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23/02/2018

       Fake news : vers un contrôle gouvernemental

  

 

 En matière d’information, le vrai et le faux se livrent depuis toujours une guerre sans merci. Depuis toujours, c'est-à-dire depuis que les hommes font société et s’affrontent pour le pouvoir. Car l’information est l’un de ses principaux enjeux et il s’agit pour le prince de la contrôler à différents niveaux. Ce qui implique d’établir d’abord une stricte dichotomie entre le vrai et le faux -  notions toutes relatives lorsqu’elles concernent l’interprétation des faits plus que les faits eux-mêmes. Aujourd’hui, il n’y a plus de Twin Towers à New-York, c’est indéniable. Mais qui a décidé de leur destruction le 11 septembre 2001 : Al Qaida ou la CIA ? D’une manière générale, sera rejeté comme faux tout ce qui ne va pas dans le sens des valeurs prônées par le régime en place et tenu pour vrai tout ce qui les conforte.

Dans ces conditions, comment penser que le faux ne puisse pas contester la suprématie du vrai et prétendre imposer sa propre vérité ? Tant que le débat reste théorique – par exemple l’opposition platonicienne entre doxa et logos -, reconnaissons que tout cela constitue un intéressant remue-méninges. C’est différent lorsqu’une information est destinée à tuer. Ce fut le cas des tristement célèbres Protocoles des Sages de Sion à l’encontre des Juifs ou des libelles qui les accusaient de manger du pain azyme fait avec du sang d’enfants chrétiens. Il n’est d’ailleurs point besoin de remonter loin dans le temps et d’incriminer l’obscurantisme des systèmes politiques d’alors. Ainsi, la rumeur d’Orléans (magistralement analysée par Edgar Morin) a montré la puissance destructrice de certains clichés dans la France démocratique des années 60.    

Aujourd’hui, les rumeurs et autres allégations plus ou moins malveillantes ne sont plus portées par le bouche à oreille mais par Internet, bénéficiant ainsi d’une rapidité de circulation et d’une audience inimaginables jusqu’à ces dernières décennies. Grâce au web, l’opinion s’est libérée de la tutelle des spécialistes et des agents du pouvoir. Cette démocratisation ne fait pas, bien sûr, l’affaire de tous ; c’est même, pour certains, une blessure narcissique comparable à celle qu’infligea la théorie darwinienne de l’évolution aux tenants du créationnisme, mais chacun se doit d’en prendre acte.

De fait, la lutte entre le vrai et le faux est relancée de plus belle. On ne parle plus d’intox et de désinformation, mais de complotisme et de fake news, chaque camp accusant l’autre de manipulation. Cette situation implique, plus que jamais, l’activation de notre sens critique vis-à-vis de ce qui nous est donné à voir et à lire. A des vérités trop figées, à des certitudes hautaines, peut-être devrions-nous préférer les catégories, plus fluides, du probable et de l’improbable pour appréhender plus justement les commentaires autour d’un évènement. Néanmoins cette initiative appartient aux individus ; et toute intervention du pouvoir pour contrôler, peu ou prou, ces flux d’informations contradictoires ne peut être que ressentie comme un déni de démocratie. D’ailleurs, ne risque t’elle pas de délégitimer ceux qui veulent rétablir une stricte orthodoxie de l’information, avec la censure pour corollaire ?

Cette option est, de plus en plus, celle d’Emmanuel Macron  et de son gouvernement. Dans sa crainte de voir des agents étrangers perturber les élections à venir, répétant ainsi le canevas américain, il prépare un projet de loi étendant les dispositions déjà existantes sur la liberté de la presse aux plateformes numériques et aux réseaux sociaux. L’identité des annonceurs publicitaires va être particulièrement scrutée. Cette exigence  de transparence peut sembler pertinente dans l’actuel contexte international. Mais qui doute qu’elle ne puisse avoir des répercussions sur la liberté d’expression des internautes. Qui va décider si tel contenu est vrai ou faux – et donc licite ou pas -  sinon des organes de régulation directement soumis aux ordres du pouvoir ? Sous couvert d’une nécessaire protection des citoyens, l’état d’urgence nous a préparés à accepter davantage de contrôle au détriment des libertés individuelles. C’est le même processus qui est à l’oeuvre, cette fois dans l’espace virtuel et informatif. La révolution (technologique) est en marche, comme on le voit. Mais que vaut la vérité si elle doit aboutir à plus de coercition ?

