17/06/2010
Petites combines entre amis
Alors que 2012 se rapproche à grands pas, on commence, dans les partis, à affiner ses stratégies électorales. Et chacun y va de ses petits arrangements. Cela nous promet sûrement quelques bons moments au centre (Morin, Bayrou, Villepin), comme à gauche (Duflot et Cohn-Bendit ?). Mais, à n’en pas douter, le clou du spectacle sera donné, lors de primaires très attendues, par le Parti Socialiste. L’une, au moins, de ses récentes propositions mérite que l’on s’y arrête. Naguère, il confiait à ses militants le soin d’élire la personnalité la plus apte à le représenter dans l’élection présidentielle. C’est ainsi que Ségolène Royal se trouva propulsée pendant six mois sur le devant de la scène (elle ne s’en est jamais tout à fait remise). Or, voici qu’à présent, le PS propose d’étendre cette délicate mission à l’ensemble des Français. Cette apparente générosité n’est, cependant, pas sans conditions. Il faut, en effet, se déclarer adhérent aux valeurs de gauche – ça élimine pas mal de monde – et verser au moins un euro de participation pour devenir électeur. Ces formalités accomplies, n’importe quel citoyen d’au moins 18 ans pourra désigner, lors d’un scrutin public, le prétendant socialiste de son choix parmi ceux qui seront en lice.
On voit assez facilement ce que cette proposition implique.
Ainsi les socialistes, en élargissant à tous ce qui était jusqu’alors un privilège de militant, brouillent les repères sociologiques des gens. Tout en dévalorisant leurs militants de base, ils transformeront insidieusement en néo- militants ceux qui accepteront de rentrer dans leur jeu, au cours d’une élection qui ressemblera forcément à une répétition publique de présidentielle. Bel exercice de conditionnement ! Du reste, l’adhésion, même minorée, est évidente dans les deux conditions de participation –adhérer aux valeurs de gauche et verser au moins un euro. C’est ce qu’on appelle populairement gagner sur tous les tableaux. Non seulement, ils préparent mentalement une partie des Français à voter pour eux, leur offrant le pseudo privilège de s’investir dans leur cuisine interne, mais encore ils leur demandent de payer pour cela. Il est facile d’imaginer les millions d’euros qu’ils espèrent ainsi recueillir pour leur campagne : eh, c’est qu’il n’y a pas de petits bénéfices.
Y aura-t’il beaucoup de Français qui donneront dans ce panneau ? J’en doute. Le PS, quoiqu’il en pense, n’a pas le monopole de la gauche. Cela, il faut le lui rappeler sans tarder en boycottant une telle proposition. Qu’il se débrouille avec sa ménagerie, renards, brebis et éléphants confondus. Qu’il gère seul ses propres dilemmes. Au moment voulu – c'est-à-dire en avril-mai 2012 -, les électeurs de gauche se décideront, en leur âme et conscience, pour le candidat désigné ou sélectionné. Peut-être enverront-ils, alors, un socialiste au second tour, peut-être pas. Car l’hypothèse que les socialistes pourraient s’incliner dès le premier tour et soutenir, face à la droite, un candidat issu d’une autre formation de gauche n’est pas complètement à exclure.
Bruno DA CAPO
18:51 Publié dans numero 5 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : 2012, ps, gauche, primaires
11/06/2010
Adieu Zarafa
Conçue par Jean-Michel Rubio et Art Book Collectif, Zarafa, girafe métallique de six mètres de haut, a surgi sur les Allées du Meilhan – en haut de la Canebière – à l’occasion, voici un an, de la première édition des Bouquinades. Assez rapidement, elle est devenue une borne de livre-échange où les Marseillais pouvaient venir déposer ou prendre librement un vieux livre. Elle s’est ainsi retrouvée vêtue par un pelage multicolore de quelques trois mille bouquins. Cette sculpture originale, emblématique du renouveau culturel de Marseille, était devenue familière dans notre paysage urbain et constituait, pour tous ceux qui découvraient la vieille cité phocéenne, une curiosité supplémentaire et, pour tout dire, incontournable.
Hélas, elle n’est plus depuis près d’un mois, maintenant, victime de la bêtise – sinon de la barbarie – qui s’empare périodiquement d’une partie des habitants de cette ville. Il faut dire que l’occasion était presque une excuse. Le dimanche 16 mai, pour fêter la victoire de l’OM en championnat de France, environ soixante mille supporters remontèrent bruyamment la Canebière. Evidemment, le service d’ordre était à la mesure de l’évènement et, de provocation en provocation, des échauffourées éclatèrent. C’est alors que quelques jeunes imbéciles eurent l’idée abjecte de mettre le feu à la pauvre Zarafa et son costume de livres. En quelques minutes, les flammes dévorèrent le fragile symbole qu’elle représentait pour tous ceux qui pensent que Marseille est bien davantage que les initiales d’un club de football. Depuis, des politiques ont réagi, promettant la renaissance de Zarafa, tel le Phénix de ses cendres. En attendant, on peut lire les nombreux messages de tristesse et d’indignation collés sur les barrières qui entourent l’immense squelette calciné.
