30/07/2018
Cette affaire qui gâche la fête
L’euphorie et les retombées politiques de la victoire des Bleus, dans la récente coupe du monde de football, n’auront pas duré longtemps. Moins d’une semaine après, alors qu’à l’Elysée on songeait déjà à une réforme de la Constitution élargissant les pouvoirs du président, une affaire bien peu glorieuse a rapidement monopolisé l’actualité estivale : l’affaire Benalla. Elle vient rappeler que certaines méthodes ne sont pas tolérables en démocratie, même au nom de la sûreté de l’état. Lequel n’a le monopole de la violence légale qu’à condition de ne pas en abuser.
Qui est celui qui a donné son nom à cette troublante affaire ? Un jeune homme de 26 ans qui a su habilement se rendre utile au nouveau pouvoir et ainsi bénéficier de ses largesses : salaire de ministre, appartement et voiture de fonction, accréditations à l’Elysée et l’Assemblée Nationale. Tout cela lui est certainement monté à la tête. Il s’est cru tout permis, y compris de jouer au policier qu’il n’est pas. Rien de bien original : l’Histoire abonde en tristes sires comme lui, car l’humilité n’est pas la vertu dominante de l’humanité.
Mais nous vivons à l’ère du tout-à-l’image. Et celles qui montrent sa brutalité sur deux manifestants, lors du 1er mai dernier, ont fini par remonter jusqu’aux salles de rédaction, entraînant dans la foulée le rappel d’exactions plus lointaines. Voilà qui est plutôt embrassant pour un président qui voulait censément rompre avec les anciennes méthodes de gouvernance. Du coup voici l’opposition vent debout contre lui, de la France Insoumise au Rassemblement National, multipliant les motions de censure, dessinant aussi des affinités pour le moins paradoxales.
Pourtant, des affaires révélant l’existence de polices parallèles au sein de l’ordre républicain, l’histoire de la Cinquième république en est émaillée. Des faits souvent bien plus graves que ceux qui sont reprochés à Alexandre Benalla, comme les assassinats liés au SAC, le pseudo suicide de Robert Boulin en 1979 ou le dynamitage du Rainbow Warrior sous la présidence de François Mitterrand. Ce qui ne signifie en rien que les manières de caïd de monsieur Benalla ne doivent pas être dénoncées et sanctionnées comme il se doit. Rappelons tout de même qu’il risque 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende pour violence en réunion, usurpation de la qualité de policier et port d’arme illégal - il n’est d’ailleurs pas seul en cause.
Pour l’heure, les enquêtes, judiciaire, parlementaire et administrative, suivent leur cours, apportant chaque jour leur lot d’éléments nouveaux, tenant à distance le jugement de l’opinion. Y aura-t’il à terme des remaniements au sein de l’équipe gouvernementale ? Peut-être ? Mais ça ne fera pas vaciller le pouvoir sur ses bases. Depuis, Emmanuel Macron est sorti de son silence, tour à tour désinvolte et arrogant, endossant l’entière responsabilité des faits reprochés à son collaborateur tout en incriminant l’insistance des médias. Il est vrai qu’il ne risque pas grand-chose en prenant cette posture protectrice; au mieux, cela jettera un discrédit plus ou moins passager sur sa cote de popularité (elle est tombée à seulement 32% ces jours-ci). Soulignons pour finir que cette affaire, et les diverses procédures qu’elle entraîne, prouvent au moins que la démocratie n’est pas encore lettre morte dans ce pays, que ses contre-pouvoirs y sont toujours actifs. Car une telle fermentation eût été impensable dans la Russie de monsieur Poutine ou la Turquie de monsieur Erdogan.
Jacques LUCCHESI
15:42 Publié dans numéro 18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : benalla, macron, brutalité, contre-pouvoirs
11/07/2018
Carton rouge
Il est journaliste culturel dans un quotidien picard. Ecrivain,aussi – ce qui nous fait à priori deux points communs. Par élégance, je ne citerai pas son nom ici. Mais il se reconnaîtra sans peine s’il lit ces lignes.
