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22/11/2017

Bruissements (78)  

 

 

Filoche : au départ il y a un montage photographique représentant Emmanuel Macron, bras écartés, un brassard rouge orné d’un dollar autour du bras gauche. Derrière lui, dans une pénombre bleutée où l’on discerne les bannières américaine et israélienne, les figures de Patrick Drahi (pdg d’Altice), Jacob Rothschild (président de la banque du même nom) et Jacques Attali (écrivain et banquier, lui aussi) semblent ironiquement le dominer. Tous les trois sont, bien sûr, juifs. Cette image a été postée par le site Egalité et Réconciliation dont le fondateur, Alain Soral, est l’un des « maîtres à penser » de l’extrême-droite actuelle. Elle est on ne peut plus emblématique du discours antisémite qui sévit en France au moins depuis le XIXeme siècle. C’est un concentré de clichés, entre finance et pouvoir occulte, et l’on en rirait presque sans l’ombre persistante d’un certain Adolf Hitler… Dès lors, on se demande bien pourquoi un homme de gauche aussi sincère que Gérard Filoche est allé le relayer dans ses tweets, la semaine dernière. Certes, on savait, au moins depuis la mort de Christophe De Margerie en 2014, que le turbulent socialiste n’aimait pas les capitalistes. On sait aussi qu’il n’aime pas, non plus, l’orientation libérale de la présidence macroniste. Mais de là à tomber dans un tel panneau et d’avaliser une propagande aussi datée, aussi ignoble, il y a un pas qu’il n’aurait sans doute pas dû franchir. L’intéressé a d’ailleurs pris rapidement la mesure de son erreur et a retiré de son compte l’objet numérique du scandale. Malgré tout, devant la déferlante de critiques, le PS a choisi de l’exclure sèchement quatre jours plus tard, le mardi 21 novembre. Certains penseront, là encore, qu’il y a deux poids et deux mesures, que les Juifs bénéficient en France d’un traitement de faveur. Mais il y a, dans cette affaire, un arrière-plan historique trop grave pour qu’on la traite avec légèreté.

 

Plenel : rien ne va plus entre Médiapart et Charlie Hebdo après que ce dernier ait consacré sa une  du 8 novembre à Edwy Plenel caricaturé en singe de Bénarès se bouchant avec ses moustaches les yeux, la bouche et les oreilles. Elle fait suite à celle consacrée à Tariq Ramadan, Plenel étant accusé par Charlie de complicité intellectuelle avec le théologien musulman. A quoi le patron de Médiapart a répliqué en pointant la dérive identitaire de Charlie Hebdo et son islamophobie. L’inclination d’Edwy Plenel va d’ailleurs plus aux musulmans qu’à l’Islam : dans un récent essai, Pour les musulmans, il est allé jusqu’à voir en eux le nouveau prolétariat sur lequel pourrait s’appuyer une prochaine  révolution. La polémique est montée encore d’un cran lorsque Manuel Valls (mis en cause par Plenel) est rentré dans la bataille, plus remonté que jamais contre celui qui incarne à ses yeux le parangon de l’islamo-gauchisme en France (« Je vais lui faire rendre gorge »). Islamophobes contre islamo-gauchistes : voilà la nouvelle ligne de partage de la gauche française déjà bien affaiblie. Elle se situe, cette fois, sur le terrain des idées et non plus de l’économie. La fracture n’est pas prête de se refermer et nous promet encore quelques beaux débats : à quand un « combat » Riss/Plenel dans, par exemple, C politique ?

