26/11/2015
Bruissements (54)
Congrès: Branle-bas de combat à la tête de l’état après les terribles attentats du 13 novembre dernier à Paris. Car il s’agissait d’affirmer une détermination sans faille face à la menace terroriste sur notre territoire. La volonté d’une « union sacrée » était déjà sensible, dimanche 15, dans la réception à l’Elysée des chefs des principaux partis d’opposition. Mais c’est à Versailles, le lendemain, lors du congrès des parlementaires, que François Hollande a dévoilé tout un panel de propositions drastiques : assignation à résidence pour les individus suspectés de radicalisme religieux, bracelets électroniques, emprisonnement systématique des djihadistes français revenant de Syrie et d’Irak, déchéance de la nationalité française et expulsion pour les prédicateurs extrémistes possédant une autre nationalité, contrôles renforcés aux frontières européennes. Ces mesures, annoncées avec le ton martial qui s’imposait, ont fait l’unanimité des congressistes autour de sa personne. Il est vrai que le peuple français n’en attendait pas moins après le traumatisme subi dans sa capitale. Reste que le président a repris la quasi-totalité des propositions émises par Nicolas Sarkozy, la veille. Une façon habile de lui couper l’herbe sous les pieds. Car la politique politicienne ne perd jamais de vue ses propres intérêts. Après le tournant libéral de janvier 2014, nous sommes donc entrés dans le tournant sécuritaire du quinquennat Hollande – surtout avec l’état d’urgence prolongé jusqu’en février prochain. Le Patriot Act américain, si décrié au lendemain des attentats de New-York en septembre 2001, est en train de devenir une réalité en France. Et nul ne sait quand ça finira.
Patriotisme : Y aurait-il un regain du patriotisme en France ? Tout le laisse penser en ces heures sombres que nous traversons. Où que l’on se tourne, on n’a jamais aussi vu le drapeau français ni entendu autant chanter la Marseillaise. Et les demandes d’engagement dans l’armée ont triplé, passant de 500 à 1500 chaque jour. Elles émanent de jeunes gens – mais pas que – de tous les milieux sociaux ; des jeunes qui veulent participer activement à la défense de leur pays contre l’état islamique et ses kamikazes. Evidemment, les tests de sélection frustreront les velléités militaires des neuf dixièmes d’entre eux, mais ce n’est pas le problème ici. Celui-ci est bien plutôt dans la résurgence de ce sentiment que l’on croyait naïvement appartenir à une autre époque, à d’autres générations. Et qui tient peut-être à des structures profondes de la personnalité, une sorte d’instinct vital étendu à la communauté nationale toute entière. Un sujet pour le prochain bac de philo ?
Armée : L’armée française, parlons-en justement. Bien qu’elle reste la première de l’Europe fédérale – juste devant l’Angleterre – avec 228 000 combattants potentiels et des moyens d’action considérables, tant sur mer que dans les airs, son budget a été considérablement rogné au cours de ces dix dernières années, notamment sous la gouvernance de Sarkozy. Ainsi, elle serait bien en peine d’affronter seule sur leur terrain les 25 000 partisans de l’état islamique. Une coalition internationale semble donc inévitable pour poursuivre et terminer la contre-attaque déjà commencée par les Kurdes et les miliciens iraniens contre Daesh. Et dans cette coalition, la Russie jouerait un rôle de tout premier plan. Du coup, c’est Poutine – à défaut d’Assad – qui redevient fréquentable, voire estimable, pour le gouvernement français. Mais s’il envoie ses troupes faire le ménage dans le bourbier irako-syrien, ce ne sera pas contre rien en retour. Comme, par exemple, la levée de l’embargo économique décrété lors de la crise ukrainienne, l’an dernier ; ou la promesse que l’Europe fédérale lui laissera les coudées franches dans sa zone d’influence. Dans cette stratégie sempiternelle du moindre mal, c’est Poutine qui pourrait bien être le grand vainqueur de la nouvelle offensive internationale qui s’annonce au Moyen-Orient.
Musulmans : Si les attentats de Paris ont bouleversé à juste titre l’opinion, ils ont aussi produit un électrochoc dans la communauté des musulmans français. Car ces actes barbares, prétendument commis au nom de l’Islam, ne peuvent qu’interpeller ceux qui se réclament de cette religion. Aussi, le Conseil National du Culte Musulman a condamné sans réserve la tentation djihadiste et le recours à la violence au nom du Coran sur le sol français. Il a également rappelé aux prêcheurs des 2500 mosquées de notre pays qu’ils devaient, eux aussi, être fidèles aux lois de la République. Un appel qui a été largement suivi et commenté lors des prières du vendredi 20 novembre. N’en déplaise à certains qui voient, dans cette justification, une humiliation supplémentaire faite aux musulmans, elle était absolument nécessaire dans le contexte actuel. Car nous savons bien la part de responsabilité qu’ont eu certains pseudo-imams dans les dérives intégristes de jeunes Français. Le temps du silence ambigu est bien révolu. Il ne faut pas laisser Daesh diviser la société française.
