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16/11/2018

      Pour Asia Bibi

 

                             

 

 

 Nous autres, Français du XXieme siècle, avons le sentiment de vivre dans une société moralement imparfaite. La laïcité, cette exception française, n’y est pas toujours scrupuleusement appliquée. Et nos dirigeants sont, les premiers, à y faire de fréquentes entorses. Tout comme pour les Droits de l’Homme dont la France est pourtant la matrice historique. Malgré tout, ce modèle universaliste résiste, décennie après décennie, aux attaques de tous ceux qui, de l’intérieur, essaient de l’abattre, dénonçant régulièrement son caractère arrogant et impérialiste. Il nous garantit au moins une liberté d’expression, certes relative, mais sans commune mesure avec ces pays – et ils sont nombreux sur cette planète -  où règne une loi d’airain, qu’elle émane de politiciens autocrates ou d’un pouvoir religieux imbu de sa légitimité. Vis à vis de leurs populations, nous pouvons nous considérer comme des privilégiés ; nous ne connaissons pas – nous ne connaissons plus – notre chance de vivre dans cette partie-ci du monde.

Cette chance-là, beaucoup d’êtres humains, parfaitement semblables à nous, ont de quoi nous l’envier. Car si nous ne connaissons pas notre bonheur, eux ne connaissent que trop leur malheur. Au Pakistan par exemple – ce pays censément des purs -, une majorité musulmane opprime impitoyablement d’autres minorités religieuses, dont la communauté chrétienne. L’époque du califat et des dhimmis  est, historiquement, révolue depuis longtemps ; mais dans les faits le même système de ségrégation continue, avec encore moins de droits pour les non-musulmans que par le passé. Et le blasphème – le blasphème contre le Coran – peut vous envoyer à l’échafaud.

Le cas d’Asia Bibi est, de ce point de vue, exemplaire. Cette ouvrière chrétienne a eu, voici dix ans, le malheur de boire un peu d’eau tirée d’un puits appartenant à des musulmans. Si certains croient encore que l’eau appartient à tous sur la terre, ils se trompent. Aussitôt, quelques gardiennes de la foi lui sont tombées dessus pour lui reprocher son audace. Le ton de la discussion est forcément monté ; mais ce qui, chez nous, se serait terminé par un éloignement des deux adversaires, a entraîné là-bas sa condamnation à mort pour blasphème. Pourtant, il n’était pas question d’une attaque verbale contre Dieu dans leur dispute, mais simplement d’une contestation d’un point de la loi coranique. Depuis, cette mère de famille de cinq enfants croupissait en prison, dans l’attente de son exécution. Quand – peut-être par une intervention divine ? -, la Cour Suprême du Pakistan a décidé de la laver de toutes ses accusations et, en conséquence, de prononcer sa libération immédiate. Mais dans ce beau pays, être acquittée par un tribunal réputé impartial ne signifie pas de l’être aussi par des associations d’intégristes qui ont, hélas, pignon sur rue. Ces amis de la Vérité ne se sont pas contentés de la menacer de mort, mais ont également fait peser le même verdict sur son avocat et ses juges. On pouvait juger de leur détermination  haineuse en visionnant certains reportages en marge de ce procès. Et c’est ainsi qu’Asia Bibi est restée en prison, cette fois pour la protéger de justiciers auto-proclamés. Jusqu’à cette semaine où elle a été enfin libérée  avec la prudence qui s’imposait. Nous espérons, bien sûr, qu’elle pourra trouver un asile durable, avec toute sa famille, dans des contrées plus tolérantes.

Osons le dire tout haut : cette histoire est monstrueuse, moralement inadmissible pour quiconque, croyant ou non-croyant, qui garde au fond de lui une étincelle d’humanité. Elle montre à quel point l’intégrisme religieux peut vider de toute intelligence et de toute pitié des hommes et des femmes qui appartiennent pourtant à la même espèce que vous et moi. Nous ne pouvons pas rester indifférents devant de tels agissements, même à des milliers de kilomètres de nous. Car l’avenir de notre civilisation est aussi lié à notre capacité de refus et de mobilisation contre ces formes d’obscurantisme. Quand bien même elles  revendiquent, elles aussi, leur droit à la différence.

 

Jacques LUCCHESI