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28/02/2020

    Les deux écueils du politique

                

 

 

 

 C’est sans doute un lieu commun mais osons le répéter : le sexe et l’argent sont les deux principaux écueils  qui menacent la navigation d’un homme politique en vue. Chaque fois que l’on  veut faire échouer un candidat un peu trop ambitieux, on s’arrange pour faire émerger de son passé une affaire de malversation ou d’alcôve. Du reste, ces deux motifs d’accusation ne sont pas d’une égale indignité au regard de l’opinion publique. Le scandale financier a plus de classe, garde l’avantage sur le scandale sexuel. Parce que l’exercice du pouvoir est rarement intègre, parce qu’il est facile, à un certain niveau de responsabilité de détourner à des fins privées l’argent public (tous des pourris, c’est bien connu), l’électeur lambda a tendance à être indulgent avec ceux que le goût du lucre fait fauter : voyez François Fillon ou Patrick Balkany. Après une nécessaire période de purgatoire, certains reviennent même avec brio dans l’arène politique (comme Alain Juppé). Et si d’aventure on le leur rappelle, leurs indéfectibles supporteurs vous diront de balayer devant votre porte. Que celui qui n’a jamais péché…

A l’inverse la luxure – quoique moins grave en soi pour le corps social – laisse une tâche indélébile sur une carrière politique. Elle révèle la nature d’un homme qui, bien qu’appelé aux plus hautes fonctions publiques, ne sait pas maîtriser ses pulsions. Et cette faiblesse est sans appel pour la réputation de ceux qu’elle corrode. Dans l’histoire récente la liste est longue de ceux qui ont été, du jour au lendemain, évincés de leur piédestal pour une affaire de coucherie (André Le Troquer, John Profumo, Gary Hart entre autres). A la faute sexuelle sont en plus associées la honte et la moquerie : on sait le déluge de caricatures dont DSK a fait l’objet après l’affaire du Sofitel de New-York.  Ce qu’il avait fait et produit jusque là ne comptait plus pour l’opinion ; on ne voyait plus en lui que l’obsédé sexuel, le pauvre type qui a un problème de libido.

Avec la mise en circulation de ses vidéos intimes, Benjamin Griveaux risque fort, lui aussi, de subir le même coup d’arrêt fatal à sa carrière. Porte-parole de l’Elysée puis tête de liste du parti présidentiel pour la mairie de Paris, il était l’une des figures de proue de la « macronie » et pouvait, à 42 ans, espérer gravir d’autres échelons. Le voici maintenant à terre, pitoyable et sans aura, malgré le soutien de la classe politique. Tout cela pour un petit moment de plaisir : quelle disproportion entre la cause et l’effet !

Son retrait immédiat de la campagne municipale a mis LREM dans l’embarras, même si on lui a aussitôt trouvé une remplaçante en la personne d’Agnès Buzyn. Est-ce néanmoins un choix judicieux ? L’ex-ministre de la santé se serait bien passée de cette désignation forcée dans le contexte actuel (crise de l’hôpital, menace du coronavirus). En outre, même si elle est parisienne, elle n’a jamais jusqu’ici brigué les suffrages des électeurs. C’est dire qu’elle a fort peu de chances de remporter cette stratégique campagne face à des candidates (Anne Hidalgo, Rachida Dati) plus légitimes qu’elle.   

La question qu’on doit se poser porte moins sur la moralité sexuelle de Benjamin Griveaux – qu’il soit un époux adultère, après tout, ne regarde que lui - que sur son ingénuité politique. Comment a-t-il pu, avec les responsabilités qui étaient les siennes, se laisser filmer dans une telle situation et, ainsi, favoriser ce genre de  divulgations ? C’est ce qu’on appelle, sans mauvais jeu de mots, donner les verges pour se faire battre. Personne, dans son entourage, ne l’aurait donc alerté sur les risques liés à ce type d’exhibition numérique ? Cette pratique peut sembler aberrante pour tous ceux qui n’ont pas trouvé un smartphone dans leur berceau. Elle s’est pourtant répandue comme une traînée de poudre depuis quelques années. Dans une récente enquête, le magazine Hot vidéo et Cam4 révèlent que de plus en plus de jeunes français ont pris l’habitude de se filmer en situation d’intimité sexuelle, histoire de s’émoustiller. Ils seraient 46% à le faire chez les moins de 30 ans et ce goût pour le « dick pik » atteindrait les 53% chez les quadras – comme Griveaux -, malgré les risques de fuites malveillantes sur les réseaux sociaux (« revenge porn »). Est-ce là un fait de génération ? Reste que tous les exhibitionnistes du web ne briguent pas la mairie de Paris.

