12/08/2016
J O de Rio : l’envers de la médaille
Feu d’artifice, jeux de lumières, chorégraphies pharaoniques et chatoyantes, défilés de mode, délégations nationales en rangs serrés et allumage solennel de la flamme olympique : rien ne manquait, vendredi dernier, à cette cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Rio, dans le prestigieux stade du Maracana. On n’ose imaginer combien de photographies et de selfies ont dû être réalisés à cette occasion. Pendant quinze jours, plus de dix mille athlètes venus de deux cents pays vont s’affronter dans une centaine de disciplines sportives. Pour eux, quelques cinq-cents mille touristes ont fait le déplacement. Si Rio, pour le monde entier, était déjà un décor de carte postale, elle va devenir, durant ce mois d’août, le point de mire de tous les médias de la planète, l’évènement par excellence auquel rien ne saurait voler la vedette.
Néanmoins, cette fête internationale a un prix à la hauteur de ses fastes. Les Brésiliens le savent bien, eux qui ne cessent de la payer depuis la désignation de Rio comme ville olympique. Malgré tout, de nombreuses infrastructures hôtelières, bâties à la hâte, n’était pas terminées à l’heure du coup d’envoi – et il en va de même pour les transports. Pour satisfaire à ce cahier des charges, les autorités de la ville n’ont pas hésité à déloger près de quatre-vingt mille habitants, parmi les plus précaires. De telles ambitions supportent mal la misère qui doit être cachée coûte que coûte. Mais personne n’est dupe dans cette métropole au bord de la faillite. A l’heure où la corruption gangrène le pays, où la présidente Dilma Rousseff est sous le coup d’une procédure de destitution, où les salaires des fonctionnaires sont payés avec plusieurs mois de retard, le peuple en colère n’a pas manqué de le faire savoir à Michel Temer, l’impopulaire vice-président. Qu’est-ce qu’une fête qui ne s’adresse qu’à une élite économique ? Où les intérêts du plus grand nombre sont toujours sacrifiés à ceux des entrepreneurs. Où l’armée, sous couvert de sécuriser les touristes, contrôle d’abord les opposants au régime.
On voit comment finit un état qui a troqué son idéal socialiste pour le plus âpre libéralisme. Les paillettes et la poudre aux yeux ne suffisent plus à faire croire que le Brésil est un pays dynamique et heureux. Et il se pourrait bien que la principale image qui émergera des ces JO de Rio soit celle d’un soldat armé d’un bazooka aux abords du Maracana.
Bruno DA CAPO
14:01 Publié dans numéro 16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rio, j o, maracana, bazooka
05/08/2016
Turquie : une autre forme d’état d’urgence
Traditionnellement l’armée est au service du politique, du moins dans les états démocratiques. Entre eux, pourtant, les rapports sont souvent tendus. Parfois, c’est l’armée qui rejette une ligne directrice jugée trop à gauche : ce fut le cas pour Pinochet renversant le gouvernement Allende au Chili, en 1973. A l’inverse, elle peut aussi s’opposer au conservatisme, voire à l’intégrisme religieux, au nom de la démocratie quand un dirigeant issu des urnes menace de la nier. C’est ce qui se passa en Egypte, voici trois ans, lorsque Mohamed Morsi et les Frères Musulmans entreprirent de mettre la société civile sous coupe réglée. Les putschistes turcs avaient-ils l’exemple d’Al Sissi en tête quand ils ont voulu renverser le régime Erdogan, dans la nuit du 15 juillet dernier ? C’est fort possible, au vu de ses récentes dérives religieuses ; car une remise en question de la laïcité instaurée, voici près d’un siècle, par Kémal Atatürk, ne peut que nuire à l’essor de la société turque moderne et, au delà, à son intégration dans l’Union Européenne. Malheureusement pour eux, les choses ne se sont pas passées aussi bien que pour leur modèle égyptien. En échouant dans leur contrôle de l’état, ils ont ainsi donné à leur adversaire une occasion rêvée pour accélérer son projet de société bien fermée sur elle-même et ses valeurs ancestrales.
Depuis une quinzaine de jours, on assiste avec stupéfaction à des agissements qu’on croyait – naïvement – appartenir à une époque révolue. La purge entreprise par Erdogan a des proportions quasi staliniennes. Les chiffres les plus récents font mention de 5800 personnes jetées arbitrairement en prison et de 13 000 gardes à vue (d’une durée portée à un mois), parmi lesquelles on dénombre 8800 militaires, 2100 magistrats et 1329 policiers. 12 000 fonctionnaires ministériels ont été sèchement limogés. C’est encore pire dans le secteur de l’éducation où ce ne sont pas moins de 48 000 enseignants qui ont ainsi perdu leurs postes. Quant aux journalistes, ils sont eux aussi dans le collimateur du pouvoir, particulièrement ceux dont les médias sont liés au prédicateur (modéré) Fetullah Gülen, que son opposition frontale à Erdogan a fait exiler aux USA. Les deux hommes se détestent, mais Gülen nie farouchement être l’instigateur de ce putsch.