 

Croix : Mais la laïcité et les passions qu’elle suscite toujours ne concernent pas que l’Islam en France. On rappellera qu’à l’origine, c‘était le Christianisme qui était dans son viseur. C’est sur ce terrain séculaire que se situe la récente querelle autour de la statue de Jean-Paul II, à Ploërmel (Morbihan). Celle-ci, qui ne mesure pas moins de 7,5 mètres, représente l’ancien pape sous une arche surmontée d’une immense croix. Elle est l’œuvre du sculpteur georgien  Zourab Tséretelli, voici une douzaine d’années. Rapidement, elle a  soulevé l’ire de la fédération morbihannaise de la libre-pensée qui a eu beau jeu de rappeler que la loi de 1905 interdit la présence d’emblèmes religieux dans l’espace public (sauf dans les cimetières et les édifices ouvertement cultuels). Et, à force d’insister, elle a fini par obtenir gain de cause. Une décision du Conseil d’Etat, le 25 octobre dernier, a confirmé cette interdiction, d’où l’obligation de faire disparaître la fameuse croix dans les six prochains mois. Evidemment, le sculpteur s’est indigné, voyant là une atteinte à la propriété intellectuelle et artistique - car c’est son œuvre qui serait ainsi amputée. C’était sans compter avec les habitants de Ploërmel, catholiques pour la plupart et attachés à leur statue, qui ont créé une association – « Touche pas à mon pape » - dans le but de la préserver. Aux dernières nouvelles, elle aurait recueilli 100 000 euros de dons, ce qui pourrait permettre d’acheter un terrain privé et d’y déplacer la sculpture de la discorde dans son intégralité. Où l’on voit qu’en France les vieux conflits sont toujours prêts à resurgir. Et qu’on trouve toujours un moyen pour contourner les lois.    

 

Macron : lors d’une récente tournée dans des cités populaires du 93 et du Nord, Emmanuel Macron a reconnu que l’état avait manqué à ses obligations en laissant certains quartiers à l’abandon. L’état, c'est-à-dire celui qu’ont dirigé ses prédécesseurs à l’Elysée. Et de promettre de reprendre les choses en mains. Car ces « territoires perdus de la république », naguère décrits par Georges Bensoussan, ne sont pas que des fictions idéologiques. Ils sont là comme des enclaves défiant les lois républicaines, mélange de misère et de rancœur propice au radicalisme religieux. Evidemment, le mea culpa du président a fait des remous dans l’opposition. Ainsi, un grand démocrate comme Eric Ciotti s’est indigné que l’on puisse attribuer la responsabilité de cette situation à l’état français. Il préférerait sans doute que l’on continue de mener une politique de répression en aval, sans jamais s’interroger sur les causes de ce pourrissement. Et pourtant, Eric, il y a aussi des facteurs sociologiques à la délinquance et au terrorisme.  

 

LREM : on nous avait annoncé, avec l’arrivée de Macron aux affaires, une nouvelle façon de gouverner, plus ouverte, plus à l’écoute des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Avec La République En Marche, l’entrée en politique semblait être une simple formalité. Un vent d’enthousiasme soufflait sur ce nouveau parti. Six mois après sa création, force est de constater qu’il n’a fait que reproduire les mêmes mécanismes de pouvoir que ses aînés, peut-être  avec davantage de verticalité. L’impulsion est directement donnée par le chef de  l’état – qui est aussi le chef du parti - ; la parole des adhérents est confisquée par les cadres du parti ; on ne vote pas, on nomme les hommes aux postes stratégiques, comme on l’a vu avec Christophe Castaner (qui cumule maintenant la triple fonction de délégué général, de porte-parole du gouvernent et de député). Mais les premières vagues de contestation apparaissent, même au sein de cette formation jusqu’ici particulièrement docile. Une centaine de « marcheurs » ont ainsi rendu leur carte pour protester contre le manque de démocratie en interne de leur parti. Et un collectif  de rebelles s’est formé en vue de porter l’affaire devant la justice. Il est vrai qu’avec 380 000 adhérents recensés, LREM n’a pas trop de souci à se faire face à ce sursaut républicain. Moins, certainement, que ses concurrents, à droite comme à gauche.

