13/05/2016
Bruissements (62)
Erdogan: drôle de pays que la Turquie, pourtant officiellement notre alliée dans la lutte contre Daesh ! Son président, Recep Erdogan, envisage de réformer la constitution laïque d’Atatürk pour y réintroduire l’Islam comme religion d’état. Depuis son arrivée au pouvoir, les condamnations de journalistes se multiplient et la presse libre est menacée d’étouffement. Et c’est sans même parler du chantage aux migrants que ce pays – candidat à l’entrée dans l’U E – nous fait contre d’importantes subventions. De là à limiter notre liberté d’expression pour plaire à son « sultan »…C’est ce qui semble s’être produit en Allemagne, après qu’Erdogan ait porté plainte, le mois dernier, contre Ian Böhmermann, un humoriste allemand. Motif : celui-ci l’aurait insulté, à travers un « poème » lu à une heure tardive sur une chaîne de télévision. On parle d’allusions sexuelles douteuses mais surtout de la répression que subissent les Kurdes et les Chrétiens en Turquie. Il n’y a que la vérité qui fâche, on le sait bien. Devant l’insistance des autorités turques, Angela Merkel a fait savoir qu’elle examinerait la demande d’Ankara. Ian Böhmermann sera-t-il trainé devant les tribunaux et condamné par la justice de son pays pour sa liberté de parole envers un chef d’état étranger? Ce serait une « première » en tous les cas et nous ne manquerions pas de le soutenir de ce côté-ci du Rhin.
Amende : il y a cependant des réactions plus rassurantes qui émanent de l’U E. Comme le projet d’infliger une amende proportionnelle aux pays membres qui refuseraient d’accueillir leur quota de migrants – et donc de soulager leurs voisins dans cette mission inscrite au cœur de la charte européenne. Ces états réfractaires, on les connaît bien à présent. Ce sont la Hongrie, la Pologne, la Slovénie et la République Tchèque. Avec eux, la défense de l’identité européenne implique des murs hauts et massifs aux frontières. Depuis, la Bulgarie s’est invitée dans le débat, tançant ces états qui veulent profiter des droits européens sans honorer leurs obligations. La Croatie et la Roumanie lui ont emboité le pas. Une ligne de fracture se dessine peu à peu au sein des anciens pays de l’Est. Difficile de s’harmoniser dans une communauté aussi vaste, entre des peuples qui ont tous une histoire singulière, qui poursuivent tous des intérêts égoïstes sous couvert d’adhésion.
Evacuation : En France aussi, les réfugiés continuent à soulever beaucoup d’hostilité, malgré les déclarations de principe de nos dirigeants. Comme en témoigne cette évacuation musclée, mercredi 4 mai à Paris, de ceux qui avaient trouvé refuge dans le lycée Jean Jaurès – pourtant désaffecté. 277 personnes ont ainsi été évacuées malgré les protestations d’une centaine de riverains présents sur les lieux. Elles ont été triées selon leur nationalité et leur situation administrative. On parle de les reloger – surtout les femmes et les enfants – dans un centre Emmaüs voisin. Mais ce n’est pas avec ce genre de rafle matinale que la police française va regagner la sympathie de l’opinion publique.
Londres : Il s’appelle Sadiq Khan et a 45 ans. C’est un fils d’un chauffeur de bus d’origine pakistanaise. Il a été élu, samedi dernier, maire de Londres - la plus grande métropole européenne - succédant ainsi à l’excentrique Boris Johnson. Il est aussi le premier musulman à accéder à une aussi haute fonction en Angleterre et en Europe. Dans son discours de réception, ce travailliste convaincu a remercié tous ceux qui l’avaient aidé dans cette victoire. Il a rappelé ses origines populaires et sa volonté d’être le maire de tous les londoniens, sans distinction de race ou de religion. Ce n’est pas en France qu’on verra de sitôt une telle promotion. Prochain rendez-vous électoral en Grande Bretagne le 23 juin, pour le référendum sur son maintien ou non dans l’Union Européenne.
