Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/01/2018

  Cent fleurs pour cent femmes libres

                

 

 

  On avait fini par ne plus y croire depuis l’affaire Weinstein et la pétition en ligne « balance ton porc », tellement les féministes françaises monopolisent le débat public sur le harcèlement sexuel. En octobre dernier Christine Angot, sur le plateau de « On n’est pas couché », avait bien tenté de faire entendre sa voix discordante face à Sandrine Rousseau, réfutant énergiquement que les femmes soient toujours les victimes des hommes. Mais les larmes de l’élue écologiste – une vieille tactique – avaient alerté la directrice de France 2 et fait regarder la romancière-chroniqueuse comme une sorte de bourreau insensible à la souffrance féminine. Autant dire qu’elle est sur un siège éjectable. Quant aux hommes, évidemment, ils n’ont pas voix au chapitre sinon pour soutenir sans nuance les allégations et oukases anti-machistes, à commencer par celles qui émanent de la – bien mal nommée – secrétaire d’état à l’égalité des femmes et des hommes, Marlène Schiappa.

 C’est dans ce contexte-là que Le Monde, mardi 9 janvier, a publié une tribune aussi étonnante que détonante, signée par cent femmes bénéficiant d’une notoriété publique – comme Catherine Deneuve, Ingrid Caven  Catherine Millet ou Elisabeth Lévy. Aux antipodes du puritanisme ambiant, elles y réclament le droit à être importunées dans la rue et l’indulgence pour les dragueurs maladroits, ne voulant pas que cet aspect du vivre-ensemble puisse être criminalisé à l’instar d’une véritable agression sexuelle. Sans remettre en question le caractère nécessaire de cette prise de parole, elles en dénoncent les excès qui l’accompagnent, qu’ils prennent la forme de dénonciations arbitraires, de démissions forcées ou d’accusations publiques, sans que les intéressés n’aient pu constituer leur défense juridique. Car il s’agit de protéger autant les libertés des hommes que celles des femmes contre ce déferlement haineux qui se drape, de surcroît, dans  la vertu. Elles montrent ainsi que ce discours « politiquement correct » entretient les femmes dans une situation d’éternelles victimes et va à l’encontre de leur complète émancipation, faisant le jeu des intégristes de tout poil. Autant d’assertions justes et pertinentes qu’à titre personnel, je partage sans réserve.

Cette tribune, comme on s’en doute, n’a pas fait l’unanimité. Et c’est sans surprise que les féministes institutionnalisées, qu’elles gouvernent ou enseignent, l’ont brocardé avec mépris comme « un tissu d’âneries » rétrogrades. Mais un homme dans ce concert – le romancier Frédéric Beigbeder – s’est félicité que cette parole féminine ose dire, au nom des hommes privés d’audience, que ceux-ci ne sont pas tous  des porcs. La presse étrangère a largement commenté leur courageuse prise de position, les plus féroces critiques venant, bien sûr, des journalistes anglo-saxons, tandis qu’à l’inverse, Allemands et Italiens ont exprimé leur approbation à l’égard de ces insoumises.

 Depuis, Catherine Deneuve est revenue sur une partie de ses déclarations, présentant même ses excuses à celles qu’elle aurait pu choquer. Tout en maintenant qu’elle n’avait de leçon de féminisme à recevoir de personne, elle qui fut – doit-on le rappeler ? – l’une des signataires du Manifeste des 343 salopes pour le droit à l’avortement en 1971. Et l’on mettra sur le compte de la passion éristique l’allégation de Brigitte Lahaie – autre signataire de cette fameuse tribune – selon laquelle « des femmes jouiraient pendant le viol ». Car il n’est évidemment pas question de demander la dépénalisation de ce crime. Pas plus, d’ailleurs, que de nier les violences physiques faites aux femmes et pour lesquelles des lois s’appliquent déjà.

