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06/04/2018

Mai 68 par celles et ceux qui l'ont vécu

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A n’en pas douter les évènements de mai 68 ont laissé une trace durable dans la mémoire française. Ils ont déterminé des changements sociaux qui allaient se poursuivre ou éclore au cours de la décennie suivante. Avec eux, c’est le rapport des Français au travail, à l’autorité et à la liberté qui s’en est trouvé bouleversé. A l’heure où le spectre de la pensée unique se profile sur notre démocratie ; à l’heure où une partie de la classe politique voudrait envoyer aux oubliettes de l’Histoire cette poussée de fièvre utopiste, il faut lire cet ouvrage original et richement illustré qui vient à point célébrer ce cinquantenaire. Cette fois la parole a été donnée, non pas aux historiens et aux sociologues, mais à tous ceux qui, de près ou de loin, ont traversé en témoins anonymes cet éruptif mois de mai, qu’ils soient ouvriers, fonctionnaires, étudiants ou simplement enfants (comme l’auteur de ces lignes à cette époque). Une lecture vivifiante qui rallumera en vous la flamme de la révolte et de l’espérance.

J L

Mai 68 par celles et ceux qui l'ont vécu 
est publié aux Éditions de l'Atelier 
(480 pages, illustré ; 29.90 euros).

30/03/2018

      Sur une autre garde à vue

                    

 

 Au départ, il y a le geste admirable d’un homme de 45 ans, Arnaud Beltrame, officier de gendarmerie de son état, qui s’offre en otage  à la place d’une caissière effarée par la soudaineté de cette nouvelle attaque terroriste. En face de lui, dans ce supermarché, il y a un homme jeune, déterminé, violent, aux marges de la raison. Un de ces êtres immatures qui semblent n’être venus au monde que pour causer la souffrance et la mort des autres, gens de peu n’aspirant qu’à une vie simple et tranquille. Un candidat déclaré au martyre et un fonctionnaire généreux, qui va pousser le sens du devoir jusqu’au sacrifice, deux heures plus tard, de sa propre vie - pas de définition plus juste de l’héroïsme. Son assassin sera abattu, guère après : gageons que s’il y a un paradis au-delà de cette vie, ce n’est pas lui qui y entrera le premier. Ici bas, dans cette paisible commune du Sud-ouest  puis dans tout le pays, c’est la consternation. Encore des morts et des blessés qui s’ajoutent à la liste déjà longue des victimes du terrorisme depuis six ans maintenant. Des vies fauchées pour rien dans cette guerre asymétrique contre l’ordre du monde ; une lutte du passé contre le présent – de la transcendance contre l’immanence, dirait Georges Bataille –, une lutte  perdue d’avance pour ceux qui nous l’ont déclarée.

 Le lendemain, alors que la France entière est sous le coup de l’émotion, c’est un tweet – odieux – d’un homme – un Français bon teint – qui fait polémique sur le Net, ajoutant de l’indignation à la colère. Comment, en effet, peut-on se réjouir de la mort d’un homme au motif qu’il était gendarme et que certains de ses collègues ont commis l’irréparable, voici quelques années à Sivens, contre Rémi Fraisse, un jeune militant écologiste de 21 ans ? L’amalgame est grossier, stupide, ignoble. Il appelle sans nul doute une réfutation énergique sur ces mêmes réseaux sociaux qui l’ont véhiculé. Mais une arrestation et une garde à vue ? C’est pourtant ce qui va arriver, quelques heures plus tard, à l’auteur de cette parole provocatrice – par ailleurs militant d’une formation politique de gauche. Du coup, la perplexité et l’indignation changent de camp. 

Le motif invoqué par les autorités est « apologie du terrorisme ». Ce tweet, nous l’avons lu et, sincèrement, nous n’y avons trouvé que de la haine pour les gendarmes, pas de la sympathie pour le terroriste ou la justification idéologique de son crime. Ce serait pourtant ce genre de propos qui pourrait tomber sous ce chef d’accusation. Là, on a simplement affaire à un rebelle, quelqu’un qui ne s’aligne pas sur l’opinion partagée par l’immense majorité des Français, mélange d’admiration et de compassion pour le gendarme assassiné; quelqu’un dont la parole fait dissensus mais qui n’est pas impliqué, de près ou de loin, dans cet horrible attentat. Depuis quand est-ce condamnable en démocratie? Et quid de la liberté d’expression si chère aux fondateurs de notre république ? Tout se passe comme si un processus de sacralisation de l’état s’opérait à travers la personne d’un de ses représentants. Dans une troublante mise en abîme avec ceux qui, sur notre territoire, réclament la condamnation de tel ou tel dessinateur pour blasphème envers leur prophète, au mépris du principe de laïcité, pourtant l’un des piliers de notre république.

Cette affaire et ses conséquences méritent d’être sérieusement méditées. Elle confirme l’inquiétante régression des libertés publiques à laquelle nous assistons depuis quelques années, sous couvert de l’état d’urgence et autres mesures de coercition. Elle confirme le contrôle et l’emprise, de plus en plus grands, de l’état sur les propos des simples citoyens au motif de la sécurité générale. N’est-ce pas les méthodes de ces états autoritaires – de plus en plus nombreux autour de nous – que nos dirigeants reprennent progressivement  à leur compte ?

