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18/06/2019

                Marlène Schiappa idéologue

           

 

 

 

 Si être un homme ou une femme politique au XXIeme siècle, c’est sortir sans cesse de son pré carré pour aller pérorer de tout et n’importe quoi sur les plateaux de télévision, alors Marlène Schiappa en est certainement la meilleure incarnation. Jusqu’à présent, la très partiale secrétaire d’état à l’égalité des femmes et des hommes s’en tenait principalement à corroborer toutes les propositions féministes du moment, dans un oubli total du devoir de réserve attaché à sa fonction. Voici qu’elle a franchi un pas supplémentaire en co-signant, avec deux députés macronistes – Olivia Grégoire et Laurent Saint Martin – une tribune dans le dernier JDD, appelant les petits partis à rejoindre LREM. En voici d’ailleurs un extrait significatif :

« La République en marche n’a pas vocation à diviser en courants mais à élargir. Que vous veniez de LR, d’EELV, du PS ou du Parti animaliste, tout ce qui nous intéresse, c’est : êtes-vous prêts à faire passer votre pays avant votre parti? Êtes-vous prêts à porter et défendre des idées, peu importe leur provenance, au service des Français? »

On croit rêver en lisant ces lignes. A entendre madame Schiappa et consort, l’état de la France serait si alarmant qu’il nécessiterait une sorte d’union sacrée. Foin des querelles de clochers ! La patrie est en danger. Il s’agit à présent de travailler tous ensemble à sa préservation et son relèvement. Et quoi de mieux que la République en marche pour subsumer les différences et les idées originales? N’est-ce pas, depuis sa création, son principal credo ? Non, mesdames et messieurs, LREM n’est pas un parti comme les autres ; c’est la quintessence de la France d’aujourd’hui.

Voilà ce que nous dit, en filigrane, madame Schiappa. On notera au passage le parallèle de son OPA politique avec les appels répétés au patriotisme de Marine Le Pen et sa prétention, elle aussi, à incarner la France éternelle. Après tout, pourquoi se disperser en une multitude de partis et de mouvements ? Un seul serait bien suffisant pour gouverner ce pays. Le problème –  si problème il y a encore -, c’est que tout cela n’est ni plus ni moins que la négation de la démocratie ; laquelle a toujours supposé une alternance gauche-droite et, entre les deux, une bonne dose de dissensus.

Si l’on excepte quelques brebis égarées en recherche éperdue de mandature, je doute fort que cet appel soit entendu par l’ensemble de la classe politique française. Qui pourrait d’ailleurs se laisser duper par un aussi grossier subterfuge ? Mais grâce à des vestales aussi zélées que madame Schiappa, on commence à voir clairement la nature inquiétante du projet macroniste. Après avoir renversé les piliers séculaires de l’édifice républicain, après avoir débauché, tant à droite qu’à gauche, tous ceux qui s’inquiétaient de leur avenir électoral, il voudrait à présent aspirer à son profit la diversité des propositions politiques pour notre pays. Comme quoi le « et en même temps », ce leitmotiv archi-répété du parti présidentiel, rejoint insidieusement le « ni droite ni gauche » de tous ceux qui, par le passé, ont voulu gouverner autocratiquement, dans le refus de toute forme d’opposition.

 

Jacques LUCCHESI

22/11/2017

Bruissements (78)  

 

 

