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28/08/2012

Bruissements (9)

 


 

 

Discrimination positive : « Elle s’appellerait Claudine Dupont, elle n’en serait peut-être pas là. ». Cette petite phrase, fin juillet, de Ségolène Royal vis-à-vis de Najat Vallaud-Belkacem a été largement commentée et critiquée. Autrement dit, ce serait moins à ses compétences qu’à ses origines que l’actuelle ministre des droits de la femme devrait son poste. L’association « Ni putes ni soumises » a notamment dénoncé « des propos méprisants, déplacés, discriminatoires ». Il est vrai qu’au PS, on parle rarement une seule voix et ce genre de dérapages n’a rien d’étonnant dans le contexte actuel. Au-delà de l’amertume personnelle, les propos de l’ancienne dirigeante socialiste sont-ils dénués de tout fondement ?  Peut-être pas. Car, tout comme son prédécesseur et même davantage, le gouvernement Hollande  a besoin de rendre visibles les minorités ethniques qui composent la France d’aujourd’hui et cela passe par la nomination à des postes clés de quelques-uns de ses représentants. Il parait que cela s’appelle de la discrimination positive. Le choix est habile bien plus qu’efficace car, en ce domaine, l’arbre des privilèges cache toujours la forêt des inégalités. A gauche comme à droite, la raison politique n’a pas fini de primer sur l’intérêt général.

 

Burqa : l’affaire a été assez vite étouffée, bien que des suites judiciaires ne soient pas écartées. Dans la nuit du 24 au 25 juillet, à Marseille, trois policiers ont voulu verbaliser, près d’un lieu de culte musulman, deux femmes en burqa (la loi française interdisant désormais de cacher son visage dans la rue). Celles-ci ont refusé d’obtempérer, disant qu’elles n’obéissaient pas aux lois de la république. Leurs compagnons, aidés par d’autres hommes, sont intervenus et l’admonestation a dégénéré en une bagarre dans laquelle les trois policiers ont été blessés. On était, certes, en plein Ramadan et repérer, vers deux heures du matin, des femmes vêtues de noir des pieds à la tête exige une certaine sagacité. Mais doit-on, pour ne pas froisser le communautarisme ambiant, pratiquer la justice de la double mesure ? Reconnaissons-le : c’est plutôt décourageant pour des policiers qui ne cherchaient qu’à faire honnêtement leur travail.

 

Mariage : alors que les cloches des églises s’apprêtaient à annoncer l’Assomption, le cardinal André Vingt-Trois, prélat des Gaules, a cru bon d’envoyer  aux diocèses français une prière exprimant notamment le vœu que les enfants puissent bénéficier de l’amour d’un père et d’une mère. Dans le collimateur du cardinal, le mariage homosexuel et l’adoption par un couple de même sexe qui  devraient être votés courant 2013. L’annonce de cette prière  (facultative pour les prêtres) a évidemment soulevé de vives réactions, tant dans la communauté homosexuelle que chez les catholiques eux-mêmes. Sous l’angle civilisationnel, la revendication homosexuelle est parfaitement justifiée. C’est différent sous l’angle dogmatique, l’Eglise ayant beau jeu de rappeler que le mariage demeure l’un des principaux sacrements séculiers. On retrouve la même division au niveau des nations d’obédience catholique, l’Espagne ayant reconnu le mariage homosexuel en 2005 alors que l’Italie ne veut toujours pas en entendre parler. Quoiqu’il en soit, il serait bien naïf de penser que seul l’Islam, de nos jours, entend réglementer les affaires de la cité.

 

Tunisiennes : « L’état assure la protection des droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille. ». Il y a des tournures rédactionnelles habiles mais qui, néanmoins, ne trompent personne. Ainsi, cet article de loi voté récemment par l’assemblée nationale tunisienne. Il a semé la colère chez les femmes tunisiennes inquiètes, à juste titre, d’un recul de leurs libertés constitutionnelles. Car la complémentarité n’est pas exactement l’égalité entre les hommes et les femmes qu’avait fait entériner, voici déjà 56 ans, Habib Bourguiba. Et nombreux sont ceux, aujourd’hui, qui voudraient revenir à une vision plus musulmane du couple. Le 13 août dernier, jour anniversaire de la promulgation du code du statut personnel tunisien, elles sont descendues massivement dans les rues pour crier leur indignation. Voilà un féminisme qui force notre admiration. Devant l’ampleur de leur protestation, le gouvernement tunisien a repoussé en avril 2013 l’adoption de cet article. Espérons que ce ne soit pas simplement reculer pour mieux sauter.