Identitaires: Reste qu’il n’est pas si facile d’empêcher l’islamophobie de se déchainer après ce qui s’est passé. Dans les jours qui ont suivi les attentats, de nombreuses mosquées ont été taguées et des musulmans traditionalistes ont été pris à parti dans plusieurs villes françaises. A Cambrai, c’est un homme d’origine turque qui a été blessé par balle. Voilà de quoi raviver les vieilles haines confessionnelles. Comme, à Marseille, où un enseignant d’une école juive a reçu plusieurs coups de couteau, mercredi 18 novembre. Ses trois agresseurs – qui courent encore - se réclamaient ouvertement de Daesh et de Mohamed Mérah : un bien sinistre patronage, comme on le voit. Refréner les affrontements entre groupes identitaires va être une autre des grandes missions du gouvernement dans les mois à venir.
Bamako : Depuis de nombreux mois Daesh écrase, médiatiquement parlant, ses concurrents – et ils sont nombreux dans la nébuleuse terroriste. On comprend qu’une entité comme Al Qaida, naguère si commentée dans le monde, puisse en tirer ombrage. C’est peut-être pour redonner un peu de notoriété à l’organisation de feu Oussama Ben Laden qu’une de ses filiales africaines, Al-Mourabitoune (que dirige Mokhtar Belmokhtar), a planifié l’attaque spectaculaire du Radisson Blu, en plein centre de Bamako, vendredi 21 novembre. Les assaillants savaient qu’ils trouveraient là une clientèle internationale – donc une large couverture informative. La riposte des forces maliennes n’a pas trainé et en une journée tout était terminé. Le bilan de cette énième prise d’otages est quand même très lourd puisque – outre les deux terroristes – vingt personnes ont trouvé la mort. Le Quai d’Orsay a annoncé avec soulagement qu’il n’y avait pas de Français parmi les victimes. Il est vrai que, sous l’angle diplomatique, la vie humaine n’a pas la même valeur selon qu’elle est celle d’un ressortissant national ou d’un étranger. Et que mille morts au Pakistan nous affolent moins que dix morts dans notre pays.
Turquie : On savait la Turquie d’Erdogan – pourtant membre de l’OTAN – plus soucieuse de bombarder les combattants kurdes que les positions de Daesh en Syrie. On savait aussi qu’elle ne faisait rien pour endiguer l’émigration syrienne vers l’Europe à ses frontières. Qu’elle ne s’opposait pas, non plus, au passage des recrues européennes de l’état islamique sur son territoire – quand elle ne les armait pas en sous-main. Mais on ne pensait quand même pas qu’elle irait jusqu’à tirer sur un avion allié. C’est ce qu’ont pourtant fait deux de ses chasseurs en abattant, mardi 24 novembre, un SU 24 russe qui effectuait une mission de reconnaissance sur la Syrie voisine. Motif : il aurait violé à plusieurs reprises l’espace aérien turc. L’un des deux pilotes parachutés a ainsi été tué au sol par des djihadistes trop heureux de pouvoir exercer leur vengeance. La disproportion entre la faute commise et la réaction turque suscite bien des interrogations. A quel jeu trouble joue la Turquie dans ce contexte particulièrement instable ? Est-ce que les européens peuvent encore la tenir pour un allié dans la coalition qui se prépare ? Si Vladimir Poutine a parlé, à juste titre, « d’un coup de poignard dans le dos », s’il a suspendu des accords commerciaux avec Ankara, on lui sait gré d’avoir eu la sagesse de ne pas exercer de représailles militaires contre les Turcs. Car, malgré tout, les vrais ennemis sont ailleurs. Mais qu’il est dur de se coaliser quand chacun poursuit des intérêts géopolitiques divergents !
