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28/03/2013

Bruissements (19)

 


 

Mediapart : quel est le point commun entre un ministre du budget poussé à la démission et un ex-président de la République mis en examen pour abus de faiblesse ?  L’argent, certes, la recherche du profit personnel ou le financement illégal de campagne, mais aussi un journal d’investigation en ligne : Médiapart. C’est en effet le site dirigé par Edwy Plenel qui a, le premier, diligenté une enquête sur les troubles rapports entre l’incorruptible Nicolas et l’héritière de l’Oréal ; lui encore qui a pris au sérieux les soupçons d’évasion fiscale qui pesaient sur Jérôme Cahuzac. Si, dans l’actuelle majorité, on accuse le choc avec discrétion, ce n’est pas la même attitude chez le fan-club de Sarkozy où l’on crie volontiers au scandale. Selon ses zélateurs (Copé, Guaino ou même Wauquiez), le juge Gentil – rappelons qu’il est épaulé par deux autres magistrats dans cette affaire –  serait en collusion avec l’Elysée pour empêcher le retour de leur champion en 2017; à moins qu’il ne poursuive une vengeance personnelle contre un ex-président qui a voulu mettre au pas sa corporation. Menaces, accusations et contre-accusations se succèdent ainsi depuis une semaine. Que la justice poursuive librement son cours dans cette affaire  n’est pas une hypothèse suffisante  pour eux, mais c’est pourtant la plus simple. Quoiqu’il en soit,  Plenel peut dire avec raison que, dans un cas comme dans l’autre, c’est d’abord une victoire de la démocratie. A propos, l’autre dossier sur lequel enquête Médiapart actuellement est la rumeur de financement par Kadhafi de la campagne de Sarkozy en 2007. On s’attend, là aussi, à beaucoup de remous.

 

Histoires russes : Ah ! Ce n’est pas dans la Russie de monsieur Poutine qu’un journal pourrait entreprendre de pareilles enquêtes. On sait ce qu’il en a coûté à la pauvre Anna Politkovskaïa en 2006. La mort  à 67 ans, samedi dernier près de Londres, du milliardaire russe Boris Berezovski a réveillé le spectre de l’assassinat politique. Celui-ci était devenu l’un des plus farouches opposants à Vladimir Poutine après l’avoir aidé dans sa conquête du pouvoir– d’où son exil britannique au tournant des années 2000. Une distance dérisoire pour les services secrets, si l’élimination d’un homme est décidée en haut lieu. Ce fut le cas pour Alexandre Litvinenko, autre exilé russe en Angleterre, qu’un thé au polonium emporta, lui aussi en 2006. Or, il se trouve que Litvinenko et Berezovski étaient amis depuis 1994. Le rapprochement entre ces deux décès devait forcément être pris au sérieux par la police anglaise. Néanmoins, les experts dépêchés auprès du corps sans vie de Berezovski n’ont pu déceler la moindre trace de substance toxique dans son organisme. Sans écarter la possibilité d’un infarctus, c’est la thèse d’un suicide par pendaison qui est devenue la plus probable – car l’oligarque russe était criblé de dettes. Voilà, en tous les cas, une disparition qui ne sera pas pleurée au Kremlin. John Le Carré pourrait encore trouver, dans notre époque, quelques bons canevas de roman d’espionnage.    

Télé-réalité : Autre mort subite – mais pas suspecte -, celle de Gérald Babin, engagé volontaire dans la 16eme édition de « Koh-Lanta. Qu’était donc allé chercher ce garçon de 25 ans dans la jungle cambodgienne redessinée par TF1 ? Le défi, la notoriété, la fortune. Las ! Son cœur l’a lâché dès la première épreuve ; il est vrai qu’il ne s’était pas soumis à un test d’effort préalable. Du coup, la chaîne organisatrice a annulé cette funeste édition et les 17 autres participants ont été rapatriés. Ce décès prématuré n’en relance pas moins les critiques envers ce genre d’émissions qui misent sur le sensationnel à tout prix. Au vu des conditions auxquelles se soumettent les participants de ces modernes « jeux de cirque », il faut s’étonner, non pas qu’un accident tragique puisse arriver, mais bien qu’il n’en arrive pas plus souvent. Au reste, si c’est la première fois qu’une chaîne française est endeuillée de la sorte, on recense plusieurs précédents dans des émissions étrangères calquées sur le même modèle – comme en Bulgarie ou aux Philippines. Si cela pouvait être le début d’une prise de conscience et d’un rejet collectifs de la « trash » télé-réalité, un jeune homme trop confiant en ses capacités physiques ne serait pas mort en vain.