Face à une telle situation, l’Europe a bien sûr de quoi s’inquiéter. Car la Turquie est officiellement son alliée dans la lutte contre le terrorisme islamique et l’immigration en provenance du Moyen-Orient. Mais il n’est pas certain que ces deux dossiers – malgré d’importantes contreparties financières – demeurent une priorité pour le gouvernement Erdogan, plus enclin à taper sur les rebelles kurdes du PKK que sur les sicaires de Daesh. Quoiqu’il en soit, on mesure ici les conséquences administratives et civiles de l’état d’urgence quand il s’applique brutalement, sans garde-fous démocratiques. Certes, la France n’est pas la Turquie et nous pouvons espérer ne jamais connaître une telle chape de plomb. Mais cela devrait quand même donner matière à réflexion à tous ceux qui l’ont hâtivement plébiscité dans nôtre pays.
Jacques LUCCHESI
13:26 Publié dans numéro 16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : turquie, putsch, armée, purge
29/07/2016
Une aventure qui élève l’humanité
Depuis quelques années les occasions de se réjouir, en allumant sa télévision ou sa radio, sont devenues extrêmement rares. Certains jours, devant ces déchainements de haine, de bêtise et d’intolérance un peu partout sur la planète, on aurait presque honte d’appartenir à l’humanité. Voilà une espèce qui, après tant d’inventions, de découvertes et de créations prodigieuses, s’entretue pour ce qui apparaitra à ses lointains descendants comme de parfaites vétilles. Ce serait oublier un peu vite que des esprits généreux et éclairés continuent de travailler à l’amélioration de sa condition. Parmi les personnalités actuelles qui redonnent un peu de foi dans le génie humain, il y a certainement le suisse Bertrand Piccard.
Ce psychiatre et aérostier, partisan des énergies renouvelables, a mis au point dès 2004 un prototype d’avion n’utilisant, pour se propulser, que l’énergie solaire. Il lui faudra cependant patienter encore cinq ans avant de réaliser la première version de Solar Impulse. Oui, un avion – et pas un planeur – peut voler sans kérosène, ce que son concepteur prouvera, deux ans plus tard, en traversant la Méditerranée. Un palier capital a été ainsi atteint ; mais Bertrand Piccard, tout à son rêve icarien, voit plus grand : pourquoi ne pas tenter un tour du monde à présent ? Pour cela, il met en chantier Solar Impulse 2, début 2014, et effectue avec un premier vol prometteur quelques mois plus tard.
Le 9 mars 2015, avec son co-pilote André Borschberg, Piccard s’embarque à bord de son invention pour cette épreuve légendaire. C’est d’Abou Dhabi, dans les Emirats Arabes Unis, que le vaste et silencieux engin décolle. Aussi large qu’un Boeing 747 mais ne pesant que 2300 kilos, Solar Impulse 2 est équipé, sur toute sa surface, de capteurs solaires qui assurent sa propulsion. Pendant plus de quatre mois, il va ainsi voler jour et nuit à une moyenne de 80 kms/h et à une hauteur de 8500 mètres. A bord, dans une cabine non pressurisée de quelques mètres carrés, les deux hommes vont s’efforcer de garder en permanence leur vigilance et leurs capacités corporelles, faisant du yoga, ne dormant que par tranches de vingt minutes. Mis à part le système de pilotage automatique, aucun appareil de navigation ne manque au tableau de bord ; et leurs combinaisons en fibres de nylon les aident à réguler leur température interne.
Programmé sur cinq mois fragmentés en dix-sept étapes, ce vol expérimental va cependant connaître des interruptions et des retards. En juillet 2015, une panne de batteries l’immobilise pendant huit mois à Hawaï. Le 21 avril 2016, Solar Impulse 2 redécolle d’Honolulu pour rallier la Californie en survolant le Pacifique sur 4707 kilomètres. L’étape sera bouclée en trois jours. Une autre épreuve considérable sera la traversée de l’Atlantique, de New-York à Séville – soit 6765 kilomètres -, le 20 juin 2016. Enfin ce sera le Caire puis le retour triomphal à Abou Dhabi, le 26 juillet dernier, au terme d’un ultime vol de 2694 kilomètres.
Bertrand Piccard peut jubiler : il a gagné son pari et prouvé, en payant de sa personne, que l’industrie aéronautique peut passer aux énergies propres, tout au moins sur de petites distances. Il y aura, bien sûr, des améliorations à apporter à son prototype pour le rendre tout à fait sûr. Mais si le lobby de l’aviation ne fait pas obstruction, des vols commerciaux seraient possibles d’ici dix ans. Voilà une aventure scientifique qui démontre que l’humanité n’a pas dit son dernier mot en matière d’innovation et de progrès. Et puis, avouons-le, cette nouvelle nous élève un peu au dessus de notre merdier quotidien, ce qui est un autre de ses bénéfices. Bertrand Piccard et André Borschberg : deux noms à ne pas oublier.
Jacques LUCCHESI
16:03 Publié dans numéro 16 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : aérostier, solar impulse, énergie solaire, génie humain