Il n’en reste pas moins qu’une brèche a été ouverte dans cette chape de plomb ; une brèche qui permet de faire entendre le dissensus et la différence dans un pays où ils sont de plus en plus menacés et il faut tout faire pour qu’elle ne se referme pas. Car le féminisme est devenu, en France, une idéologie d’état, aux antipodes de ses racines protestataires et généreuses. Une idéologie qui légifère et condamne ce qui ne va pas dans son sens, dans une parfaite ignorance de la réalité empirique, celle vécue par une majorité d’hommes et de femmes qui s’aiment et se soutiennent dans les épreuves de la vie. Une idéologie qui entretient à dessein la lutte entre les sexes, qui ne recule devant rien pour faire triompher son idée aseptisée de la femme. L’égalité – mais est-ce encore le but recherché ? – ne se décrète pas à coups de fusil, mais par le partage et le dialogue quotidiens. Ce sont aujourd’hui les cent femmes signataires de la tribune du Monde qui la portent mieux que quiconque en France. Cette chronique leur est amicalement dédiée.    

 

Jacques LUCCHESI

18/01/2018

C’est Bizet qu’on assassine !

                    

 

 Qui ne connait l’histoire de Carmen et de ses amours tumultueuses avec Don José ? Qui n’a pas siffloté un jour Le chœur des enfants ou, bien sûr, la célébrissime habanera, L’amour est enfant de bohème, de l’Acte 1? Bref, l’opéra de Bizet – dans lequel Nietzsche voyait le meilleur  de la musique méditerranéenne – n’a jamais cessé de hanter la sensibilité collective depuis sa création en 1875. Au XXeme siècle, le cinéma a pris le relais de la scène pour en perpétuer le mythe. On se souvient sans doute de la pétillante Carmen jouée par Julia Migenès-Johnson dans le film de Francesco Rosi en 1984: face à elle, dans le rôle de Don José, le ténor Placido Domingo n’en menait vraiment pas large. Et pourtant, l’histoire se répétait inexorablement, fidèle à la vision du compositeur et de ses librettistes.

Eh bien aujourd’hui, c’est un certain Léo Muscato, metteur en scène de son état, qui a entrepris de transformer la fin de cet opéra parmi les plus célèbres du monde. Sous le curieux prétexte que la mort d’une femme ne doit plus être applaudie à la scène (Carmen est tuée par Don José), il a tout simplement décidé que ce serait Carmen qui, en se défendant, blesserait mortellement son agresseur. Pour justifier une telle hérésie, il a expliqué que l’idée lui aurait été suggérée par le directeur du théâtre florentin où était montée cette énième version. La stupidité d’un tel argument fait bondir de colère. Car c’est une interprétation, et non une démonstration de force, qu’on applaudit à l’opéra. Ainsi de prétendus hommes de l’art n’ont même plus la claire conscience des lignes de partage entre le réel et l’imaginaire. Ainsi la représentation d’une action, quelle qu’elle soit, deviendrait pour eux moralement équivalente à sa réalisation physique.

On voit d’ici la régression effarante qu’implique cette confusion de l’éthique et de l’esthétique (au bénéfice de la première) ; l’irruption intempestive, dans le champ de l’art, des questions sociétales du moment – ici la protestation féministe. A terme c’est la liberté souveraine de l’artiste  qui est menacée, comme ce fut le cas sous des pouvoirs totalitaires ou en des époques particulièrement puritaines. C’est aussi la négation du statut d’auteur par ceux qui devraient se contenter de le servir humblement – ici les metteurs en scène – siècle après siècle, si la modernité ne les avait pas incités à se penser plus intelligents que les créateurs eux-mêmes. Passe encore qu’on habille les acteurs au goût du jour. Passe encore qu’on situe l’action dans un camp de Roms des années 80 ou même qu’on noircisse la personnalité de Don José tant que l’histoire va jusqu’au bout d’elle-même. Certes l’opéra de Bizet, en un siècle et demi, a connu maintes variations. On l’a même tiré du registre comique, où il se situait initialement, vers un registre plus tragique. Mais on n’avait pas, pour autant, osé réécrire une partie de son canevas.

C’est chose faite et ce coup de force en dit long sur le révisionnisme culturel qui gangrène notre époque. Au motif de vouloir moraliser la vie de nos contemporains, des associations (servies par des relais gouvernementaux) cherchent à orienter dans leur sens les créateurs actuels ou s’immiscent sans vergogne dans le patrimoine classique pour le dénigrer, voire y expurger ce qui s’oppose à leur mesquine vision du monde. Comme si les hommes et les femmes des temps anciens n’avaient plus droit à leurs propres codes culturels ; comme si le passé devait être mis, de gré ou de force, au diapason du présent- le seul mode temporel qui vaille pour les tristes imbéciles qui prétendent régir nos vies. Hier, une ministre de la santé voulait faire interdire l’acte de fumer à l’écran pour des questions hygiénistes. Aujourd’hui c’est un metteur en scène qui réinvente  Carmen  pour le plus grand plaisir des féministes qui s’agitent en coulisses. L’empire du Bien, magistralement dénoncé par Philippe Muray, poursuit sa marche irrésistible. Quitte à stériliser l’Histoire et transformer la culture en jardin d’enfants.