Jeux vidéo : bonne nouvelle pour les geeks : les jeux vidéo sont en passe d’être reconnus comme un sport en France. Lundi 2 mai, le Sénat a adopté une mesure permettant cette officialisation. C’était, depuis plusieurs années, une revendication de leurs nombreux pratiquants : rien qu’en France on estime leur nombre à 850 000 et à 4,5 millions celui de leurs spectateurs. Reste que d’appuyer sur des touches ou des manettes ne représente pas un effort physique particulier, de ceux, intenses et puissants, qui caractérisent les sports désignés comme tels. Bon, il y a bien les échecs, où le mental prime de loin sur le physique, qui font déjà exception à la règle. Alors pourquoi pas les jeux vidéo ? Un autre problème se pose en aval : celui de la publicité et des paris en ligne qui accompagneraient ce type de compétitions. Pour l’heure, ils sont interdits mais la situation pourrait rapidement évoluer, avec les télés et les sponsors déjà en embuscade. Difficile, pour un jeu, d’échapper à l’emprise de l’argent lorsqu’il se transforme en sport.
Erik PANIZZA
15:16 Publié dans numéro 16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : erdogan, amende, évacuation, jeux vidéo
06/05/2016
Retour sur un anniversaire
Pour le peuple de gauche, mai 36 fût un peu son âge d’or. Pensez donc ! Un rassemblement unitaire de toutes les forces de gauche d’alors, du P C aux radicaux en passant par la SFIO et la CGT, une victoire écrasante aux élections, les ligues d’extrême-droite dissoutes, les droits syndicaux légalement confirmés, les retraites et les salaires augmentés, la semaine de travail abaissée de 48 à 40 heures et deux semaines de congés payés en prime. Du jamais vu dans la longue histoire de la 3eme République ! Et cependant cette euphorie sociale retomba presqu’aussi vite qu’elle était montée : des grèves s’ensuivirent rapidement, la production entra en récession, on dévalua le Franc et les capitaux fuirent massivement le pays. C’est que la promotion des classes populaires ne faisait pas l’affaire de tout le monde en France ; à commencer par les grands patrons qui voyaient avec inquiétude le spectre des nationalisations s’étendre sur leurs entreprises. Rien de nouveau sous le soleil et les lendemains déchantèrent vite. L’expérience du Front populaire prit fin moins d’un an après, marquant le retour au pragmatisme économique. En juin 37, Léon Blum démissionna, cédant son poste de président du conseil à Camille Chautemps – un modéré – qui, lui-même, le refila pour quelques semaines à Blum, début 38, avant qu’Edouard Daladier, plus rigoriste, n’en endossât les attributs pour trois années particulièrement tendues, vu le contexte international puis l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne nazie. Si le slogan du Front Populaire « Le pain, la paix, la liberté » devait filer aux oubliettes de l’Histoire, les principaux acquis sociaux votés lors des Accords de Matignon, en juin 36, ne devaient pas, après la guerre, être remis en question, ouvrant la voie à d’autres négociations, d’autres droits pour les travailleurs et les défavorisés. C’est ce qu’on appela longtemps le réformisme socialiste, du moins jusqu’à ces récentes années.
L’Histoire, on le sait bien, ne repasse pas les mêmes plats. Néanmoins, à quatre-vingts ans d’écart, on peut constater quelques similitudes avec notre époque. Comment ne pas s’interroger sur l’échec des socialistes chaque fois qu’ils accèdent au pouvoir ? Leurs prétentions politiques sont-elles si exorbitantes pour se briser aussi vite sur le réel ? D’autre part, tout comme en 36, la protestation populaire, aujourd’hui, est devenue particulièrement audible. Même pour François Hollande qui, en admirateur de Léon Blum, est allé conclure un colloque qu’organisait, mardi dernier, la Fondation Jean Jaurès et le think-tank Terra Nova au théâtre du Rond-Point. D’aucuns ont même dit que c’était son discours d’entrée en campagne qu’il faisait là. Reste qu’on ne sait plus très bien à quel électorat il va s’adresser maintenant. Parti, la fleur aux dents, avec Blum pour modèle (mais sans l’élégance morale de son aîné), François Hollande risque fort de finir son quinquennat dans la posture peu glorieuse de Daladier.
Jacques LUCCHESI
14:44 Publié dans numéro 16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : front populaire, blum, sfio, daladier
29/04/2016
Tchernobyl : et après ?