 

Jacques LUCCHESI       

02/02/2018

Bruissements (79)

 

 

Matons : la grève des surveillants de prison a éclaté début janvier, suite à l’agression de deux d’entre eux par des détenus radicalisés. Cette fois, c’en était trop, la coupe était vraiment pleine. Comment ne pas comprendre leur colère quand on sait que, pour travailler dans un contexte aussi dangereux, un surveillant débutant perçoit en moyenne 1350 euros nets par mois ? Oui, les salaires sont trop bas en France et celui des « matons » en est sans doute l’exemple le plus révoltant Depuis cette grève n’a cessé de monter en puissance, occasionnant même des affrontements paradoxaux avec les forces de police devant des maisons d’arrêt. Pour mettre un terme à cette crise, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures attendues : revalorisation des salaires à hauteur de 1200 euros par an, création de 1100 postes supplémentaires entre 2018 et 2021, nouveaux quartiers d’évaluation pour les prisonniers radicalisés, gilets pare-balles… Mais le vrai problème reste la surpopulation carcérale (70 000 détenus pour seulement 60 000 places). Quid des 15 000 places supplémentaires promises par Emmanuel Macron ? Il est vrai qu’entre temps, la dépénalisation du cannabis va en libérer un bon nombre.  

 

Retours : la gestion des détenus radicalisés risque de se reposer, de façon encore plus aigue, avec le possible retour des djihadistes français de Syrie et d’Irak. Maintenant que l’EI, battu à plate couture sur ses terres, a perdu toute prétention à recréer un califat, que faire de ceux que son idéologie mortifère a séduits et qui sont prisonniers là bas ? Sachant que dans ces contrées où ils ont commis des méfaits abominables, ils encourent la peine de mort, beaucoup jouent la carte de la repentance, allant jusqu’à se faire passer pour des travailleurs humanitaires, afin de rentrer en France – pays, comme on le sait, de grande clémence. Il y a aussi la question, plus délicate, des femmes radicalisées et de leurs enfants. Du coup, leurs avocats invoquent le droit international et le gouvernement français fait mine d’acquiescer à leur jérémiades stipendiées. « Nous voulons, bien sûr, que nos lois  s’appliquent pour tous mais… ». A la vérité, personne ne veut voir revenir chez nous ces énergumènes. Mais c’est difficile à dire publiquement dans une démocratie comme la notre. Reste la solution des services secrets : on sait depuis longtemps comment ils procèdent avec ce genre d’indésirables. Mais c’est évidemment un secret...

 

Darmanin : c’est l’un des fleurons du gouvernement Philippe, une belle prise à la droite, origine modeste, travailleur, ambitieux, tout pour l’effort et le mérite. Mais tout homme a ses zones d’ombre et, lorsqu’on est un ministre en vue, le refoulé revient toujours d’une manière ou d’une autre. En l’occurrence il prend, pour Gérald Darmanin, l’allure d’une plainte pour viol. Elle émane d’une ex call-girl que le jeune cadre des Républicains aurait aidée, voici quelques années, à résoudre des problèmes personnels. Contre rien en retour ? Peut-être pas. Quoiqu’il en soit, ce n’est encore qu’une allégation, la justice n’a pas tranché. Et Darmanin, comme n’importe quel justiciable, a droit à la présomption d’innocence. Mais cette affaire arrive mal, juste après la grande vague féministe post-Weinstein. Du coup, certains demandent – un peu vite – sa démission. Pas dans le gouvernement, en tous cas. Même l’agaçante Marlène Schiappa, si prompte à vociférer contre les dérapages masculins (on a vu encore sa sortie inepte dans l’affaire Daval), met des bémols, invoque le doute et la réserve vis-à-vis de son collègue. Y aurait-il deux poids et deux mesures en matière d’abus sexuels? Comme quoi, quand il s’agit de garder leur place, les ministres savent la mettre en veilleuse. 

 

Pologne : le torchon brûle entre Israël et la Pologne. Car le gouvernement polonais vient d’édicter une loi punissant jusqu’à trois ans d’emprisonnement quiconque ferait publiquement une association entre les Polonais et l’extermination des Juifs entreprise par les nazis. Ainsi on ne pourra plus écrire – tout au moins en Pologne – les camps polonais de la mort. Certes, ce n’est pas la faute des Polonais si les Allemands, durant la seconde guerre mondiale, ont choisi leur pays pour y construire leurs principaux camps d’extermination – à commencer par celui d’Auschwitz-Birkenau. Au-delà de cette fatalité, il y a l’antisémitisme avéré des Polonais que cette loi voudrait bien faire oublier. Quitte à bâillonner les voix de tous ceux qui voudraient que cette vérité soit reconnue dans ce pays européen censément démocratique. Vous avez dit révisionnisme…  

 

