dans ce qui semble être un duel de titans, il y a cependant un troisième élément, un tiers toujours exclus et pourtant fondamental : les consommateurs et les usagers que nous sommes tous peu ou prou. Ceux-là assistent avec inquiétude et agacement à ce bras de fer qui met, chaque jour, un peu plus à mal l’économie de ce pays. Car ils savent bien que tout se paie, à commencer par les journées de grève, et que toutes ces tensions risquent fort de faire grimper les prix des produits courants (pour l’essence c’est presque fait). Dommage qu’ils ne fassent pas entendre suffisamment leurs voix.

 

                        Jacques LUCCHESI