Filoche : au départ il y a un montage photographique représentant Emmanuel Macron, bras écartés, un brassard rouge orné d’un dollar autour du bras gauche. Derrière lui, dans une pénombre bleutée où l’on discerne les bannières américaine et israélienne, les figures de Patrick Drahi (pdg d’Altice), Jacob Rothschild (président de la banque du même nom) et Jacques Attali (écrivain et banquier, lui aussi) semblent ironiquement le dominer. Tous les trois sont, bien sûr, juifs. Cette image a été postée par le site Egalité et Réconciliation dont le fondateur, Alain Soral, est l’un des « maîtres à penser » de l’extrême-droite actuelle. Elle est on ne peut plus emblématique du discours antisémite qui sévit en France au moins depuis le XIXeme siècle. C’est un concentré de clichés, entre finance et pouvoir occulte, et l’on en rirait presque sans l’ombre persistante d’un certain Adolf Hitler… Dès lors, on se demande bien pourquoi un homme de gauche aussi sincère que Gérard Filoche est allé le relayer dans ses tweets, la semaine dernière. Certes, on savait, au moins depuis la mort de Christophe De Margerie en 2014, que le turbulent socialiste n’aimait pas les capitalistes. On sait aussi qu’il n’aime pas, non plus, l’orientation libérale de la présidence macroniste. Mais de là à tomber dans un tel panneau et d’avaliser une propagande aussi datée, aussi ignoble, il y a un pas qu’il n’aurait sans doute pas dû franchir. L’intéressé a d’ailleurs pris rapidement la mesure de son erreur et a retiré de son compte l’objet numérique du scandale. Malgré tout, devant la déferlante de critiques, le PS a choisi de l’exclure sèchement quatre jours plus tard, le mardi 21 novembre. Certains penseront, là encore, qu’il y a deux poids et deux mesures, que les Juifs bénéficient en France d’un traitement de faveur. Mais il y a, dans cette affaire, un arrière-plan historique trop grave pour qu’on la traite avec légèreté.

 

Plenel : rien ne va plus entre Médiapart et Charlie Hebdo après que ce dernier ait consacré sa une  du 8 novembre à Edwy Plenel caricaturé en singe de Bénarès se bouchant avec ses moustaches les yeux, la bouche et les oreilles. Elle fait suite à celle consacrée à Tariq Ramadan, Plenel étant accusé par Charlie de complicité intellectuelle avec le théologien musulman. A quoi le patron de Médiapart a répliqué en pointant la dérive identitaire de Charlie Hebdo et son islamophobie. L’inclination d’Edwy Plenel va d’ailleurs plus aux musulmans qu’à l’Islam : dans un récent essai, Pour les musulmans, il est allé jusqu’à voir en eux le nouveau prolétariat sur lequel pourrait s’appuyer une prochaine  révolution. La polémique est montée encore d’un cran lorsque Manuel Valls (mis en cause par Plenel) est rentré dans la bataille, plus remonté que jamais contre celui qui incarne à ses yeux le parangon de l’islamo-gauchisme en France (« Je vais lui faire rendre gorge »). Islamophobes contre islamo-gauchistes : voilà la nouvelle ligne de partage de la gauche française déjà bien affaiblie. Elle se situe, cette fois, sur le terrain des idées et non plus de l’économie. La fracture n’est pas prête de se refermer et nous promet encore quelques beaux débats : à quand un « combat » Riss/Plenel dans, par exemple, C politique ?

 

Croix : Mais la laïcité et les passions qu’elle suscite toujours ne concernent pas que l’Islam en France. On rappellera qu’à l’origine, c‘était le Christianisme qui était dans son viseur. C’est sur ce terrain séculaire que se situe la récente querelle autour de la statue de Jean-Paul II, à Ploërmel (Morbihan). Celle-ci, qui ne mesure pas moins de 7,5 mètres, représente l’ancien pape sous une arche surmontée d’une immense croix. Elle est l’œuvre du sculpteur georgien  Zourab Tséretelli, voici une douzaine d’années. Rapidement, elle a  soulevé l’ire de la fédération morbihannaise de la libre-pensée qui a eu beau jeu de rappeler que la loi de 1905 interdit la présence d’emblèmes religieux dans l’espace public (sauf dans les cimetières et les édifices ouvertement cultuels). Et, à force d’insister, elle a fini par obtenir gain de cause. Une décision du Conseil d’Etat, le 25 octobre dernier, a confirmé cette interdiction, d’où l’obligation de faire disparaître la fameuse croix dans les six prochains mois. Evidemment, le sculpteur s’est indigné, voyant là une atteinte à la propriété intellectuelle et artistique - car c’est son œuvre qui serait ainsi amputée. C’était sans compter avec les habitants de Ploërmel, catholiques pour la plupart et attachés à leur statue, qui ont créé une association – « Touche pas à mon pape » - dans le but de la préserver. Aux dernières nouvelles, elle aurait recueilli 100 000 euros de dons, ce qui pourrait permettre d’acheter un terrain privé et d’y déplacer la sculpture de la discorde dans son intégralité. Où l’on voit qu’en France les vieux conflits sont toujours prêts à resurgir. Et qu’on trouve toujours un moyen pour contourner les lois.    

