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26/09/2018

        La marque Elysée

              

 

 

Vendre des souvenirs à l’effigie des dirigeants d’un pays : une pratique peu glorieuse mais néanmoins bien établie dans des pays comme les USA et l’Angleterre. Car c’est à la case boutique que se termine le parcours, tant pour les visiteurs de la Maison Blanche que ceux du Château de Windsor. On espérait pourtant que la France résisterait un peu plus longtemps à la commercialisation de ses symboles républicains.

 C’était sans compter avec Emmanuel Macron et sa soif d’innovations.

 Dans sa volonté de diriger la nation comme une start-up, il a donc pris l’initiative d’ouvrir une boutique à l’Elysée pour que les visiteurs de cette auguste demeure ne repartent pas les mains vides. Quand on sait la curiosité que suscite le palais présidentiel, chaque année, pour des milliers de touristes français et étrangers; quand on sait qu’ils sont prêts à patienter de longues heures devant l’entrée du Faubourg Saint-Honoré, on comprend qu’il ne pouvait y avoir de meilleur moment, pour inaugurer cette fameuse boutique, que ces récentes Journées du Patrimoine.

Qu’y trouve t’on exactement ? A peu près tout ce qu’on trouve dans ces commerces de l’inutile : des mugs en (fausse) porcelaine de Limoges, des stylos, des montres et des T-shirts aux couleurs nationales et même des dessins à colorier. 

Ce qui est nouveau, c’est que certaines de ces babioles aient pour motifs le président et son épouse. Car, jusqu’ici aucun de ses prédécesseurs à l’Elysée n’avait osé pousser aussi loin la satisfaction de soi.

A tel point que certains commentateurs n’ont pas hésité à ressortir la vieille expression de « culte de la personnalité ».

Bon. On nous dit que c’est pour une bonne cause, à savoir la restauration de cet hôtel trois fois centenaire et qui s’élèverait à quelques cent millions d’euros. Reste que malgré un week-end excellent sous l’angle des affaires, il faudra bien plus que les 12% prélevés sur les ventes – 350 000 euros, tout de même – pour y parvenir sur la durée du quinquennat sans faire appel à d’autres contributeurs.

On ne peut tout de même pas lancer un loto du patrimoine bis pour l’Elysée, Stéphane Bern ayant suffisamment à faire avec les chefs-d’œuvres en péril de la province.

Mais trêve de plaisanterie ! Cette initiative commerciale me semble poser un sérieux problème éthique. A-t’on le droit de brader ainsi les symboles de la République ? N’y a t’il donc pas de limite opposable au tout-économique qui gangrène notre société ? Ce jeune président, si imbu de prestige personnel, ne voit-il pas le mal qu’il fait, avec ce type de gadgets, à l’institution dont il est censé être le gardien ? Il faut d’ailleurs se demander dans quelle mesure cette initiative va à l’encontre du multipartisme et du libre-jeu démocratique, l’homme se substituant à la fonction qu’il occupe momentanément.

Au cours des deux dernières décennies, nous avons connu la transformation de nos principaux musées nationaux en marques, au motif sempiternel de renflouer leurs caisses un peu trop claires. Mais l’Elysée n’est pas le Louvre ; il n’est pas qu’un concentré de trophées artistiques mais, depuis cent quarante ans, le siège du pouvoir républicain. En cela, il appartient à la nation toute entière. On peut facilement comprendre que sa sacralité pèse à certains de ses locataires et que ceux-ci rêvent parfois de revenir à ses débuts libertins. Mais de là à le transformer en galerie marchande…La prostitution ne concerne pas que le commerce des corps.

 

Jacques LUCCHESI

20/10/2017

Premiers de cordée

                 

 

 

 

 Contrairement à ses deux derniers prédécesseurs, Emmanuel Macron est un président qui aime user de la métaphore dans ses propos. Il l’a rapidement prouvé en déclarant qu’il voulait instaurer une présidence jupitérienne – passez-moi du peu. Lors de sa conférence de presse, dimanche 15 octobre à l’Elysée, il a encore réaffirmé sa vision verticaliste du pouvoir avec une nouvelle image verbale : les premiers de cordée. Est-ce la lecture de Roger Frison-Roche qui la lui a inspirée ? Toujours est-il qu’elle est venue en réplique à une autre image conceptuelle avancée par David Pujadas au cours de leur entretien : le ruissellement.

