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21/04/2017

De l'arithmétique électorale

 Qu’il était simple le temps où la vie politique française et ses échéances électorales se ramenaient à un affrontement droite-gauche ! Certes, de septennat en quinquennat, l’alternance espérée n’était pas toujours au rendez-vous. Mais, au moins, cette polarisation était claire pour les électeurs, même au risque de tomber dans la monotonie. Ce système bipartite, qui a prévalu depuis la création de la Cinquième République, n’est manifestement plus à l’ordre du jour. Ce n’est plus deux mais quatre propositions bien distinctes qui se précisent à l’orée du premier tour de ces présidentielles : l’extrême droite, la droite libérale, la gauche libérale et la gauche populiste. Quatre visions de la société française et de son devenir qui sont maintenant au coude à coude dans les sondages. Et si la prudence exige de  ne  pas prendre pour argent comptant les pourcentages affichés, force est quand même de constater que rien n’est vraiment joué. Ainsi, la perspective d’un duel Macron-Le Pen au second tour – le favori des pronostiqueurs de la vie publique –  est plus que jamais une hypothèse. Tout autant,  d’ailleurs,  que celui opposant Fillon à Le Pen. Et si au soir du 23 avril, c’était la combinaison Fillon-Mélenchon qui sortait ? Ou Mélenchon-Le Pen, ou Fillon-Macron ? Aucune de ces possibilités n’est à exclure désormais.

A vrai dire, le problème n’est pas là. Le vrai problème, au-delà des surprises du premier tour, c’est de savoir comment s’effectuera l’incontournable report des voix au second. C’est de savoir si le consensus républicain tant de fois agité sera observé par les électeurs qui verront chuter leur champion le 23 avril prochain. Car ce qui était à peu près acquis dans un schéma triangulaire (gauche-droite-extrême-droite) est devenu plus incertain dans le cadre quadripartite qui est celui de ces élections. Imagine-t’on les partisans de François Fillon donner mécaniquement leurs voix à Emmanuel Macron s’il affrontait Marine Le Pen le 7 mai ? Bien sûr que non ! Et encore moins si c’était Jean-Luc Mélenchon qui lui était opposé. Ou, à l’inverse, que les supporteurs du leader de la France Insoumise voteraient comme un seul homme pour l’ultra-libéral député sarthois s’il se colletait, au second tour, à la présidente du Front National ?

Que signifie tout cela au bout du compte ? Que le vainqueur de cette présidentielle risque fort d’avoir une légitimité électorale encore plus réduite que celle de ses récents prédécesseurs à l’Elysée. Il sera moins que jamais le président de tous les Français. Et, dans ces conditions, il lui sera difficile d’obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale pour gouverner sereinement, c'est-à-dire sans recourir à l’arbitraire républicain des ordonnances et du 49-3. N’en déplaise à Jacques Chirac, cette élection présidentielle ne sera pas celle d’une personnalité mais bien celle d’une arithmétique électorale.         

 

Jacques Lucchesi

14:34 Publié dans numéro 17 | Lien permanent | Commentaires (0)

14/04/2017

Le lion Mélenchon

                                        

 

 Il est peut-être celui qui aura fait le plus beau parcours de cette campagne présidentielle si surprenante, si âpre, si incertaine. Celui qui aura su exploiter à son compte les acquis de la modernité technologique, avec ses nombreuses vidéos sur You Tube et sa capacité à l’ubiquité grâce au procédé holographique. Car ce n’est pas un mince avantage que de pouvoir parler simultanément à plusieurs auditoires différents. Autant d’atouts qui ont fait, peu à peu, décoller sa cote de popularité dans les sondages : il voisine à présent les 20% d’intentions de vote, à égalité avec François Fillon et juste derrière Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon va-t-il créer la surprise de ce premier tour? Bien malin celui qui pourrait l’affirmer avec certitude. Mais on comprend qu’il puisse inquiéter ses adversaires immédiats, au point qu’ils tirent tous sur lui à boulets rouges, bien sûr.