 

Macron : lors d’une récente tournée dans des cités populaires du 93 et du Nord, Emmanuel Macron a reconnu que l’état avait manqué à ses obligations en laissant certains quartiers à l’abandon. L’état, c'est-à-dire celui qu’ont dirigé ses prédécesseurs à l’Elysée. Et de promettre de reprendre les choses en mains. Car ces « territoires perdus de la république », naguère décrits par Georges Bensoussan, ne sont pas que des fictions idéologiques. Ils sont là comme des enclaves défiant les lois républicaines, mélange de misère et de rancœur propice au radicalisme religieux. Evidemment, le mea culpa du président a fait des remous dans l’opposition. Ainsi, un grand démocrate comme Eric Ciotti s’est indigné que l’on puisse attribuer la responsabilité de cette situation à l’état français. Il préférerait sans doute que l’on continue de mener une politique de répression en aval, sans jamais s’interroger sur les causes de ce pourrissement. Et pourtant, Eric, il y a aussi des facteurs sociologiques à la délinquance et au terrorisme.  

 

LREM : on nous avait annoncé, avec l’arrivée de Macron aux affaires, une nouvelle façon de gouverner, plus ouverte, plus à l’écoute des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Avec La République En Marche, l’entrée en politique semblait être une simple formalité. Un vent d’enthousiasme soufflait sur ce nouveau parti. Six mois après sa création, force est de constater qu’il n’a fait que reproduire les mêmes mécanismes de pouvoir que ses aînés, peut-être  avec davantage de verticalité. L’impulsion est directement donnée par le chef de  l’état – qui est aussi le chef du parti - ; la parole des adhérents est confisquée par les cadres du parti ; on ne vote pas, on nomme les hommes aux postes stratégiques, comme on l’a vu avec Christophe Castaner (qui cumule maintenant la triple fonction de délégué général, de porte-parole du gouvernent et de député). Mais les premières vagues de contestation apparaissent, même au sein de cette formation jusqu’ici particulièrement docile. Une centaine de « marcheurs » ont ainsi rendu leur carte pour protester contre le manque de démocratie en interne de leur parti. Et un collectif  de rebelles s’est formé en vue de porter l’affaire devant la justice. Il est vrai qu’avec 380 000 adhérents recensés, LREM n’a pas trop de souci à se faire face à ce sursaut républicain. Moins, certainement, que ses concurrents, à droite comme à gauche.

 

Esclaves : alors que des associations d’afro-descendants réclament en France l’élimination du mot « nègre » dans le lexique éditorial, des trafiquants, en Lybie, réinventent à leur profit le vieux marché aux esclaves. Oui, au XXIeme siècle, des hommes – d’ailleurs tout aussi noirs de peau que leurs victimes – profitent de l’extrême misère des réfugiés pour les vendre à la criée. Pour quelques centaines de dollars, des fermiers locaux peuvent se payer les plus robustes exilés et exploiter sans contrepartie salariale leur force de travail. Depuis le reportage télévisé qui a alerté le monde sur cette situation aberrante, l’indignation n’a cessé de monter. Pétitions et défilés se sont multipliés pour faire cesser ce scandale – qui n’est, finalement, qu’une conséquence de la vague migratoire de l’Afrique vers l’Europe. Ils feront, on l’espère, réagir le gouvernement français et l’ONU. Pourtant, aussi anachronique que semble être  cette pratique avilissante, elle n’est pas exceptionnelle dans notre monde. D’autres marchés aux esclaves s’y perpétuent tranquillement, sous une forme ou sous une autre, bien à l’abri des regards, ceux-là. Car le cœur de l’homme change moins vite que ses lois.

 

Erik PANIZZA