14/12/2010
Wikileaks : la contre-attaque
L’affaire Wikileaks – qui est loin d’être terminée – pose avec une singulière insistance quelques problèmes éthiques que nous voudrions successivement aborder ici.
Il y a, tout d’abord, la divulgation de documents classés confidentiels. Est-ce que Julian Assange, au nom de la liberté d’expression et de la transparence démocratique, pouvait mettre en ligne 250 000 télégrammes des services diplomatiques américains sans miner un peu le principe fondamental dont il se réclame ? Peut-on tout dire sur le Net, sans sélection ni auto-censure ? La réponse relève, évidemment, de la responsabilité individuelle. Car ces télégrammes, on le sait bien, proviennent de « fuites » et, sans être des révélations particulièrement fracassantes, ils égratignent volontiers quelques dirigeants politiques – dont Nicolas Sarkozy, taxé d’impulsivité et d’autoritarisme. Autrement dit, Assange savait qu’il provoquerait des remous et une rapide réaction des institutions concernées. Par contre, il n’avait sans doute pas prévue l’intensité de celle-ci. A-t-on jamais vu une affaire de coucherie estivale justifier un mandat d’arrêt international ? Non, les USA n’ont pas apprécié le tour qu’il leur a joué et, de manière indirecte, ils le lui ont fait durement payer. Ce faisant, ils se sont mis en porte-à-faux avec leur propre constitution qui garantit sans coup férir la liberté de la presse - mais Assange est-il, à leurs yeux, un journaliste ?-. La réaction, pour le moins inattendue, d’un Vladimir Poutine plaidant la cause du trublion australien maintenant en prison, confirme, si besoin était, que les vieilles oppositions sont toujours vivaces entre la Russie et les Etats-Unis. Pas de surprise, en revanche, du côté d’Eric Besson, actuel ministre de l’économie numérique, déclarant Wikileaks persona non grata dans l’espace français.
Mais ces débats sont battus en brèche par le troisième acte de ce drame contemporain, à savoir l’irruption des partisans de Julian Assange sur la scène médiatique. Réagissant aussitôt à l’emprisonnement de ce dernier, ils ont littéralement inondés de pseudo-messages les sites internet de sociétés financières comme Visa ou Master Card jusqu’à les rendre inutilisables. Rappelons que celles-ci ont tout de même fermés les comptes d’Assange, rendant impossibles les moyens financiers de sa défense. Oui, nous sommes entrés dans l’ère de la guérilla numérique et si nous en doutions encore, ces justiciers de l’ombre nous l’ont démontré magistralement. Sous l’angle éthique, cette attaque de groupes parfaitement rodés aux stratégies informatiques ne peut pas être condamnée. Elle dit clairement l’importance des contre-pouvoirs dans un monde dominé par des coalitions féroces d’intérêts économiques, où des états, même sensément démocratiques, considèrent de plus en plus le Web comme une boite de Pandore qu’ils voudraient bien mettre sous leur coupe. Internet restera t’il longtemps encore cet espace de liberté sans précédent, où chacun peut afficher et faire entendre ses particularités ? Une nouvelle forme de résistance s’organise sous nos yeux. Nous sommes tous concernés par ce combat.
Bruno DA CAPO
13:56 Publié dans numéro 6 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : assange, wikileaks, mastercard