Nutella : Jusqu’à présent on n’avait vu une telle frénésie que dans les publicités vantant des produits alimentaires. C’est devenu réalité depuis que l’enseigne Intermarché a mis en promotion les pots de Nutella entre le 25 et le 27 janvier derniers. Imaginez un peu : 1,41 euro au lieu des 4,70 euros que coûte habituellement le pot de 970 grammes. 70% de réduction ! Voilà qui a de quoi faire saliver tous les « accros » au chocolat. Du coup ce fut, dès l’ouverture, une ruée éléphantesque vers la crème convoitée. A Marseille, il a même fallu l’intervention de la police pour arrêter les échauffourées. Quand on sait que le Nutella est composé à 80% d’huile de palme, sûr facteur d’obésité infantile, on a de quoi frémir devant de telles scènes. Eux ne doivent sûrement pas le savoir et c’est bien regrettable. Choqué par de tels comportements, le gouvernement a aussitôt envisagé une loi limitant à 30% les réductions promotionnelles de  la grande distribution. Salauds de pauvres ! – dixit Benjamin Griveaux. Il faut maintenant les protéger contre eux-mêmes. Et rien de tel, pour qu’ils prennent davantage soin de leur santé, de les empêcher de trop consommer en n’abaissant pas (trop) les prix, voire même en les majorant. On sait ce que cette pédagogie donne pour la cigarette.

 

Erik PANIZZA    

30/01/2018

             Yann Moix l’accusateur

        

          

 

 

 Qu’est-ce qu’un intellectuel ? Un homme – ou une femme – qui travaille avec des éléments symboliques, bien sûr, une personnalité dotée d’une capacité à organiser ses idées. Mais aussi un citoyen interpellé par les problèmes de son temps, désireux d’intervenir avec les moyens qui sont les siens dans l’arène publique, prenant parti pour ce qu’il estime être le juste contre l’injuste, quelles que soient les formes que ces notions-là prennent momentanément. Pas question, pour lui, de laisser s’émousser sa capacité à juger. Pas question d’abandonner aux seuls spécialistes la catégorisation du monde. Car l’intellectuel- au sens moderne du terme – se situe d’emblée dans le champ de l’éthique. C’est sous cet angle-là qu’il observe et commente les phénomènes sociaux ou les décisions politiques (quand bien même il aurait ses propres engagements). Son domaine à lui, c’est l’universel, ce qui doit être plutôt que ce qui est. Il est ce fragile aiguillon des consciences et son influence est, bien sûr,  proportionnelle à sa notoriété.

On sait ce que firent Voltaire et Zola pour la réhabilitation de Calas et Dreyfus. Aujourd’hui c’est Yann Moix qui assume un peu de leur héritage avec sa lettre ouverte au président de la République, publiée lundi dernier dans Libération. Ainsi entend-il rappeler, à celui qui incarne présentement la voix de la France, ses obligations morales dans la crise migratoire actuelle. On sait que l’écrivain-chroniqueur n’a pas la langue dans sa poche quand il s’agit de dénoncer les errements de notre époque - comme la mise au pilori de Colbert et du Code Noir par les associations anti-racistes d’aujourd’hui. A trop vouloir juger les oppresseurs d’hier, on en oublie presque les exactions de leurs épigones  qui se déroulent en ce moment avec l’aval tacite de nos dirigeants. Non, nous ne devons pas nous tromper de cibles et Yann Moix remet à sa façon les pendules à l’heure avec des mots qui claquent comme des coups de fouet : « Chaque jour, vous humiliez la France en humiliant les exilés. ». Ou, plus loin : « Les mesures anti-migratoires sont toujours populaires. Mais, voulant faire plaisir à la foule, vous trahissez le peuple. ».

 Le point de départ de cette philippique est dans les brimades que font subir des fonctionnaires français à des migrants qui continuent de se rassembler à Calais dans l’espoir de pouvoir passer en Angleterre. C’est aussi le double discours officiel que met en avant l’écrivain. Que signifie, par exemple, « un usage des gaz lacrymogènes fait dans le respect de la réglementation » argué par le préfet du Pas de Calais ? Imagine- t’on un zélé tortionnaire qui écrirait, dans son rapport, que les séances de baignoire ou de gégène n’ont pas dépassé le seuil autorisé par les médecins ? Cette hypocrisie langagière, Emmanuel Macron en a usé lui-même en déclarant, lors de sa visite à Calais le 16 janvier, « s’élever contre l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques en confisquant les effets des migrants », menaçant de sanctions les policiers si ces agissements étaient prouvés. Car il est difficile de croire à la sincérité du chef de l’état face à ce que Moix appelle « un protocole de la bavure ».

La France est-elle en train de devenir comme la Chine ? Obnubilée par sa croissance économique, elle met de plus en plus sous le boisseau les Droits de l’Homme et les problèmes humanitaires afférents. C’est pour tenter d’enrayer cette dérive fatale de la politique que nous avons, plus que jamais, besoin de la parole critique des intellectuels. Dont Yann Moix est, momentanément, le surgeon le plus flamboyant.

 

Jacques LUCCHESI