Non, Marseille ne sort pas grandie de ce troublant autodafé. Elle révèle surtout sa dualité et le télescopage de deux logiques antagonistes en son sein : celle du foot et celle de la culture. Harmoniser les deux d’ici 2013 relève de la gageure.
James GREYSTOKE
10:50 Publié dans numero 5 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : girafe, livres, om, autodafé
22/04/2010
Les Infiltrés, une émission qui balance
Jusqu’où ira la télévision française ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser après la première des « Infiltrés », mardi 6 avril, sur France 2, tellement les méthodes employées sont douteuses. Un sujet inaugural presque banal par les temps actuels : les pédophiles ou plus exactement les prédateurs sexuels qui draguent des mineur(e)s sur le Net. Sans doute est-ce pour cela qu’il fallait aller plus loin dans la recherche du sensationnel. Sous cet angle-là, Laurent Richard, le reporter de cette enquête, n’a pas failli puisqu’il s’est tout simplement fait passer pour une gamine de 12 ans afin de piéger, par chatt interposé, des amateurs de « fruits verts ». Je veux bien admettre que ce genre d’attirances et de dialogues (parfois assortis d’actes explicites devant une webcam) n’est guère flatteur pour ceux qui s’y adonnent compulsivement. Mais que penser d’un journaliste qui, même dans le cadre de son travail, excite les pulsions de ces pervers pour les faire venir à un rendez-vous où ils ne rencontreront que leur propre malaise ? Que cela ressemble étonnamment aux moyens désormais employés par des policiers spécialisés dans ce type de répression. Que penser d’un journaliste qui, après s’être servi de ces gens-là pour son reportage, les a tout simplement livrés à la police, alors même que la loi ne l’y obligeait pas (le fameux secret des sources journalistiques) ? Qu’il a fait un acte exemplaire de citoyen, comme il l’a claironné un peu partout ? Ou qu’il a avili sa profession en devenant, ni plus ni moins, qu’un indic ? Nul besoin de trancher, tellement la réponse est évidente.
Car il faut bien avoir à l’esprit les problèmes et les enjeux posés par une telle dérive. D’abord, à n’en pas douter, ces méthodes dévalorisent le service public. Elles le ravalent au rang des multiples chaînes privées qui font leur ordinaire de la télé-réalité ; cette télé-réalité qu’il dénonçait comme dégradante dans « Le jeu de la mort », voici quelques semaines à peine. Quelle peut bien être la viabilité d’un pareil concept télévisuel ? On ne peut pas éluder cette question, car les marginaux de tout crin - qui sont le pain bénit de ce genre de reportages - pourraient bien repousser les propositions de monsieur Pujadas et consort s’ils risquent ensuite d’être dénoncés à la police. Selon une expression populaire, cela s’appelle scier la branche sur laquelle on est assis.
Si l’on examine à présent la valeur informative de cette première émission, force est de constater qu’elle était à peu près nulle, n’éclairant pas ce sujet délicat sous un jour nouveau. Et pour cause ! Puisque son but était la condamnation et non l’explication. Le « débat » qui suivit fut un modèle de caquetage consensuel et vindicatif à la fois. Là où il aurait fallu les regards dépassionnés d’un historien et d’un psychologue, on ne trouvait, autour de David Pujadas, que des représentants de ligues de vertu – à commencer par l’ineffable Nadine Morano. C’est une certitude : on ne fait pas de la bonne télévision avec de bons sentiments. Qui, d’ailleurs, n’étaient pas si bons que ça…
Au-delà des faits incriminés émerge, de ce marigot cathodique, la sempiternelle question de la liberté. Que peut-on dénoncer, que peut-on accepter au nom de la sécurité ? Doit-on, au juste motif de protéger les enfants – ou toute autre catégorie de citoyens -, criminaliser non seulement les actes, mais aussi les intentions, voire les fantasmes. Loin d’être limité aux seuls comportements déviants, ce processus d’hyper-sécurisation ne peut que se répercuter sur les autres champs de la vie sociale et rogner toujours plus les libertés individuelles. Progressivement, on s’achemine vers ces modèles de sociétés totalitaires imaginées par George Orwell (« 1984 ») et Philip K. Dick (« Minority report »), avec leurs systèmes de contrôle des pensées. C’est l’existence même de la démocratie qui est en jeu. Et celle-ci exige parfois que l’on fasse taire des intérêts particuliers, aussi sensibles soient-ils, pour sauvegarder ses principes.
Erik PANIZZA
19:46 Publié dans numero 5 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pujadas, prédateurs sexuels, télé-réalité