 

Esclaves : alors que des associations d’afro-descendants réclament en France l’élimination du mot « nègre » dans le lexique éditorial, des trafiquants, en Lybie, réinventent à leur profit le vieux marché aux esclaves. Oui, au XXIeme siècle, des hommes – d’ailleurs tout aussi noirs de peau que leurs victimes – profitent de l’extrême misère des réfugiés pour les vendre à la criée. Pour quelques centaines de dollars, des fermiers locaux peuvent se payer les plus robustes exilés et exploiter sans contrepartie salariale leur force de travail. Depuis le reportage télévisé qui a alerté le monde sur cette situation aberrante, l’indignation n’a cessé de monter. Pétitions et défilés se sont multipliés pour faire cesser ce scandale – qui n’est, finalement, qu’une conséquence de la vague migratoire de l’Afrique vers l’Europe. Ils feront, on l’espère, réagir le gouvernement français et l’ONU. Pourtant, aussi anachronique que semble être  cette pratique avilissante, elle n’est pas exceptionnelle dans notre monde. D’autres marchés aux esclaves s’y perpétuent tranquillement, sous une forme ou sous une autre, bien à l’abri des regards, ceux-là. Car le cœur de l’homme change moins vite que ses lois.

 

Erik PANIZZA  

15/11/2017

        Nouvelles menaces sur Charlie Hebdo

            

 

 

 

 Après l’attentat du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo et l’immense vague émotionnelle qu’il avait provoqué, on avait pu croire que la tolérance reprendrait durablement ses droits en France. Nous savons, hélas, qu’il n’en est rien et que le journal symbole  de cette liberté d’expression à laquelle nous sommes si attachés est toujours dans le viseur de  ceux qui ne peuvent admettre les principes fondamentaux de notre pays. Les dernières menaces de mort à l’encontre de ses journalistes remontent à quelques jours seulement, après que l’hebdomadaire satirique ait fait sa une avec « l’affaire » Tariq Ramadan.

 Celle-ci présente la particularité de se situer au carrefour des moeurs et de la religion. Dans la foulée de l’affaire Weinstein et l’offensive féministe contre le harcèlement sexuel, l’islamologue suisse a été mis en cause, lui aussi, par deux de ses étudiantes. Elles lui reprochaient un comportement abusif, sinon violent, pour obtenir leurs faveurs. Là encore, ce sont des allégations et il faut rester prudent tant que la justice n’a pas statué. Mais la prudence n’est pas exactement le propre de Charlie Hebdo qui s’est emparé de la rumeur afin de brocarder une personnalité intellectuelle pour le moins controversée. On sait, en effet, que Tariq Ramadan est un partisan de la Charia et qu’il s’est souvent posé en directeur de conscience pour les musulmans européens, allant jusqu’à porter le débat sur les plateaux de télévision, face aux défenseurs de la laïcité. Ce qu’a vu en lui Charlie Hebdo, par la plume de son dessinateur Juin, c’est une forme de tartufferie, comme il l’a souvent raillé chez des personnalités de l’église catholique : rien de plus. Sauf qu’ici c’est un théologien musulman qui est mis en cause, et l’on ne connait que trop la susceptibilité de l’opinion arabe pour tout ce qui touche à sa religion.

En représentant Tariq Ramadan avec un sexe aussi gros et long qu’un obélisque, Juin n’a certes pas fait dans la dentelle : mais c’est le propre de toute caricature. Pour autant, il ne peut pas être accusé de blasphème, à moins de tenir l’auteur du  Génie de l’Islam  pour l’avatar moderne de Mahomet – ce qui serait très exagéré. Reste le commentaire qui accompagne le dessin, ce sixième pilier de l’Islam incarné par le djihad - notion elle aussi très discutée actuellement-, l’idée étant que celui pratiqué par Tariq Ramadan en privé n’est pas très glorieux. Tout cela, reconnaissons-le, n’a rien de bien méchant. C’est certainement moins virulent que les fameuses caricatures de Mahomet reproduites dans les pages du journal voici quelques années, avec les conséquences que l’on sait. Comment, sur la base de ces éléments iconiques, certains esprits, même échauffés,  peuvent-ils voir une nouvelle attaque de Charlie Hebdo contre l’Islam ? Dans ce cas précis, c’est à l’intéressé de répliquer en portant plainte pour diffamation contre le journal - toute autre forme de pression étant de fait irrecevable et condamnable. Mais cette agitation révèle – triste constat – le peu d’impact qu’a eu sur beaucoup de français musulmans le massacre de janvier 2017 et l’extrême difficulté de parvenir à un consensus durable en matière de liberté d’expression. Ainsi, les mêmes causes pourraient encore produire les mêmes effets sanglants... Comme le disait, dans son Homo Ludens, le grand historien néerlandais Johan Huizinga : « C’est le manque d’humour qui tue. »  