Tout comme la destruction créatrice chère à Joseph Schumpeter, cet axiome du libéralisme bénéficie présentement d’un effet de mode médiatique, bien qu’il soit contesté par la plupart des économistes. Il suppose que la consommation des plus riches, dans une société donnée, aurait des effets positifs sur l’activité économique générale, notamment sur les classes inférieures à qui elle apporterait plus de travail et de commandes. Evidemment, cela justifie bien quelques réductions d’impôts. Reste que cette image est en soi déplaisante, trop clivante même dans une société de marché (on se souvient encore du tollé qu’avait soulevé l’expression de Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, « la France d’en bas »). Depuis des millénaires, les pauvres n’avaient droit qu’aux miettes du festin des riches ; maintenant ils pourraient ainsi lécher la mousse du champagne qui s’écoule de leurs bouteilles. Qu’y a-t-il là de préférable ? En outre, la démonstration qu’elle véhicule est aléatoire, sinon inexacte. Au-delà d’un certain seuil de consommation, les excédents et bénéfices sont capitalisés et ne vont plus alimenter l’économie réelle.

Ce n’est évidemment pas ce que souhaite notre jeune président. Tout à son optimisme programmatique, il voudrait bien que les plus riches  - pour lesquels il ne cache pas sa sympathie – participent à l’effort de redressement du pays qu’il propose. Alors, il opte pour une métaphore de l’effort (et l’alpinisme en demande beaucoup) ; une image qui flatte encore les catégories supérieures de la société mais d’une façon active et non passive, du bas vers le haut  cette fois. Il s’agit, pour les Français, de regarder vers les sommets dans une sorte d’union sacrée où les plus forts vont ouvrir la voie aux plus faibles et améliorer ainsi leur condition. Cette vision est sans doute belle et généreuse mais, en l’état actuel des choses, elle appartient au registre des illusions. Et ce ne sont pas les cadeaux fiscaux que le président peut faire aux plus riches de nos concitoyens qui vont changer leurs comportements financiers. En matière de redistribution, il serait plus sûr de continuer à prendre l’argent là où il abonde plutôt que d’espérer des réinvestissements tardifs et capricieux. 

Pour revenir sur l’entretien télévisé, point de départ de cette petite réflexion, il est à noter qu’aucun des trois journalistes convoqués pour cet exercice délicat n’a été complaisant avec Emmanuel Macron. Qu’elles viennent de Gilles Bouleau, Anne-Claire Coudray ou de David Pujadas, les questions critiquaient souvent des déclarations du chef de l’état, rompant la monotonie de l’enthousiasme présidentiel. C’est encore la meilleure preuve que nous vivons toujours dans une démocratie.

 

Jacques LUCCHESI

15/07/2016

Le calme avant la tempête

           

 

 

 Tout comme les vœux du nouvel an à la nation, l’entretien présidentiel du 14 juillet – suivi ou non du bal de l’Elysée – fait partie désormais des traditions républicaines. Cette année encore, François Hollande n’y a pas dérogé, d’autant que c’est – sauf surprise – la dernière fois qu’il intervient à cette occasion.

Face à David Pujadas et Gilles Bouleau chargés de mener l’entretien pour France 2, le président, plus que jamais moulé dans son rôle de protecteur des Français, a fait en sorte de ne jamais déraper, éludant au besoin les questions un peu trop sensibles. Emmanuel Macron qui bat le pavé pour son mouvement « En marche » ? Il fait partie du gouvernement et doit rester solidaire de son action. Sinon…Oui mais, voilà, il l’est de moins en moins et aucune sanction ne vient – ce qui laisse supposer une stratégie secrète. José-Manuel Barroso qui va louer ses services à Goldman-Sachs ? C’est juridiquement acceptable mais moralement inacceptable. La dette publique qui a encore augmenté de 5% depuis son arrivée à la tête de l’état ? Sous la présidence de Sarkozy, elle était passée de 60 à 90%. Son coiffeur attitré payé aussi grassement qu’un ministre ? J’ai baissé le salaire présidentiel de 30% et réduit le budget de l’Elysée ; qu’on ne me dise pas comment je dois employer l’argent public. Sur le chômage et les impôts (« Ils baisseront l’année prochaine si la reprise se  confirme »), c’est toujours le même satisfecit donné à sa politique, même si ses fruits tardent à venir. Le discours est bien rodé, induit à penser qu’il n’y a pas d’autre alternative pour le redressement du pays.

C’est que François Hollande est devenu un maître en communication, même si parfois il se laisse aller à quelques menues foucades. Sous sa carapace percent parfois des sentiments plus  personnels, comme lorsqu’il évoque  la fonction présidentielle. « Le temps est court quand on gouverne; 2017 sera une élection plus importante que 2012, car il faudra que la France se relève et fasse entendre sa voix dans le monde. Il faut être préparé à la mort et à la gravité si on veut être à la hauteur d’un pays fort comme la France. ». Une façon de dire qu’il est plus aguerri que la plupart de ceux qui briguent aujourd’hui le pouvoir suprême. L’horrible attentat de Nice, quelques heures plus tard, a donné une résonance particulière à ses propos dans son bureau de l’Elysée. De quoi accroître encore son expérience de la tragédie humaine.

 

 

                      Bruno DA CAPO