 

Salafistes : à ces problèmes politiques internes fait écho l’agression, le 16 août dernier à Bizerte, de Jamel Gharbi, conseiller régional PS de la Sarthe. D’origine tunisienne, celui-ci voulait montrer à sa femme et à sa fille le quartier où il avait grandi. Un paisible retour aux sources qui, malheureusement, a déplu à un groupe de salafistes qui passaient par là. Au motif que les deux Françaises portaient des vêtements trop légers, ils ont commencé par les insulter avant de s’en prendre physiquement à leur époux et père. Une volée de coups s’est abattue sur lui et ces pieux intégristes l’auraient sans doute lynché s’il n’avait pu trouver la force de prendre la fuite. Résultat de ce voyage sentimental : 15 jours d’ITT pour le pauvre Gharbi qui n’a sans doute pas reconnu, dans cette odieuse intolérance, la Tunisie de son enfance. Des méthodes qui rappellent étonnamment celles des fascistes italiens et des nazis allemands vis-à-vis de leurs opposants, dans les années 20-30. Le problème est bien qu’elles se passent aujourd’hui, dans un pays censément redevenu démocratique. En tous les cas, ça ne risque pas de relancer le tourisme vers cette partie de la Méditerranée - qui en aurait pourtant besoin.

 

Zahia : Benzéma et Ribéry en finiront-ils jamais de payer pour un moment d’égarement ? Les voici à nouveau renvoyés devant la justice pour « avoir recouru à une prostituée mineure » - ce qu’était la belle Zahia au moment des faits, en 2008. Le premier nie avoir eu une relation sexuelle avec elle ; quant au second, sa défense porte sur l’âge de Zahia qu’il ignorait quand il est allé au lit avec elle. Au juge de décider à présent. Pour nos deux footballeurs, l’enjeu n’est pas mince, car ils risquent au mieux une très grosse amende, au pire une peine de prison. Pas de quoi « booster » leurs performances dans les stades. Pendant ce temps, le blond objet de leurs convoitises passées s’est reconverti dans la mode et fait régulièrement la une des magazines « people ». Magnanime, la belle a déclaré qu’elle ne leur demanderait aucuns dommages et intérêts. Il est vrai qu’elle leur doit sa prospérité actuelle. Moralité: mieux vaut être, en 2012, une jolie fille en France plutôt qu’en Tunisie, par exemple.

 

 

                              Erik PANIZZA

13/08/2012

La Gauche face au réel

 

            

 

 

 De toute évidence la Gauche française a un problème avec le réel. Son discours, qu’il soit celui de ses candidats ou de ses dirigeants, est en général résolument optimiste. C’est à peine si demain, on ne rase pas gratis. Les conditions de vie des Français et leurs justes doléances, les mauvais chiffres de l’économie : tout cela peut être amélioré, nous avons nos méthodes. Las ! Cet état de grâce ne dure jamais longtemps lorsqu’elle arrive au pouvoir. Car il s’agit, dès lors, de regarder le monde en face et d’en prendre l’exacte mesure. Sous le premier septennat de François Mitterrand, il a duré à peu près deux ans – de 81 à 83 – avant que les premiers bouleversements ne le ternissent. Avec François Hollande, cela ne durera même pas le temps d’un été, tellement les faits sont têtus et résistent aux meilleures intentions, tellement les théories généreuses sont battues en brèche par les choix dictés par l’urgence.

J’en veux pour preuves deux faits dans la récente actualité : l’adoption en catimini de la règle d’or budgétaire, le 9 août dernier, et l’évacuation d’un campement de Roms près de Lille.  

La première a été l’un des chevaux de bataille de la Droite. Pour Sarkozy, il s’agissait de faire inscrire dans la Constitution un déficit public limité à 0,5%, ce qui était une concession supplémentaire accordée à l’Union Européenne. Le candidat Hollande y était, à priori, réfractaire, ce qui allait dans le sens de son aile gauche la plus extrême. Et voilà que trois mois plus tard, son gouvernement décide de la prendre en compte, non pas par une complexe révision de la Constitution mais simplement par l’ajout d’une loi organique, mesure inclue dans le Pacte Budgétaire Européen. Ce n’était donc pas à la règle d’or  mais à la révision de la Constitution sur ce sujet qu’était hostile François Hollande : il fallait simplement le comprendre. Défaite pour les uns, sagesse pour les autres. Quoiqu’il en soit, on ne manquera pas de le lui reprocher, surtout dans son propre camp.

