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05/04/2012

Haro sur le bourreau

 

                        

 

 

 

 Décédé en 2008, à l’âge de 77 ans, Fernand Meyssonnier exerça, durant la première partie de sa vie, une profession assez rare et désormais historique : celle de bourreau. Il faut entendre cette appellation dans son sens littéral, c'est-à-dire exécuteur des hautes œuvres pour le compte de l’Etat Français. Précisément, c’est en Algérie qu’il officia entre 1957 et 1962 ; une brève mais intense période d’activité puisqu’il procéda, disait-il, à près de 200 exécutions. Mais le vent de l’Histoire soufflait en sens inverse. Rentré en métropole et prématurément à la retraite, Fernand Meyssonnier se lança alors dans une collecte tout aussi originale d’objets de justice récents et anciens, bric-à-brac assez inquiétant mais qui donnait à méditer  l’inventivité des hommes pour torturer leurs semblables. Cette collection, forte de plusieurs centaines de  pièces, aboutit finalement à un discret musée dans la charmante commune de Fontaine de Vaucluse.

Ce musée, je l’ai visité avec la plus grande attention en 1998, pour la rédaction d’un long article paru dans « Muséum International », la revue de l’UNESCO. Ce n’était pas une boutique des horreurs, comme certains l’ont laissé croire. Et je peux dire que s’il m’a donné parfois des frissons – notamment devant sa pièce maîtresse, une Guillotine modèle 1868 -, il présentait, à travers bon nombre d’objets et de documents, un indéniable intérêt historique. L’art n’était d’ailleurs pas absent de ces murs ; ainsi ces admirables cassolettes réalisées par des bagnards,  dont la beauté faisait presqu’oublier les déterminations  éprouvantes de leur création.

Déjà, de son vivant, Meyssonnier songeait à vendre sa collection, jugeant trop accaparante la gestion d’un musée voué à la confidentialité. Lui parti, rien ne s’opposait donc à sa dispersion et c’était le renommé Pierre Cornette de Saint-Cyr qui devait mener, fin mars, cette affaire dans ses locaux parisiens. Personne ne pensait que l’annonce de cette vente allait provoquer un véritable tollé. Plusieurs associations humanitaires s’y opposèrent farouchement (Amnesty International, le MRAP, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), au motif qu’elle était « une commercialisation de la torture ». A quoi  l’actuel Ministre de la Culture – qui ne caresse jamais l’opinion  à rebrousse-poil –  devait joindre sa propre voix d’esthète indigné par tant de barbarie, donnant un vernis d’officialité à cette bêlante bien-pensance. Les dés étaient jetés, la vente suspendue sine die et les acheteurs potentiels – des sadiques, forcément – priés d’aller voir ailleurs.

Tant de niaiseries et d’arguments ineptes, de la part d’hommes supposés cultivés, font frémir au moins autant que les fleurons de la collection Meyssonier. Au-delà de tous les clichés, cette affaire en dit long sur la force du conformisme et de la censure dans la France contemporaine. Tout ce qui n’entonne pas le crédo du moment, tout ce qui rappelle la puissance du mal en  l’homme est blacklisté, écarté, refoulé plus que jamais. Les objets rassemblés par Meyssonnier, pour saisissants qu’ils puissent être, appartiennent à notre histoire, relèvent d’une pédagogie que l’on aurait bien tort de reléguer aux oubliettes. Ils ne peuvent être comparés à ces reliques morbides que laissent derrière eux tant de serial-killers et qui font les beaux jours des enchères américaines. Par conséquent, les remettre sur le marché, même avec les avertissements qui s’imposent, n’est pas en soi une menace pour la société ni une atteinte aux Droits de l’Homme. Mais, à l’inverse, s’y opposer constitue une violation de la liberté de ses ayants-droits et un important manque-à-gagner pour eux. Il est vrai que l’Algérie, non plus, ne voyait pas d’un bon œil cette fameuse vente en cette année qui marque le cinquantième anniversaire de son indépendance. Mais ceci est une autre histoire.

