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29/01/2016

Adversaires mais pas trop

 

Qui porte la parole politique en démocratie ? Et doit-on la laisser aux seuls représentants des partis politiques ? Ces questions, assurément, transparaissaient dans le dernier numéro « Des paroles et des actes », jeudi 21 janvier sur France 2. En invitant Daniel Cohn-Bendit et Alain Finkielkraut pour débattre de l’état de la France, David Pujadas avait joué la carte des idées plutôt que celle des sempiternelles litanies économiques et il n’y avait pas lieu de le regretter. Mais entre ces deux personnalités emblématiques de la vie intellectuelle française, la suite des choses allait démontrer qu’il y avait plus de connivence que de réelle opposition.
On ne présente plus Daniel Cohn-Bendit, sinon dans ses grandes lignes. Figure historique de Mai 68, leader d’EELV, député européen (désormais à la retraite), journaliste, essayiste, l’homme a gardé à 70 ans une rare liberté de parole qu’il ne manque jamais une occasion d’exercer, y compris contre son camp. Le gauchiste qu’il fut s’est sans doute converti à la social-démocratie - on le lui a beaucoup reproché - mais sans se départir de son esprit libertaire. Européaniste convaincu et apôtre du changement, il ne pouvait qu’être sensible aux polémiques sur la déchéance de nationalité, puisque lui-même fut un temps apatride et possède à présent la double nationalité, allemande et française. Aussi une partie de son argumentaire porta sur les inégalités sociales qui caractérisent encore la France de 2015. Pour lui, les musulmans sont les premières victimes de cet état de faits.
Face à lui Alain Finkielkraut, 66 ans, incarne une certaine idée de l’intellectuel français s’impliquant, hors de tout appareil politique, dans le débat public. Philosophe, homme de radio, ex-professeur à Polytechnique, et depuis peu académicien, ce fils d’immigrés juifs polonais ne manque jamais, pour justifier son succès, de rappeler les vertus de l’assimilation sur le communautarisme ambiant. Pour lui le récit national ne doit pas faire de concession aux revendications ethniques qui tendent à le fragmenter ; et c’est aux musulmans qui vivent en Europe d’adapter leur religion aux normes européennes, pas le contraire. Ses prises de position contre une Gauche trop éloignée du réel l’ont fait cataloguer comme un tenant de la Droite extrême ; à tort sans doute car ses propos relèvent avant tout du simple bon sens. Cependant, il y a en lui une rigueur – voir des crispations – qui en font une personnalité clivante pour beaucoup. Et ce ne sont pas les paroles cinglantes que lui a adressées, au cours de ce débat, une jeune enseignante musulmane, qui démentiront ce constat.
Au-delà de ces brefs éléments de signalétique et des réparties attendues entre les deux invités, il ressortait surtout de cet échange vif mais amical une opposition sensible de tempéraments. Il y a chez Cohn-Bendit un irréductible optimisme et cela ne tient pas seulement à sa vision progressiste du monde. A l’inverse, chez Finkielkraut, on sent bien une conscience déchirée entre un présent insatisfaisant et un futur lourd de menaces. D’où sa valorisation du passé, non point dans sa globalité mais dans ses meilleurs aspects.

A défaut d’une synthèse impossible entre eux, on retiendra de ce débat que l’intelligence critique – qui n’est d’aucun bord particulier – peut aussi trouver sa place, à une heure de grande écoute, à la télévision française.

Jacques LUCCHESI