 

Jacques LUCCHESI

16/03/2018

Bruissements (80)

 

 

Italie : dimanche 4 mars, les Italiens votaient pour renouveler leur assemblée législative. Au terme d’une journée électorale très suivie, c’est sans surprise que la coalition formée par la Ligue du nord (extrême-droite) et Forza Italia (toujours emmenée par l’increvable Silvio Berlusconi)  est arrivée en tête des suffrages exprimés (37%), devant le mouvement populiste Cinque Stelle et son leader Luigi Di Maio (32%). Quant au parti démocrate (pro-européen), il n’a totalisé que 20% des voix, forçant à la démission son président Mattéo Renzi. Un tableau qui confirme l’inquiétante poussée des extrémistes nationalistes en Europe. Qui va à présent gouverner en Italie ? Si une alliance entre Cinque Stelle et les démocrates est envisageable, c’est plus difficile pour l’extrême-droite et son chef Mattéo Salvini qui se retrouve isolé malgré un score très confortable. Et la gauche, pure et dure, dans tout cela ? Elle a disparu des radars puisque le PC, longtemps prépondérant en Italie, a mis la clé sous la porte en1991. Une donne politique qui n’est pas sans évoquer le délitement que connait actuellement la gauche française. Et qui pourrait encore s’accentuer.

 

PS : ils étaient quatre à débattre, mercredi soir sur BFMTV. Quatre cavaliers de l’apocalypse qui briguent le poste vacant de premier secrétaire du Parti Socialiste : Stéphane Le Foll, Luc Cavournas, Olivier Faure et Emmanuel Maurel – lequel présente une ressemblance physique assez étonnante avec François Hollande. S’il y a, entre eux, quelques divergences – vis-à-vis de Macron, en particulier -, leurs points de convergence sont  nombreux. En gros, il s’agit de lutter contre la dérive libérale de l’actuel gouvernement, de remettre l’humain au cœur du débat, de recréer une alliance avec toutes les forces de gauche et de tirer sans honte le bilan du quinquennat Hollande. Le problème pour ce parti, naguère le premier de France, c’est qu’il est à présent exsangue. Il a perdu les trois-quarts de ses adhérents et n’a plus qu’une trentaine de députés à l’Assemblée Nationale. Pour le prochain vainqueur de cette élection interne, la tâche s’annonce extrêmement ardue. Tout comme le Front National, il lui faudra sans doute changer le nom du parti. Tout en maintenant une continuité avec ses missions historiques et ses idéaux passés. Bonne chance à l’heureux élu !

 

Théâtre : que la politique soit une sorte de théâtre, sans doute. Mais que des hommes et des femmes en charge des intérêts de la nation se livrent publiquement à ce genre de divertissement, voilà qui relève, à mon humble avis, d’une désinvolture coupable vis-à-vis du peuple français. Après Emmanuel Macron reprenant, le 1er mars à l’Elysée, le rôle du narrateur dans Pierre et le loup, c’est Marlène Schiappa qui se faisait plaisir en interprétant, une semaine plus tard, Les Monologues du vagin, d’Eve Ensler. La vibrionnante secrétaire d’état n’était pas seule, sur la scène de Bobino, puisque deux ex-ministres l’accompagnaient dans ce ridicule exercice : Myriam El Khomri et Roselyne Bachelot. Leur visée politique n’en était pas moins évidente, puisque nous étions à la veille de la Journée de la Femme et que ce texte, joué un peu partout dans le monde, est l’un des fleurons de la littérature féministe moderne. On dit que la recette a été reversée à une association. Mais laquelle ? Sûrement pas la Fondation pour la recherche médicale.

 

Hôtesses : entre les féministes et la féminité, le divorce est consommé depuis longtemps. Les premières reprochent à cette expression essentialisée de la femme  et ses multiples déclinaisons commerciales d’être trop conditionnées par le désir masculin. Et que leur importe d’aller contre les goûts d’une majorité de femmes dans ce pays pour faire triompher leur cause ! La dernière querelle en date vise les hôtesses d’accueil qui accompagnent les manifestations sportives. Leurs tenues seraient un peu trop courtes, un peu trop suggestives, dégradant ainsi l’image de la femme. Un tel puritanisme fait frémir. Voudraient-elles, pour accueillir les coureurs cyclistes sur le podium, des femmes en burqa ? Les hôtesses leur rappellent volontiers qu’elles font ce métier de leur plein gré et qu’elles ont besoin de l’argent qu’il leur rapporte. Du reste, pourquoi une femme jeune et jolie devrait avoir honte d’être désirable aux yeux des hommes? Il serait temps de s’attaquer aussi à cette autre forme d’intégrisme et à ses revendications intolérantes. Au nom, justement, des femmes et de leur diversité.

 

Cantat : Il y a bientôt quinze ans de ça, Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir désir, commettait l’irréparable en frappant mortellement sa compagne d’alors, l’actrice Marie Trintignant, au cours d’une énième dispute. Depuis, la justice est passée. Cantat a purgé plusieurs années de prison et a été libéré – un peu trop tôt pour certaines - avec, pour condition, de ne pas s’exprimer sur cette sordide affaire. Mais aucune interdiction ne lui est faite de reprendre son métier ; cela participe même à sa réinsertion, comme il est prévu pour toute personne ayant été condamnée. Seulement il n’est pas plombier ou cuisinier mais chanteur. Et ce métier appelle forcément, pour être viable, une certaine médiatisation. Du coup, les associations féministes mobilisent l’opinion contre lui et perturbent la moindre de ses apparitions publiques (comme à Grenoble, cette semaine). Au point que le chanteur, qui a sorti un nouveau disque, a dû annuler ses participations à de nombreux festivals. Qui a raison, qui a tort ? Ici deux logiques s’affrontent : celle de la vengeance qui voudrait forcer au silence définitif Bertrand Cantat et celle de la justice qui autorise sa réhabilitation. L’affaire, qui a pris une ampleur inouïe, est en passe de devenir un cas d’école. Une question, pour finir : serait-on aussi vindicatif contre lui s’il avait tué, non pas une femme mais un homme ?

 

Erik PANIZZA   

17:13 Publié dans numéro 18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : italie, ps, hôtesses, cantat