 

 

                              Jacques LUCCHESI

03/04/2012

Le printemps birman

 

                       

 

 

 Aung San Suu Kyi et son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie, ont donc remporté, dimanche dernier, ces premières élections libres en Birmanie. Victoire magistrale puisque 43 sièges de députés – sur 44 à pourvoir – leur sont revenus. Dans les images en provenance de Rangoon, Aung San Suu Kyi semblait heureuse mais fatiguée par toutes ces années de lutte et de privation de liberté. Le chemin fut long et douloureux, mais son courage et son obstination ont quand même fini par faire bouger les pièces de cet échiquier. Certes, la junte militaire reste  aux commandes, mais l’ex-Prix Nobel de la Paix entre, malgré tout, au gouvernement et va pouvoir ainsi exercer une action propre à accélérer la démocratisation complète de son pays. Est-ce que, d’ici là, le peuple birman bénéficiera du retour annoncé des investissements étrangers ? Nous ne pouvons, bien sûr, que l’espérer avec lui. Car nul ne veut croire, devant tant de liesse, que tout cela ne soit qu’une nouvelle couche de maquillage sur un système politique verrouillé.

Mais, au juste, pourquoi parler ici de la Birmanie ? Ce  pays du sud-est asiatique est sûrement le dernier des soucis pour la plupart des Français râleurs que nous sommes. N’avons-nous pas assez à faire et à penser avec nos propres élections, dans quelques semaines ? Sans doute, mais une poussée démocratique, n’importe où dans le monde, reste un augure favorable que chacun doit méditer. C’est une fleur fragile dans un terreau où abondent souvent les mauvaises herbes ; une petite fleur qu’il s’agit de soigner pour amener à une totale éclosion. Aujourd’hui, cette fleur a un visage : celui, beau, doux et grave, de la Dame de Rangoon. Car Aung San Suu Kyi - assurément, la plus grande femme politique de notre temps – rayonne bien au-delà des frontières de son pays. Son parcours et son action méritent d’inspirer tous ceux, hommes et femmes confondus, qui luttent aussi pour une vie meilleure en Occident.

 

                           Bruno DA CAPO

23/03/2012

De quelques dossiers urgents

 

 

                     

 

 

 

 Dans l’effervescence électorale et la valse des drames humains dont nous sommes, chaque jour, les spectateurs indignés, il est touchant et reposant de constater que certains ministres poursuivent imperturbablement leur mission législatrice - mission hautement civilisatrice, cela va sans dire. C’est le cas de Roselyne Bachelot dont le dernier combat en date n’est autre que la suppression du mot « mademoiselle » des formulaires administratifs. Plus exactement, notre Ministre de la Santé s’est faite, une fois de plus, le porte-voix à l’Assemblée Nationale des associations féministes (Osons le féminisme, les Chiennes de Garde) qui la réclamaient à cors et à cris au motif que cette désignation serait une atteinte à la vie privée des femmes. C’était le 21 février dernier, un grand jour certainement pour l’égalité des sexes. Désormais, la case « mademoiselle » devra disparaître des documents officiels et seul sera pris en compte le nom de naissance. Certes, il est juste que les femmes fassent valoir davantage leur patronyme propre plutôt que celui de leurs époux. Mais ce n’est pas seulement ce qui est recherché dans cette suppression lexicale ; ce qui est visé, c’est aussi la sempiternelle galanterie masculine qui entoure l’usage de ce mot presque désuet (Coco Chanel, que je sache, ne s’en plaignait pas). Reste qu’il faudra faire pour un moment encore avec les anciens formulaires toujours en circulation. Que, d’autre part, l’habitude langagière risque fort de survivre à cette mesure ministérielle en présence de très jeunes personnes.

L’autre rapport concerne justement l’hyper-sexualisation des enfants et des adolescentes à travers la mode et la publicité. Il a été confié à la députée UMP Chantal Jouanno par ce même Ministère de la Santé et de la Solidarité que pilote Roselyne Bachelot. Ses arguments contre « des postures et des codes vestimentaires jugés trop précoces » sont cohérents. Et il y a sans doute lieu « d’endiguer ce phénomène en amont », notamment par l’interdiction des concours de beauté aux moins de 16 ans. Mais n’est-ce pas aussi une conséquence de ce modèle de société que leur gouvernement a, en partie, promu, favorisé ? Force est aussi de constater que ce rapport-là vient tard. Pour la petite histoire, nous dénoncions déjà, il y a près de vingt ans, la pédophilie latente d’une certaine publicité déguisant bon nombre d’enfants en adultes pour le plus grand profit des marques qui les produisent.   

Alors, combats d’arrière ou d’avant-garde que ces dossiers qui nous distraient un peu d’une actualité trop lourde, trop éprouvante ? Nous laisserons au temps le soin d’apporter la réponse.

 

                           Erik PANIZZA