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22/04/2010

Les Infiltrés, une émission qui balance











Jusqu’où ira la télévision française ?  C’est la question que l’on peut légitimement se poser après la première des « Infiltrés », mardi 6 avril, sur France 2, tellement les méthodes employées sont douteuses. Un sujet inaugural presque banal par les temps actuels : les pédophiles ou plus exactement les prédateurs sexuels qui draguent des mineur(e)s sur le Net. Sans doute est-ce pour cela qu’il fallait aller plus loin dans la recherche du sensationnel. Sous cet angle-là, Laurent Richard, le reporter de cette enquête, n’a pas failli puisqu’il s’est tout simplement fait passer pour une gamine de 12 ans afin de piéger, par chatt interposé, des amateurs de « fruits verts ». Je veux bien admettre que ce genre d’attirances et de dialogues (parfois assortis d’actes explicites devant une webcam) n’est guère flatteur pour ceux qui s’y adonnent compulsivement. Mais que penser d’un journaliste qui, même dans le cadre de son travail, excite les pulsions de ces pervers pour les faire venir à un rendez-vous où ils ne rencontreront que leur propre malaise ? Que cela ressemble étonnamment aux moyens désormais employés par des policiers spécialisés dans ce type de répression. Que penser d’un journaliste qui, après s’être servi de ces gens-là pour son reportage, les a tout simplement livrés à la police, alors même que la loi ne l’y obligeait pas (le fameux secret des sources journalistiques) ? Qu’il a fait un acte exemplaire de citoyen, comme il l’a claironné un peu partout ? Ou qu’il a avili sa profession en devenant, ni plus ni moins, qu’un indic ? Nul besoin de trancher, tellement la réponse est évidente.
Car il faut bien avoir à l’esprit les problèmes et les enjeux posés par une telle dérive. D’abord, à n’en pas douter, ces méthodes dévalorisent le service public. Elles le ravalent au rang des multiples chaînes privées qui font leur ordinaire de la télé-réalité ; cette télé-réalité qu’il dénonçait comme dégradante dans « Le jeu de la mort », voici quelques semaines à peine. Quelle peut bien être la viabilité d’un pareil concept télévisuel ? On ne peut pas éluder cette question, car les marginaux de tout crin  - qui sont le pain bénit de ce genre de reportages -  pourraient bien repousser les propositions de monsieur Pujadas et consort s’ils risquent ensuite d’être dénoncés à la police. Selon une expression populaire, cela s’appelle scier la branche sur laquelle on est assis.
Si l’on examine à présent la valeur informative de cette première émission, force est de constater qu’elle était à peu près nulle, n’éclairant pas ce sujet délicat sous un jour nouveau. Et pour cause ! Puisque son but était la condamnation et non l’explication. Le « débat » qui suivit fut un modèle de caquetage consensuel et vindicatif à la fois. Là où il aurait fallu les regards dépassionnés d’un historien et d’un psychologue, on ne trouvait, autour de David Pujadas, que des représentants de ligues de vertu – à commencer par l’ineffable Nadine Morano. C’est une certitude : on ne fait pas de la bonne télévision avec de bons sentiments. Qui, d’ailleurs, n’étaient pas si bons que ça…
Au-delà des faits incriminés émerge, de ce marigot cathodique,  la sempiternelle question de la liberté. Que peut-on dénoncer, que peut-on accepter au nom de la sécurité ? Doit-on, au juste motif de protéger les enfants – ou toute autre catégorie de citoyens -, criminaliser non seulement les actes, mais aussi les intentions, voire les fantasmes.  Loin d’être limité aux seuls comportements déviants, ce processus d’hyper-sécurisation ne peut que se répercuter sur les autres champs de la vie sociale et rogner toujours plus les libertés individuelles. Progressivement, on s’achemine vers ces modèles de sociétés totalitaires imaginées par George Orwell (« 1984 ») et Philip K. Dick (« Minority report »), avec leurs systèmes de contrôle des pensées. C’est l’existence même de la démocratie qui est en jeu. Et celle-ci exige parfois que l’on fasse taire des intérêts particuliers, aussi sensibles soient-ils, pour sauvegarder ses principes.


Erik PANIZZA    

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