Tout avait pourtant bien commencé. En 2015, il avait commis un petit article sur « Coupure d’électricité », un poème de MCDem que j’avais édité au Port d‘Attache : mais peut-être n’était-ce qu’un geste de solidarité régionaliste ? Quoiqu’il en soit je l’en avais chaleureusement remercié. Au printemps dernier, avec la parution de mon essai « Le désir d ‘être un autre », je crus bon reprendre contact avec lui. Chaque auteur sait cela : il est important, pour la promotion d’un livre, d’avoir des relais dans la presse, même si ça ne garantit en rien son succès.
Je lui en fais donc une petite présentation par mail. Et lui précise que s’il veut en donner une recension dans ses pages, je peux lui en faire parvenir un exemplaire en service de presse. Il accepte, même laconiquement, et l’ouvrage est envoyé à l’adresse de son journal à Amiens.
Deux mois se passent sans la moindre nouvelle. En juin, je l’avise par mail et lui demande simplement s’il a bien reçu mon livre. La question n’est pas superflue quand on sait combien de courriers sont égarés par la Poste. Trois semaines se passent encore avant qu’il ne se fende d’une réponse d’amnésique : « mais qui êtes vous ? »
Surpris- car je ne lui ai jamais caché mon identité -, je lui rappelle brièvement l’objet de notre correspondance. Mais tout d’abord, a-t’il bien reçu mon livre ? Il me répond qu’il en reçoit des dizaines et s’amuse même à faire de l’esprit (« Est-ce vous que j’avais croisé à un cocktail de l’Académie Française ? ») quand j’attends simplement un « oui » ou un « non ». Forcément, devant tant de désinvolture, la tension monte d’un cran et je lui demande en retour s’il lit les livres qu’on lui adresse. Sans me départir, pour préciser les choses, d’une élémentaire politesse. Et voilà ce qu’il me répond en retour :
« Je n'aime pas du tout le ton des vos messages. Mais pas du tout. Pour qui vous prenez-vous? J'ai enfin retrouvé qui vous étiez? J'ai écrit sur l'un de vos auteurs, c'est exact. Vous m'avez proposez, dites-vous, de m'envoyer votre livre. C'est votre droit. Ca ne vous donne pas le droit de l'interpeller de cette manière, espèce de petit prétentieux.
Je n'ai pas de temps à perdre avec des bouffis de l'égo de votre espèce. A un message aussi con, on répond généralement merde. Ce que je fais. De plus, sachez que le postulant à l'Académie française vous emmerde. Il va sans dire que je bloque tous vos contacts afin de ne plus jamais entendre parler de vous. Et j'espère sincèrement à ne jamais croiser votre route. En d'autre lieux, on m'a appris autre chose que les mots. A bon entendeur. »
Ce mail, j’ai tenu à le reproduire ici in extenso – fautes d’orthographes comprises -, car il me semble être un sommet d’arrogance et de vulgarité. Si, de nous deux, il y en a un qui est un « bouffi de l’égo », ce n’est sûrement pas moi. Où est le minimum de rationalité et d’intelligence qu’on peut attendre d’un soi-disant intellectuel dans ces lignes ? Quiconque ayant un peu de respect pour ses semblables se serait excusé du retard accumulé : c’est ce que moi, à sa place, j’aurais fait. Pas lui qui se répand en insultes gratuites, qui va même en filigrane à me menacer physiquement (s’il savait comme ça me fait rire). Belle manière de se discréditer. Ainsi il ne fait pas seulement la preuve de sa bassesse d’âme mais aussi de son manque total de curiosité pour le travail d’autrui. Un comble quand on est censé écrire sur les livres ! En d’autres temps, Léopardi disait que la plupart des gens sont inférieurs aux fonctions qu’ils occupent. Ce constat, fait vers 1830, est plus que jamais pertinent pour notre époque. Et, comme on le voit, aucune profession n’est épargnée.