C’était il y a trente ans, le 26 avril 1986, quelque part en Ukraine – alors république soviétique. Un réacteur venait d’exploser dans une vieille centrale nucléaire, déversant un magma mortel. Aussitôt des militaires et des ouvriers – les fameux « liquidateurs » - avaient été dépêchés par le régime pour éteindre, coûte que coûte cet incendie pas tout à fait comme les autres. Tant à Moscou que dans les autres capitales européennes, on se gardait bien de dire la vérité sur cet « accident » et ses conséquences. Après tout, le printemps était doux et ça allait plutôt bien en Europe, cette année-là. Le spectre d’une troisième guerre mondiale ne hantait plus les esprits. La perestroïka, sous la houlette de Mikhaïl Gorbatchev, commençait à faire son chemin, sans que l’on sache à quoi elle allait aboutir. En France, aussi, il y avait du changement. Le socialisme cédait peu à peu le pas au libéralisme. Une nouvelle majorité était sortie des élections législatives et allait instaurer, à la tête de l’état, une situation encore inédite sous la 5eme République : la cohabitation. Alors Tchernobyl, à trois mille kilomètres d’ici…Certes, il y avait bien le vent qui poussait un gros nuage ukrainien vers l’Europe occidentale. Mais nos experts étaient formels : il s’était arrêté à la frontière franco-allemande. Vraiment bien élevé, ce nuage…Et puis, un peu plus de radio-activité dans la nature (qui n’en manque guère), ce n’est quand même pas ça qui allait nous tuer. On en avait vu d’autres depuis Hiroshima.
Ce n’est qu’un peu plus tard que nous avons compris l’ampleur de la catastrophe qui venait de se produire – et celle, encore plus terrible, que nous avions évité. Quand nous avons appris que des milliers d’irradiés étaient voués à une mort prématurée pour avoir travaillé à éteindre ce sinistre réacteur. Quand nous avons vu, à la télévision, ces bébés ukrainiens nés avec des malformations congénitales épouvantables. Quand nous avons su que la centrale avait été fermée et que les populations avaient été évacuées dans un rayon de cinquante kilomètres, laissant des bourgades entières vides de toute vie humaine, rendues à une nature désormais pestiférée. Quand, en France, le taux des cancers de la thyroïde (causés par l’excès d’iode 131) est grimpé en flèche quelques années après. Alors nous avons commencé à réviser notre opinion sur le nucléaire.
Car il était, jusque là, associé dans nos esprits à la guerre, à la bombe, à Hiroshima, voire aux essais dans le Sahara et le Pacifique. Pas à la production d’électricité, pas au nucléaire civil dont le développement avait été acté, un peu partout en Europe, à partir des années Soixante. Le danger, maintenant, venait d’ailleurs ; le danger était dans la périphérie de nos villes : à Cadarache, au Tricastin, à Bugey, à Flamanville, à Gravelines…Les autorités tenaient, bien sûr, un discours rassurant: les normes de sécurité sont, chez nous, autrement plus fiables qu’en Russie. Et puis, il n’y a pas d’autre alternative pour qu’EDF continue à nous fournir notre énergie au meilleur prix.
Aujourd’hui, trente ans après, nous savons que ce n’est plus vrai ; qu’une autre industrie énergétique est possible, même au prix d’une inévitable restructuration. Nous savons surtout que d’autres accidents sont possibles, même dans nos contrées, par négligence, obsolescence ou même malfaisance délibérée. Néanmoins, les centrales nucléaires continuent, un peu partout, à proliférer. Et le pouvoir – le pouvoir socialiste élu pour s’occuper aussi de ce problème – n’en finit pas de tergiverser, repoussant au prochain quinquennat la fermeture des plus anciennes et des plus fragiles centrales, comme celle de Fessenheim. C’est à croire que l’électrochoc de Tchernobyl – même avec son rappel de Fukushima – n’a pas été assez fort. En faudra-t’il un autre, encore plus terrible, pour accélérer ce nécessaire processus ?
Jacques LUCCHESI
16:31 Publié dans numéro 16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tchernobyl, réacteur, nucléaire, électrochoc