 

Jacques LUCCHESI

20/10/2017

Premiers de cordée

                 

 

 

 

 Contrairement à ses deux derniers prédécesseurs, Emmanuel Macron est un président qui aime user de la métaphore dans ses propos. Il l’a rapidement prouvé en déclarant qu’il voulait instaurer une présidence jupitérienne – passez-moi du peu. Lors de sa conférence de presse, dimanche 15 octobre à l’Elysée, il a encore réaffirmé sa vision verticaliste du pouvoir avec une nouvelle image verbale : les premiers de cordée. Est-ce la lecture de Roger Frison-Roche qui la lui a inspirée ? Toujours est-il qu’elle est venue en réplique à une autre image conceptuelle avancée par David Pujadas au cours de leur entretien : le ruissellement.

Tout comme la destruction créatrice chère à Joseph Schumpeter, cet axiome du libéralisme bénéficie présentement d’un effet de mode médiatique, bien qu’il soit contesté par la plupart des économistes. Il suppose que la consommation des plus riches, dans une société donnée, aurait des effets positifs sur l’activité économique générale, notamment sur les classes inférieures à qui elle apporterait plus de travail et de commandes. Evidemment, cela justifie bien quelques réductions d’impôts. Reste que cette image est en soi déplaisante, trop clivante même dans une société de marché (on se souvient encore du tollé qu’avait soulevé l’expression de Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, « la France d’en bas »). Depuis des millénaires, les pauvres n’avaient droit qu’aux miettes du festin des riches ; maintenant ils pourraient ainsi lécher la mousse du champagne qui s’écoule de leurs bouteilles. Qu’y a-t-il là de préférable ? En outre, la démonstration qu’elle véhicule est aléatoire, sinon inexacte. Au-delà d’un certain seuil de consommation, les excédents et bénéfices sont capitalisés et ne vont plus alimenter l’économie réelle.

Ce n’est évidemment pas ce que souhaite notre jeune président. Tout à son optimisme programmatique, il voudrait bien que les plus riches  - pour lesquels il ne cache pas sa sympathie – participent à l’effort de redressement du pays qu’il propose. Alors, il opte pour une métaphore de l’effort (et l’alpinisme en demande beaucoup) ; une image qui flatte encore les catégories supérieures de la société mais d’une façon active et non passive, du bas vers le haut  cette fois. Il s’agit, pour les Français, de regarder vers les sommets dans une sorte d’union sacrée où les plus forts vont ouvrir la voie aux plus faibles et améliorer ainsi leur condition. Cette vision est sans doute belle et généreuse mais, en l’état actuel des choses, elle appartient au registre des illusions. Et ce ne sont pas les cadeaux fiscaux que le président peut faire aux plus riches de nos concitoyens qui vont changer leurs comportements financiers. En matière de redistribution, il serait plus sûr de continuer à prendre l’argent là où il abonde plutôt que d’espérer des réinvestissements tardifs et capricieux. 

Pour revenir sur l’entretien télévisé, point de départ de cette petite réflexion, il est à noter qu’aucun des trois journalistes convoqués pour cet exercice délicat n’a été complaisant avec Emmanuel Macron. Qu’elles viennent de Gilles Bouleau, Anne-Claire Coudray ou de David Pujadas, les questions critiquaient souvent des déclarations du chef de l’état, rompant la monotonie de l’enthousiasme présidentiel. C’est encore la meilleure preuve que nous vivons toujours dans une démocratie.

 

Jacques LUCCHESI