Quant au démantèlement du campement de Roms près de Lille décidé par Manuel Valls, il pose à la Gauche un problème encore plus délicat à gérer. Car  celle-ci est associée depuis des lustres à la défense des Droits de l’Homme et ne s’est pas privé de critiquer l’inhumanité de Sarkozy et de ses sbires sur ce point. Certes, les justifications de l’actuel Ministre de l’Intérieur sont moins agressives que les propos de ses prédécesseurs vis-à-vis des « gens du voyage ». Il parle de risque sanitaire et de « défi au vivre-ensemble » mais, concrètement, il continue d’affréter des charters pour eux. Derrière tout cela, il y a les plaintes des riverains contre cette population qu’on aurait quand même tort de tenir pour angélique. Qu’ils votent à droite ou à gauche, les Français sont comme ça : ils ne sont pas xénophobes et encore moins racistes, mais ils n’aiment guère que des étrangers – surtout aussi instables que les Roms – vivent trop près de leurs propriétés. Leurs dirigeants doivent en tenir compte, ne fut-ce qu’à toute fin de stratégie électorale. A gauche, on s’indigne, à droite, on ricane mais c’est ainsi : le réel n’est pas, n’a jamais été, soluble dans les idées. Il faut sans cesse l’interroger, quitte à revoir les fondements conceptuels qui préparent à l’action.

Doit-on ainsi rejeter toute espérance, toute foi dans un monde meilleur, au bénéfice du pragmatisme le plus éhonté ? Non, mais il faut sans doute revoir ses attentes à la baisse. Et se rappeler que « gouverner c’est toujours trahir », selon le mot de Simone de Beauvoir.  

 

 

                       Bruno DA CAPO

03/08/2012

Procès russes

 

 

 

 

  Jusqu’à présent, la plupart des occidentaux laïques - dont nous sommes - croyaient que les accusations publiques de blasphème n’étaient plus que le triste apanage des pays musulmans (on a vu récemment les salafistes à l’œuvre en Tunisie). Avec le procès des trois jeunes chanteuses du groupe Pussy Riot qui s’est ouvert à Moscou le 30 juillet, notre naïveté a volé en éclats. Il faut quand même dire que Vladimir Poutine était directement visé par ce happening rapidement interrompu qui s’est déroulé dans la cathédrale moscovite du Christ Sauveur, le 21 février dernier. Avec beaucoup de hardiesse, ce petit groupe néo-punk a déclamé, devant l’autel, une singulière prière demandant à « Marie, Mère de Dieu, de chasser Poutine. ». On frémit en songeant que ce sympathique trio féminin croupit depuis en prison et risque plusieurs années de détention à l’issue d’un procès retransmis à la télévision, comme pour les plus grandes affaires criminelles. Certes l’opinion publique, en Russie et ailleurs, s’est mobilisée en leur faveur. Et elles auront droit à des avocats pour assurer leur défense, dut-elle être vite bâillonnée. En France, une telle plaisanterie – car ce n’est finalement rien de plus – leur aurait à peine valu une amende. Mais tout cela se passe en Russie et, comme on le sait, l’actuel maître du Kremlin ne brille pas particulièrement par son sens de l’humour. Toute atteinte à son image est perçu comme une menace directe contre la sûreté de l’Etat – son Etat. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est qu’une partie du clergé orthodoxe fasse corps derrière lui et réclame, à l’encontre des trois agitatrices, des poursuites pour blasphème. Autrement dit, contester Poutine reviendrait, pour eux, à insulter Dieu. On mesure là l’aberration d’une telle association  - et peut-être, aussi, son caractère profondément anti-chrétien. Elle ne nous rappelle que trop les vicissitudes de notre propre histoire et la tendance de l’Eglise, tout au long de l’Ancien Régime, à soutenir le pouvoir terrestre, fut-il tyrannique.

Cette affaire, symptomatique d’une liberté d’expression extrêmement mesurée, fait écho à un autre procès, quasi simultané : celui d’Alexeï  Navalni. Le blogueur et avocat russe, l’un des opposants les plus populaires à l’autocratie poutinienne, est inculpé de délit financier et risque jusqu’à dix ans de prison. Habile façon du pouvoir de retourner contre lui les accusations de corruption qu’il a maintes fois portées à son encontre. Pussy Riot et Navalni : deux procès qui nous ramènent aux heures sombres de ce grand pays européen qu’est la Russie. La main de fer du pouvoir a juste enfilé un gant de velours.

 

 

                                      Bruno DA CAPO