Erik PANIZZA
14:28 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : congrès, patriotisme, bamako, turquie
17/11/2015
Etat de siège
Après l’effroi, après la solidarité partagée avec les familles des nombreuses victimes, après le coup de chapeau aux personnels médicaux et soignants, le respect dû à la qualité de nos forces d’intervention, il faut se concentrer sur la défense de notre pays attaqué lâchement. Le terrorisme, par essence, frappe là où on l’attend le moins. D’où la difficulté à prévenir ses coups. Néanmoins, notre république démocratique est en guerre. Non seulement en Irak mais chez elle. Il lui faut donc adapter sa propre défense à cette nouvelle guerre. On ne peut plus finasser en tentant de comprendre le pourquoi d’une telle violence. Il faut prendre les mesures qui s’imposent. A commencer par tout tenter pour que, sur le front irakien, on aligne une seule et même coalition face à Daech, qu’on en finisse avec notre défiance avec Poutine (même si on sait qui est Poutine) ou même avec Assad. Il faut savoir où est son ennemi et le frapper, quitte à s’allier avec ceux qui ne sont pas de nos amis. Il faut aussi en finir avec l’hypocrisie sur les états voyous ou les filières qui fournissent des armes à Daech ou l’appuient sous le manteau. Chez nous, il faut fermer la porte à ces jeunes Français partis faire le djihad quand ils reviennent en France. La république, quand elle est en danger, doit prendre des mesures d’exception à l’encontre de ceux qui cherchent à en finir avec elle. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne doit pas rester elle-même. C’est en restant ce que nous sommes et en défendant nos valeurs qu’on gagnera face à l’obscurantisme. Parler de « choc des civilisations » ne veut rien dire. Cela supposerait que Daech incarne une civilisation. Or une civilisation repose sur l’instinct de vie et non sur la pulsion de mort, sur la pensée et non sur l’ignorance, sur l’art et non sur la destruction des œuvres du passé, sur le respect de l’autre et non en cherchant à le nier au point de le détruire. Non au « Viva la muerte » de Daech !
Yves Carchon
14:08 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : terrorisme, victimes, irak, civilisation
16/11/2015
La spirale de l’horreur
Il fut un temps – pas si lointain – où les terroristes détournaient des avions et enlevaient des personnalités notoires contre rançon. Où ils plaçaient des bombes dans des sites stratégiques pour donner du poids à leurs revendications. On se prendrait presque à regretter ces méthodes, pourtant très contestables, quand on voit celles que mettent en œuvre leurs épigones, aujourd’hui. Les attentats monstrueux que Paris a vécus durant la soirée du 13 novembre sont manifestement le signe d’une rationalité opératoire devenue complètement folle. Attaquer à la mitraillette des terrasses de bar-restaurants ou une salle de concert sans la moindre distinction de personnes, se faire exploser dans un café ou aux abords du stade de France : voilà ce qu’on n’avait encore jamais vu dans notre pays. Voilà qui marque même un cran de plus dans l’horreur par rapport aux attentats de janvier dernier, politiquement plus ciblés. On est ici dans le cadre d’une vengeance généralisée exercée par l’état islamique contre la France ; non seulement pour ses bombardements en Syrie mais aussi pour son style de vie et son sens de la liberté, insupportables aux yeux de ces ténébreux fanatiques. Ils sont dans une toute autre logique existentielle que la notre, ce qui interdit – pour le moment – toute forme de négociations.
Le bilan humain, rappelons-le, est effarant, comparable à une attaque militaire en règle : 129 tués et 352 blessés dont 99 dans un état critique. En réponse à un tel carnage, François Hollande a aussitôt décrété l’état d’urgence sur tout le territoire, situation exceptionnelle dont le dernier précédent remonte à De Gaulle et à la guerre d’Algérie. D’autres mesures coercitives devraient forcément s’ensuivre, notamment vis-à-vis des foyers islamistes en France. Mais on se rend compte que, malgré des moyens de contrôle quasi illimités, les forces de police restent impuissantes à prévenir ce type de raids meurtriers. Que doit faire le citoyen lambda sinon se faire une raison et s’habituer peu à peu à vivre sous la menace de nouveaux attentats ? Comment éviter, dans ces conditions, la paranoïa et les amalgames destructeurs du lien social vis-à-vis des musulmans français ? Car nous sommes entrés dans une forme de guerre, même si sa configuration ne ressemble pas à celles que nous avons connues par le passé. Mais le pire est encore de savoir qu’une bonne partie de nos ennemis actuels sont, comme nous, des enfants de la République. Des garçons, très jeunes pour la plupart, qui ont rejeté nos valeurs au profit d’une idéologie nihiliste et obscurantiste. Et qui sont prêts à semer la mort sur la terre qui les a vus naitre jusqu’au mépris de leur propre vie.
Jacques LUCCHESI
16:02 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paris, attentats, guerre, état d'urgence