On ne terminera pas cet article sans nommer celui par qui le scandale est arrivé, l’activiste russe Piotr Pavlenski. Dans cette affaire, on peine à comprendre la motivation artistique de ce trouble individu – la dénonciation de l’hypocrisie en politique -  et surtout à l’avaliser, tellement son acte est d’une infinie bassesse. Réfugié politique depuis plusieurs années, il ne sera pas néanmoins expulsé vers son pays d’origine et c’est une générosité à mettre au compte des lois françaises. Dommage, diront certains.

 

Jacques Lucchesi

19/02/2020

Homéopathie : le rapport de la discorde

          

 

 La querelle, déjà ancienne, entre partisans et contempteurs de l’homéopathie, a été relancée en mars 2018, par une tribune (parue dans le Figaro) signée par 124 médecins. Adversaires résolus des médecines alternatives, ils en demandaient le complet déremboursement. L’affaire est remontée jusqu’au gouvernement qui a demandé, guère après, la saisie d’une commission de la Haute Autorité de Santé. Après avoir épluché plus de mille études sur le sujet, celle-ci a rendu, le 28 juin dernier, un avis sans équivoque sur le caractère inefficace des traitements homéopathiques. Du coup, la ministre de la santé Agnès Buzyn - qui avait déclaré qu’elle suivrait les recommandations de la HAS -  a, dans la foulée, pris la décision de les dérembourser progressivement. Couverts jusque là à hauteur de 30% par la Sécurité Sociale, ils passent à 15% cette année avant d’être totalement déremboursés à partir du 1er janvier 2021. Bénéfice estimé pour la Sécurité Sociale : 126, 8 millions d’euros. Ce qui n’est vraiment pas grand-chose, puisqu’en France  le montant total des médicaments remboursés tourne autour de vingt milliards d’euros annuels.

Cette décision, censément rationnelle, a de quoi mécontenter les sept millions de Français utilisateurs convaincus de l’homéopathie dans la lutte contre la plupart des affections saisonnières. Pour eux son efficacité est bien réelle ; elle ne relève pas du simple effet placebo comme le prétendent ses détracteurs. Elle a surtout de quoi alarmer les trois laboratoires (deux français, un suisse) qui se partagent ce marché. Déjà, ils envisagent une compression de personnel pour faire face, tant à une hausse de leurs prix de vente qu’à une diminution conséquente de la demande.

Ainsi Boiron, le plus important d’entre eux qui emploie quelques 2500 salariés, a pris les devants en demandant une audition au président de la république. Si cette mesure n’était pas abandonnée, ce serait un millier d’employés qui pourraient bien se retrouver au chômage selon la direction du laboratoire. Soutenu par de nombreux élus de la région Rhône-Alpes, l’argument semble imparable dans le contexte économique actuel; néanmoins il ne préoccupe guère la ministre de la santé. Pour elle, seule compte, dans cette affaire, la vérité scientifique et l’efficacité clinique. D’où un dialogue de sourds en perspective. Du reste, on peut se demander si madame Buzyn est aussi impartiale qu’elle devrait l’être de par ses fonctions. Il est de notoriété publique  qu’elle a été longtemps rémunérée par plusieurs grands laboratoires pharmaceutiques. Cela crée forcément des accointances, sinon des intérêts personnels, sur la durée.

Dans ce conflit dont l’issue est connue d’avance, il y a cependant d’autres intérêts, que ceux strictement économiques, qui sont en jeu. Car en restreignant l’offre médicale sur le marché, en rendant moins attractives des médications alternatives (comme l’homéopathie), on ne fait pas que concourir au bénéfice des grands groupes pharmaceutiques, on diminue aussi la liberté de choix des Français. En leur faisant habilement comprendre où se trouve leur intérêt financier, et sans interdire quoique ce soit, on instaure un modèle exclusif de soins d’où l’usager ne risque plus de sortir. C’est une vision partisane (et contraignante) de la médecine dans la société moderne qui est ainsi validée par nos gouvernants. Alors que leur action, dans une saine démocratie, devrait au contraire favoriser la diversité des propositions et s’opposer à toute forme de monopole.