Jacques LUCCHESI
14:35 Publié dans numéro 18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journaliste, correspondance, arrogance, vulgarité
05/07/2018
Cet obscur désir de sacré…
Depuis décembre dernier et les obsèques pharaoniques de Johnny Halliday, on pouvait penser que l’église de la Madeleine retrouverait durablement le calme qui convient à la prière et aux messes – fussent-elles organisées pour le défunt chanteur. Mais ses fans, avec l’accord du père Bruno Horaist, prêtre de cette paroisse parisienne, en ont décidé autrement.
C’est ainsi que le 15 juin dernier, jour anniversaire du célèbre rocker, ils ont littéralement envahi l’église pour le fêter à leur manière. Ils n’étaient rien moins que mille deux cents à se masser dans la nef – et c’est sans parler de tous ceux qui, n’ayant pu entrer, suivaient l’évènement à l’extérieur. Mille deux cents hommes et femmes, venus de toute la France, à avoir versé une obole de cinq euros pour être là et participer à cette hallucinante cérémonie de trois heures trente, entre karaoké et effusions sentimentales. Nul doute que pour eux, Johnny était devenu, ce jour-là, un nouveau Jésus. Son tour de force aura été de supplanter le Christ dans sa propre maison.
Cet hommage délirant, six mois après la disparition du chanteur, n’est pas sans soulever quelques questions, que l’on soit laïque ou chrétien. Certes, les stars du rock ont, de leur vivant ou après leur mort, suscité des formes outrancières d’affectivité autour d’elles et de leurs « reliques: il suffit d’aller voir la tombe de Jim Morrison au Père Lachaise pour s’en faire une idée. Mais avec Johnny, on est en train, ni plus ni moins, d’assister à la naissance d’un nouveau culte, ce qui redonne tous son sens à la vieille notion d’idolâtrie. Celui qui fut, en son temps, « l’idole des jeunes » est en passe de devenir une nouvelle divinité pour une (petite) partie de la population française. Cela doit-il nous inquiéter ? Après tout, nous vivons dans une république qui assure la liberté des cultes, de tous les cultes ; dans ce cas, pourquoi un homme nommé Johnny ne pourrait-il pas avoir le sien ? Oui, mais la décence commune voudrait que ce soit au moins dans un autre lieu qu’une église chrétienne, espace déjà consacré à une religion qui a largement façonné notre histoire.
Je suggère à ses fans de louer pour une journée Bercy ou une autre salle de spectacle s’ils veulent, l’an prochain, continuer à fêter ses anniversaires à titre posthume. Car on a tout lieu de croire que ces poussées de « Johnnymania » vont se répéter pendant quelques années. Quant au prêtre qui a autorisé une telle manifestation, qui a même fixé un prix d’entrée pour y participer, on peut légitimement se demander s’il est encore digne de sa mission évangélique. En tous les cas, il ferait bien de relire la parabole des marchands du temple à l’aune de cette récente cérémonie et des nombreux produits dérivés qui l’accompagnaient. Le plus étonnant est qu’aucune voix, dans la hiérarchie ecclésiale ou les associations catholiques - pourtant si promptes à s’enflammer quand des artistes, par le passé, se montraient un peu trop hardis avec le dogme -, ne se soit élevée contre cette religiosité dévoyée.
Au-delà de la controverse, l’affaire Johnny révèle cet obscur désir de sacré qui habite toujours les hommes et les femmes modernes. Loin de le rejeter sans examen dans les oubliettes de l’irrationnel, il faut plutôt l’envisager comme l’une des dimensions fondamentales de l’esprit humain. Même s’il est, en occident, de plus en plus enclin à délaisser les vieux moules de la croyance pour aller librement se fixer sur d’autres êtres naturels, d’autres modèles médiatiques fortement pourvoyeurs d’émotions.
Jacques LUCCHESI
14:34 Publié dans numéro 18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : johnny, église, anniversaire, sacré