 

Marseille : où va Marseille ? On peut se poser la question au vu de l’actualité récente. Le week-end dernier, un règlement de comptes lié à la drogue a fait une nouvelle victime. Cela porte à 5 le nombre de tués depuis le début de l’année (rappelons que 2012 a été marquée par 25 assassinats). Un collectif de mères, toutes endeuillées par la mort violente d’un enfant, a ainsi décidé de faire une marche contre cette violence qui gangrène la ville. Se souvenaient-elles que d’autres mères, en Argentine, avaient fait de même pour protester contre les crimes impunis de la dictature Videla? Les causes changent mais l’émotion reste la même. Mais voilà, à Marseille, le bizness de la drogue est devenu une économie parallèle, alternative juteuse mais risquée pour bien des jeunes en situation d’échec scolaire et professionnel. Cette situation de paupérisation tend à se généraliser dans les couches populaires de la vieille cité phocéenne. Face à ce phénomène inquiétant, la municipalité renforce les contrôles policiers et poursuit une politique ultra-libérale dans l’espoir de relancer la consommation et le tourisme. Mais les politiques sont eux-mêmes touchés par la corruption, comme l’ont montré récemment les affaires Guérini et Andrieux. Cela n’empêche pas les élus socialistes de se mobiliser, face à une Droite affaiblie,  en vue des élections municipales de 2014. De belles luttes intestines en perspective. Si l’on ajoute à ce tableau les actes inciviques en hausse, les interminables chantiers urbains  et une pollution automobile qui fait de Marseille la ville la plus polluée d’Europe juste derrière Varsovie, on comprendra que cette ville est de moins en moins agréable à vivre. Et si son ensoleillement attire encore quelques personnalités parisiennes, de plus en plus de Marseillais ne rêvent que d’aller se mettre au vert dans des communes moins trépidantes. Oui, le prochain maire de Marseille aura bien du travail à faire s’il veut tenter de redresser la barre. Ou sinon gare au naufrage.                      


                           Erik PANIZZA     

22/04/2010

Les Infiltrés, une émission qui balance











Jusqu’où ira la télévision française ?  C’est la question que l’on peut légitimement se poser après la première des « Infiltrés », mardi 6 avril, sur France 2, tellement les méthodes employées sont douteuses. Un sujet inaugural presque banal par les temps actuels : les pédophiles ou plus exactement les prédateurs sexuels qui draguent des mineur(e)s sur le Net. Sans doute est-ce pour cela qu’il fallait aller plus loin dans la recherche du sensationnel. Sous cet angle-là, Laurent Richard, le reporter de cette enquête, n’a pas failli puisqu’il s’est tout simplement fait passer pour une gamine de 12 ans afin de piéger, par chatt interposé, des amateurs de « fruits verts ». Je veux bien admettre que ce genre d’attirances et de dialogues (parfois assortis d’actes explicites devant une webcam) n’est guère flatteur pour ceux qui s’y adonnent compulsivement. Mais que penser d’un journaliste qui, même dans le cadre de son travail, excite les pulsions de ces pervers pour les faire venir à un rendez-vous où ils ne rencontreront que leur propre malaise ? Que cela ressemble étonnamment aux moyens désormais employés par des policiers spécialisés dans ce type de répression. Que penser d’un journaliste qui, après s’être servi de ces gens-là pour son reportage, les a tout simplement livrés à la police, alors même que la loi ne l’y obligeait pas (le fameux secret des sources journalistiques) ? Qu’il a fait un acte exemplaire de citoyen, comme il l’a claironné un peu partout ? Ou qu’il a avili sa profession en devenant, ni plus ni moins, qu’un indic ? Nul besoin de trancher, tellement la réponse est évidente.
Car il faut bien avoir à l’esprit les problèmes et les enjeux posés par une telle dérive. D’abord, à n’en pas douter, ces méthodes dévalorisent le service public. Elles le ravalent au rang des multiples chaînes privées qui font leur ordinaire de la télé-réalité ; cette télé-réalité qu’il dénonçait comme dégradante dans « Le jeu de la mort », voici quelques semaines à peine. Quelle peut bien être la viabilité d’un pareil concept télévisuel ? On ne peut pas éluder cette question, car les marginaux de tout crin  - qui sont le pain bénit de ce genre de reportages -  pourraient bien repousser les propositions de monsieur Pujadas et consort s’ils risquent ensuite d’être dénoncés à la police. Selon une expression populaire, cela s’appelle scier la branche sur laquelle on est assis.
Si l’on examine à présent la valeur informative de cette première émission, force est de constater qu’elle était à peu près nulle, n’éclairant pas ce sujet délicat sous un jour nouveau. Et pour cause ! Puisque son but était la condamnation et non l’explication. Le « débat » qui suivit fut un modèle de caquetage consensuel et vindicatif à la fois. Là où il aurait fallu les regards dépassionnés d’un historien et d’un psychologue, on ne trouvait, autour de David Pujadas, que des représentants de ligues de vertu – à commencer par l’ineffable Nadine Morano. C’est une certitude : on ne fait pas de la bonne télévision avec de bons sentiments. Qui, d’ailleurs, n’étaient pas si bons que ça…
Au-delà des faits incriminés émerge, de ce marigot cathodique,  la sempiternelle question de la liberté. Que peut-on dénoncer, que peut-on accepter au nom de la sécurité ? Doit-on, au juste motif de protéger les enfants – ou toute autre catégorie de citoyens -, criminaliser non seulement les actes, mais aussi les intentions, voire les fantasmes.  Loin d’être limité aux seuls comportements déviants, ce processus d’hyper-sécurisation ne peut que se répercuter sur les autres champs de la vie sociale et rogner toujours plus les libertés individuelles. Progressivement, on s’achemine vers ces modèles de sociétés totalitaires imaginées par George Orwell (« 1984 ») et Philip K. Dick (« Minority report »), avec leurs systèmes de contrôle des pensées. C’est l’existence même de la démocratie qui est en jeu. Et celle-ci exige parfois que l’on fasse taire des intérêts particuliers, aussi sensibles soient-ils, pour sauvegarder ses principes.


Erik PANIZZA