 

Jacques LUCCHESI

13/12/2019

       L’héroïsme en question

                           

 

 

 Longtemps on a cru que l’héroïsme appartenait au passé, à une certaine idée de la bravoure et de la guerre que les nouveaux rapports politico-économiques avaient relégué au musée. Le héros semblait réduit à ses nombreuses représentations artistiques, quelle que soit l’époque où l’on situât ses faits d’armes. Sans remonter très loin dans l’histoire, les résistants durant l’Occupation – Jean Moulin en tête – nous avaient fourni maints exemples de ce que l’homme peut faire et supporter en des situations extrêmes. Au courage s’alliait le sens du sacrifice personnel pour une action  orientée par des valeurs d’ordre éthique (amour de la patrie et de la liberté, haine de la barbarie, souci d’autrui et des générations futures, etc…). Telle nous paraît être encore la plus juste définition de l’héroïsme. C’est dire qu’elle exclue tous ceux qui, de nos jours, tentent des records aussi périlleux qu’absurdes dans le seul but d’attirer l’attention sur eux.

Si la guerre reste la première pourvoyeuse de circonstances exceptionnelles où la vie humaine semble jouée à pile ou face, la vie civile peut aussi ouvrir des brèches dans la routine des citoyens ordinaires. Les trois hommes qui ont affronté, récemment à Londres, le terroriste au couteau afin de l’empêcher de faire de nouvelles victimes, relèvent certainement de cette deuxième catégorie de héros. Tout comme les trois jeunes américains qui, en août 2015, avaient maîtrisé un autre terroriste qui s’apprêtait à faire un carnage dans l’express Amsterdam-Paris. Le cas de l’officier de gendarmerie Arnaud Beltrame qui, en mars 2018, s’est substitué à une otage dans un supermarché de Trèbes, relève autant de l’héroïsme que du martyre – lequel suppose une acceptation de sa propre mort, sans le recours aux armes pour défendre sa vie.

Car la guerre a changé d’allure et de moyens. Elle est devenue moins protocolaire, plus souterraine et plus diffuse. Si les nations s’affrontent encore, c’est par l’intermédiaire de groupes para-militaires qui représentent leurs intérêts divergents. Ou alors elles s’opposent directement à des organisations criminelles qui ignorent toute forme de diplomatie. On est loin du schéma classique de deux armées s’affrontant sur une partie du territoire national, avec les hécatombes humaines que l’on sait. Néanmoins la guerre demeure vivace un peu partout sur la planète en ce début du XXIeme siècle. Et elle requiert toujours des soldats pour la faire – des soldats désormais engagés volontaires – sur des théâtres d’opérations souvent éloignés de leur métropole.

Le cas des treize jeunes militaires français, disparus au Mali le 25 novembre dernier dans un accident d’hélicoptère, est caractéristique de cette nouvelle donne conflictuelle. Du courage, ils en avaient certainement pour avoir accepté cette mission dans ce pays africain, face à des combattants de l’ombre. Mais leur mort, aussi bouleversante soit-elle, résulte quand même de conditions accidentelles, comme il s’en produit aussi dans la vie civile. Elle n’est pas la conséquence d’une attaque  - ou d’un guet-apens - face à des adversaires déterminés, comme ce fut le cas, en mai dernier,  pour Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello. Qu’on ne s‘y trompe pas ! Cette mort accidentelle est encore plus tragique pour un soldat qu’une mort au combat les armes à la main, car elle le prive de faire la démonstration de sa valeur militaire. Dès lors, fallait-il parler aussi vite d’héroïsme comme l’ont fait nos gouvernants et les médias qui ont relayé leur voix ? N’est-ce pas faire un usage abusif de ce mot, même pour honorer à juste titre leur mémoire ?    

Au-delà de cette exigence définitionnelle, on peut se demander à quoi visent les cérémonies officielles qui accompagnent désormais la perte de chaque soldat français dans l’exercice de sa fonction. N’y a t’il pas, en filigrane, la volonté de redonner à chacun d’entre nous la fierté d’être français ? Dans ce cas c’est une leçon de patriotisme qui nous est donnée, paradoxalement à l’heure de la construction européenne ? Mais on peut aussi y distinguer une intention plus bassement politicienne. Car, à chaque nouvelle perte humaine, il s’agit de reconquérir l’opinion publique, elle qui supporte de moins en moins bien que de jeunes français aillent mourir loin de leur pays, pour des intérêts qui ne sont pas toujours très clairs. Ainsi, à l’heure ou la guerre n’est plus – heureusement - synonyme de mort de masse, chaque disparition de soldat qu’elle entraîne, directement ou indirectement, peut apparaître comme auréolée d’héroïsme.

 

Jacques LUCCHESI