A Marseille, le dimanche 9 avril, il était bien là, en chair et en os, porté par l’enthousiasme d’un public chauffé à blanc, tant par le soleil printanier que par l’attente prolongée de son apparition sur le podium. Oui, les leaders politiques sont devenus les égaux des rock-stars en cette époque gangrénée par l’angoisse et la violence. Rarement, on aura vu le Vieux Port et les rues avoisinantes aussi saturés de gens (et de policiers, aussi). Combien étaient-ils ? On a avancé le chiffre de 70 000 personnes. Moi, en tous les cas, je n’avais plus rencontré  une telle concentration humaine depuis la Marcéleste en 1999, pour le 26eme centenaire de la fondation de Marseille. Un grand tribun, assurément, que celui qui s’est campé dans le rôle de porte-parole du peuple de gauche. Lyrique à souhait lorsqu’il parle de Marseille et de la Méditerranée, citant Homère et Paul Valéry. Sa voix est grave, profonde, chaude, bien posée. On sent que ce sexagénaire fringant et cultivé a décidé de mettre toute son énergie dans cette bataille présidentielle – qui sera peut-être la dernière pour lui. Qui dira, après l’avoir vu et entendu, que la politique est une sinécure ?

Le show est bien rodé et ses thèmes bien connus : la volonté d’une France plurielle, l’acceptation de l’immigration comme une chance nouvelle, la valorisation  de l’intelligence et de la créativité individuelles, la mise au pas de la finance et de ses serviteurs. Et ses diatribes contre le parasitisme de la classe politique recueillent toujours beaucoup de vivats. Pour autant  Mélenchon, en vrai faux modeste, refuse les applaudissements qui s’adressent à sa personne : car, dit-il, « ce n’est pas moi mais vous qui avez entre vos mains les moyens de votre émancipation.».

Il y a aussi la paix, son nouveau cheval de bataille, qu’il entend imposer dans les négociations internationales. L’intention est en soi louable ; reste à savoir par quels moyens on y parvient quand, de tous côtés, on affûte les poignards. La France a-t-elle les moyens d’assurer seule sa défense hors de l’OTAN, et – pour quoi pas ? - hors de l’Europe ? Et quid de la sécurité intérieure dans un contexte social où plane toujours la menace terroriste ?  On aimerait que Jean-Luc Mélenchon s’exprime plus souvent et plus clairement sur ces questions-là d’ici la fin de la campagne. Car elles entrent aussi dans les attentes des Français.   

 

Jacques LUCCHESI

07/04/2017

  Sur un débat télévisé

                              

 

 

 Au fil des mois C polémique, le dimanche soir sur la 5, est devenu un rendez-vous incontournable pour qui s’intéresse au débat d’idées actuel. Pour son émission du 2 avril dernier, Bruce Toussaint avait réuni sur son plateau une belle brochette d’invités pour débattre d’un thème particulièrement urgent : la moralisation de la vie politique. Parmi eux, on trouvait Philippe Val, ex-directeur de Charlie Hebdo, l’avocat Jean-Yves Le Borgne (soutien de François Fillon) et l’historien Michel Winock.

Professeur émérite à Sciences-Po, ce dernier est l’auteur d’une œuvre importante qui aborde les lignes de fracture de la vie politique française depuis plus d’un siècle. Citons, entre autres, « Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France », « L’affaire Dreyfus, vérités et mensonges » ou « Le siècle des intellectuels ». D’une telle personnalité, on peut logiquement attendre une qualité d’analyse et une profondeur de vue que n’ont pas tous les participants. Et cependant… La discussion tourne autour des dissensions du PS et du parjure de Manuel Valls quand l’historien fait une « sortie » contre Benoît Hamon. Selon lui Hamon, qui s’estime trahi par son adversaire des primaires citoyennes, n’aurait fait que trahir lui-même son parti lorsqu’il était au gouvernement. Autrement dit, protester et trahir seraient à mettre sur un même plan ? Ce seraient deux actions équivalentes ? Il y a là manifestement une erreur de jugement. Une chose est de s’insurger contre son camp à visage découvert, au motif que celui-ci ne tient pas ses engagements ; une  autre chose est de ne pas respecter sa parole et l’accord officiellement passé. Dans le premier cas, c’est une attitude noble, qui grandit moralement celui qui la porte, quitte à en payer le prix. Dans le second cas, elle rabaisse celui qui se dérobe, quelque soit le motif qu’il invoque.

Non, il n’y a pas d’équivalence entre la conduite de Benoît Hamon et celle de Manuel Valls dans cette campagne - qui en aura vu d’autres en matière de reniement. On mettra avec indulgence cette fausse comparaison sur le compte de la fatigue et de l’âge (Michel Winock a tout de même quatre-vingts ans). Mais cela méritait quand même une petite mise au point.

 

Jacques LUCCHESI