 

Jacques LUCCHESI            

05/01/2018

Haro sur les chômeurs !

                       

 

 

 

 Longtemps le chômage fut tenu pour une calamité des sociétés modernes. Ceux qui le subissaient étaient regardés soit comme des victimes (à l’instar des handicapés), soit comme des parias. Eux-mêmes vivaient avec honte leur condition de chômeur, tellement l’apologie du travail – noyau dur de l’idéologie capitaliste – était prégnante dans les esprits. Quant aux allocations compensatoires, elles étaient dérisoires, même pour survivre - quand elles n’étaient pas inexistantes.

La France des Trente Glorieuses fut celle du plein emploi et le chômage y était ridiculement bas (0,5% dans les années 60). Tout devait changer au cours des années 70, avec les chocs pétroliers successifs. Le seuil redouté d’un million de chômeurs fut atteint sous le septennat de Giscard et on finit par se faire à l’idée d’un chômage structurel, tout en continuant à aligner des propositions pour le réduire. Restait la question des revenus de substitution, fer de lance de la justice sociale. Même soumis à des barèmes et des modalités, ils étaient devenus absolument indispensables, tant pour la survie d’un nombre croissant de personnes que pour l’équilibre général de la société.

C’est ainsi que, sous l’influence d’une pensée de l’émancipation individuelle en progression dans les années 70 (Marcuse, Illich, Dumazedier), le chômage commença à se dédramatiser. Après tout, les loisirs étaient bien aussi importants que le travail dans une vie d’homme. Et le chômage pouvait aussi être l’occasion pour faire d’autres expériences sociales où le travail – le travail aliéné – n’aurait plus la première place. Cette attitude baba-cool, qui se satisfaisait d’une forme de marginalisation, fut à son tour battue en brèche avec l’offensive néo-libérale qui accompagna l’effondrement du bloc soviétique. Désormais ce fut la figure de l’entrepreneur que l’on porta au pinacle. Dans les années 80, Bernard Tapie avait donné le ton ; d’autres devaient lui emboîter le pas dans cette course éperdue à  la fortune. Des terminologies nouvelles apparurent dans les conversations de café : start-up, bulle financière…On sait depuis que leur sens n’était pas surfait. De nouveau le balancier penchait du côté du travail, à l’amble avec le retour du rigorisme moral. Et ceux qui ne voulaient – ou ne pouvaient  pas – suivre ce mouvement étaient mis à l’index, présentés comme des fainéants, des assistés, des parasites.

Sarkozy enfonça le clou, divisant les français nécessiteux, selon qu’ils se levaient tôt ou non. Hollande ne fit que poursuivre, malgré quelques bémols à caractère social, cette pente qui mettait les chômeurs sur le banc des accusés. Aujourd’hui, c’est leur fils naturel - de droite et en même temps de droite -  qui veut durcir la législation à leur encontre. Désormais  il faudra qu’ils apportent régulièrement des preuves de leur recherche active d’emploi, afin de justifier les quelques centaines d’euros qui leur sont versés chaque mois. En outre, ils ne pourront plus refuser les postes qui leur seront proposés, quand bien même ils ne correspondraient pas à leur formation ou qu’ils les entraîneraient dans des déplacements excessifs et coûteux. Un premier refus réduira de 20% leur allocation. Et un second pourra entraîner leur radiation pure et simple de Pôle Emploi.

En matière de solidarité sociale, on touche peu à peu le fond, les pauvres ne pouvant ainsi que devenir encore plus pauvres jusqu’à ne plus pouvoir survivre. Cette répression annoncée survient en plus dans un contexte favorable, avec une économie qui repart durablement à la hausse. Oui, il est grand temps qu’un nouvel homme politique fasse adopter le principe d’un revenu universel sans condition de versement. Ne fut-ce que pour insuffler un vent de liberté dans le monde du travail.

 

Jacques LUCCHESi