30/11/2018
Conte du cynisme ordinaire
Dans la petite commune où elle avait ouvert son cabinet de médecin généraliste, il n’y avait pas beaucoup de concurrence. Rapidement, elle s’était ainsi constituée une clientèle bourgeoise qui, été comme hiver, lui assurait de confortables revenus. Car chaque saison amène à un médecin son lot de malades chroniques.
Peu à peu, elle commença à regarder avec suspicion ses patients les plus pauvres. Ceux-là ne venaient la consulter que lorsque leur état de santé était vraiment critique. Ils lui déballaient alors une kyrielle de symptômes, ce qui, bien sûr, rallongeait le temps moyen – 10 minutes – de ses consultations. Comment lutter contre ces dérives qui se traduisaient par un réel manque à gagner à la fin de la journée?
C’est ainsi qu’un matin, on pût lire sur sa porte que le prix d’une consultation doublerait au-delà de deux symptômes exposés. Une façon de dire qu’ici, on ne traitait pas les cas désespérés, mais seulement les patients qui avaient l’élégance de n’être que modérément malades, afin de ne pas retarder le bon déroulement des consultations. Time is money.
Oublié le serment d’Hippocrate – un Grec ancien d’ailleurs complètement dépassé par les nécessités modernes.
Jusqu’à ce qu’une de ses patientes, un peu moins complaisante que les autres, ait la bonne idée d’informer l’Ordre des Médecins sur le barème de cette généreuse praticienne.
Jacques Lucchesi
16:43 Publié dans numéro 18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : médecin, consultations, symptômes, barème
16/11/2018
Pour Asia Bibi
Nous autres, Français du XXieme siècle, avons le sentiment de vivre dans une société moralement imparfaite. La laïcité, cette exception française, n’y est pas toujours scrupuleusement appliquée. Et nos dirigeants sont, les premiers, à y faire de fréquentes entorses. Tout comme pour les Droits de l’Homme dont la France est pourtant la matrice historique. Malgré tout, ce modèle universaliste résiste, décennie après décennie, aux attaques de tous ceux qui, de l’intérieur, essaient de l’abattre, dénonçant régulièrement son caractère arrogant et impérialiste. Il nous garantit au moins une liberté d’expression, certes relative, mais sans commune mesure avec ces pays – et ils sont nombreux sur cette planète - où règne une loi d’airain, qu’elle émane de politiciens autocrates ou d’un pouvoir religieux imbu de sa légitimité. Vis à vis de leurs populations, nous pouvons nous considérer comme des privilégiés ; nous ne connaissons pas – nous ne connaissons plus – notre chance de vivre dans cette partie-ci du monde.
Cette chance-là, beaucoup d’êtres humains, parfaitement semblables à nous, ont de quoi nous l’envier. Car si nous ne connaissons pas notre bonheur, eux ne connaissent que trop leur malheur. Au Pakistan par exemple – ce pays censément des purs -, une majorité musulmane opprime impitoyablement d’autres minorités religieuses, dont la communauté chrétienne. L’époque du califat et des dhimmis est, historiquement, révolue depuis longtemps ; mais dans les faits le même système de ségrégation continue, avec encore moins de droits pour les non-musulmans que par le passé. Et le blasphème – le blasphème contre le Coran – peut vous envoyer à l’échafaud.
Le cas d’Asia Bibi est, de ce point de vue, exemplaire. Cette ouvrière chrétienne a eu, voici dix ans, le malheur de boire un peu d’eau tirée d’un puits appartenant à des musulmans. Si certains croient encore que l’eau appartient à tous sur la terre, ils se trompent. Aussitôt, quelques gardiennes de la foi lui sont tombées dessus pour lui reprocher son audace. Le ton de la discussion est forcément monté ; mais ce qui, chez nous, se serait terminé par un éloignement des deux adversaires, a entraîné là-bas sa condamnation à mort pour blasphème. Pourtant, il n’était pas question d’une attaque verbale contre Dieu dans leur dispute, mais simplement d’une contestation d’un point de la loi coranique. Depuis, cette mère de famille de cinq enfants croupissait en prison, dans l’attente de son exécution. Quand – peut-être par une intervention divine ? -, la Cour Suprême du Pakistan a décidé de la laver de toutes ses accusations et, en conséquence, de prononcer sa libération immédiate. Mais dans ce beau pays, être acquittée par un tribunal réputé impartial ne signifie pas de l’être aussi par des associations d’intégristes qui ont, hélas, pignon sur rue. Ces amis de la Vérité ne se sont pas contentés de la menacer de mort, mais ont également fait peser le même verdict sur son avocat et ses juges. On pouvait juger de leur détermination haineuse en visionnant certains reportages en marge de ce procès. Et c’est ainsi qu’Asia Bibi est restée en prison, cette fois pour la protéger de justiciers auto-proclamés. Jusqu’à cette semaine où elle a été enfin libérée avec la prudence qui s’imposait. Nous espérons, bien sûr, qu’elle pourra trouver un asile durable, avec toute sa famille, dans des contrées plus tolérantes.
Osons le dire tout haut : cette histoire est monstrueuse, moralement inadmissible pour quiconque, croyant ou non-croyant, qui garde au fond de lui une étincelle d’humanité. Elle montre à quel point l’intégrisme religieux peut vider de toute intelligence et de toute pitié des hommes et des femmes qui appartiennent pourtant à la même espèce que vous et moi. Nous ne pouvons pas rester indifférents devant de tels agissements, même à des milliers de kilomètres de nous. Car l’avenir de notre civilisation est aussi lié à notre capacité de refus et de mobilisation contre ces formes d’obscurantisme. Quand bien même elles revendiquent, elles aussi, leur droit à la différence.
Jacques LUCCHESI
14:18 Publié dans numéro 18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bibi, pakistan, blasphème, intégrisme
09/11/2018
Drame de la rue d’Aubagne : Marseille sous le choc
Une nouvelle fois Marseille est sous les feux de l’actualité nationale. Après la Plaine, son chantier et ses opposants, c’est à quelques centaines de mètres plus loin, à peine, la vieille rue d’Aubagne qui a connu, lundi 5 novembre, une tragédie d’une rare ampleur. Deux immeubles vétustes se sont soudainement effondrés, à la grande surprise des riverains. C’est ainsi qu’on a découvert qu’ils abritaient de nombreux habitants. Et que certains étaient chez eux quand la catastrophe s’est produite. Depuis le quartier est en état de siège et les pompiers n’en finissent pas d’extraire des corps sans vie des décombres. A ce jour ce sont sept personnes qui ont ainsi trouvé la mort et l’on craint, hélas, que le bilan ne s’alourdisse. Parallèlement aux travaux de sauvetage, de nombreux Marseillais se sont rassemblés, mercredi 7 novembre, devant la mairie, pour protester contre la gestion immobilière de la municipalité, incriminant directement le maire Jean-Claude Gaudin. Tant il est vrai qu’à Marseille, on pratique une politique urbanistique à deux vitesses, selon que le quartier appelle les touristes ou qu’il est relégué dans les marges et la pauvreté. Une bataille juridique s’annonce, syndics et édiles se rejetant tour à tour la responsabilité. Tandis qu’ailleurs dans la ville, on commence à regarder avec un peu plus d’inquiétude les façades qui se fissurent. Il est certain que cette affaire risque de peser lourdement sur la prochaine campagne municipale. En attendant voici quelques photos pour mieux évaluer la situation effarante de ces derniers jours.
Jacques Lucchesi
16:09 Publié dans numéro 18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rue d'aubagne, immeubles effondrés, pompiers, gestion immobilière