12/11/2012
Simplement pour un soir ?
Pour qui entend l’interroger autant que la regarder, la télévision française réserve parfois des surprises abyssales. C’était le cas, samedi 20 octobre, sur France 2, avec « Simplement pour un soir » que présentait l’indéracinable Patrick Sabatier. Pour la première fois – du moins à ma connaissance – une émission de variétés faisait revivre les morts. Non pas sur le mode habituel de l’archive – palliatif prisé par la plupart des chaînes en ces temps de platitudes musicales généralisées -, mais sur le mode de l’image holographique (en trois dimensions) qui restitue à l’identique l’allure et la voix d’une personnalité. En l’occurrence c’étaient quelques disparus célèbres, grands vendeurs de disques devant l’Eternel, comme Luciano Pavarotti, Serge Gainsbourg et Claude François, qui se partageaient l’affiche de cette émission grâce à ce troublant procédé technologique. Quoique connu depuis les années 80, celui-ci n’avait pas encore fait l’objet d’une exploitation commerciale à grande échelle. Voici quelques mois aux USA, il avait ainsi fait réapparaitre, sur la scène d’un concert pop, un rappeur décédé depuis quinze ans. Mais de là à penser qu’il arriverait si vite en France, sur le service public, bien peu l’auraient pronostiqué. C’est chose faite, désormais, et ces émissions - du troisième type - ne font sans doute que commencer. Pourquoi s’arrêteraient-elles puisque les ayants-droits ont donné leur accord et perçoivent ainsi des royalties supplémentaires sur les prestations fantomatiques de leurs illustres parents ? En fait, les problèmes posés par ces résurrections médiatiques sont d’un autre ordre et on aurait tort de vouloir les éluder. Car l’image holographique est foncièrement différente de l’image filmique ou télévisuelle, que tout un chacun sait appartenir au passé. Elle crée les conditions matérielles d’une illusion parfaite de présence ici et maintenant. Et bien que personne ne s’avoue dupe, la confusion entretenue entre vivant et mort ne peut manquer d’être déstabilisante. Ainsi, Michel Sardou, 65 ans, qui chantait ce soir-là en duo avec Claude François tel qu’en lui-même, offrait la vision d’un saisissant contraste avec ses traits fatigués et sa crinière blanche. N’a t’il pas, maintenant, trente ans de plus que le créateur de « Si j’avais un marteau », alors même que pour l’état-civil, il sera toujours plus jeune de huit années ? On comprend qu’il ait pu se sentir dérangé par cet insolite duo, comme il le déclarait juste après à Patrick Sabatier. Sous ce qui semble relever du simple divertissement, n’est-ce pas le vieux et vertigineux projet de nier la mort qui pointe le bout du nez ? N’est-ce pas, au nom de la loi du spectacle, la transgression de la réalité naturelle, même avec la volonté affirmée de faire rimer magie et technologie ? Faisons un pas dans la science-fiction et imaginons un instant ce que serait un monde où les vivants croiseraient dans la rue des hommes et des femmes faits avec cette nouvelle étoffe des rêves ? Des hommes et des femmes suffisamment connus pour que l’on sache pertinemment qu’ils sont morts depuis longtemps (ce qui serait en soi une forme de sélection et d’injustice). Où se situerait, dès lors, la frontière entre le réel et le virtuel, le présent et le passé ? Est-ce que notre organisation psychique et notre rapport au temps n’en seraient pas bouleversés ? Eh bien, c’est déjà ce monde qui est en germe dans une émission comme « Simplement pour un soir ». Sans d’ailleurs trop savoir s’il faut envier ou plaindre ces défunts « bankables » artificiellement ramenés à la vie. L’éthique, là aussi, a quelque chose à dire.
Jacques LUCCHESI
17:56 Publié dans numéro 10 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france 2, sabatier, sardou, magie, technologie
05/11/2012
Pour Obama
A bien des égards les Etats-Unis demeurent un pays déroutant pour les Français. Et plus d’un d’entre nous, s’il le visitait en 2012, risquerait d’éprouver ce sentiment de déshumanisation qui avait accablé Georges Duhamel dès 1930 (in «Scènes de la vie future »). Car l’Amérique d’aujourd’hui reste pétrie de paradoxes. Les aspirations les plus généreuses y côtoient les attitudes les plus rétrogrades et les plus cyniques. Des milliardaires y créent des fondations caritatives après avoir fait fortune par les moyens les plus déloyaux (1% d’Américains détiennent autant d’avoir que 90% de la population). Pour financer leurs études, des légions d’étudiants s’endettent pour le restant de leurs vies. Et de nombreux vieillards sont obligés, pour survivre, de travailler jusqu’à la fin de leurs jours, vu la maigreur de leurs pensions-retraites. Dans ce pays qui s’est souvent vanté d’être la première démocratie du monde, la peine de mort se porte plutôt bien et la liberté de pensée est sujette à caution : se déclarer publiquement athée peut encore faire de vous un paria. Si au moins la foi chrétienne de ses dignitaires les inclinait à plus de solidarité avec les plus démunis (ils se comptent présentement en dizaines de millions). Mais ce sont ceux-là qui, le plus souvent, reprochent à l’Etat d’intervenir en faveur des pauvres. Car ici l’opinion dominante veut que chacun, riche ou pauvre, n’a que ce qu’il mérite en ce monde et il est, dès lors, vain de s’en prendre au système. C’est pourtant ce système qui a produit la crise des sub-primes en faisant miroiter, à des millions de malheureux, la possibilité d’accéder à la propriété individuelle. Et il n’est nul besoin de s’attarder ici sur la ségrégation raciale qui a caractérisé la société américaine jusqu’à ces récentes décennies.
Cet état de choses profondément injuste et inégalitaire, un homme s’est donné pour mission de l’améliorer et le peuple américain, dans sa grande diversité, l’a porté à a présidence en 2008. Quatre ans plus tard, Barack Obama est de nouveau candidat à sa propre succession. Certes, son bilan est mitigé et il est loin d’avoir tenu toutes ses promesses. Il n’a pas ainsi pu faire plier les grands financiers de Wall-Street ni mettre un terme à la guerre en Afghanistan, malgré l’élimination de Ben Laden en 2011. Et Guantanamo, ce symbole des années Bush, n’a pas été fermé, quoiqu’il ait pu dire. Mais il a néanmoins entrepris des réformes sociales dont la couverture santé pour 32 millions d’Américains défavorisés reste la plus emblématique de ses quatre années passées à la Maison Blanche. Face à lui, il a Mitt Romney, un homme issu de l’Establishment, ex-évêque mormon, ex-homme d’affaires enrichi et gouverneur en titre du Massachusets. Un homme qui ne fait pas figure d’extrémistes chez les Républicains mais qui reste quand même opposé à l’intervention de l’Etat dans le marché ainsi qu’à la recherche biologique de pointe. S’il venait à être élu, mardi 6 novembre, c’est une Amérique arrogante et idéaliste qui réapparaitrait sur la scène internationale. Quant aux pauvres et autres assistés, ils n’auraient plus, pour se soigner, qu’à s’en remettre à la charité des églises de toute obédience. Gageons que la majorité des 100 millions d’électeurs américains optera demain pour le programme, autrement plus rationnel et plus moderne, du président démocrate. C’est la condition nécessaire pour qu’il puisse terminer son travail de réajustement, tant social que diplomatique, d’un pays encore puissant mais qui n’est plus le centre absolu du monde. Il sera toujours temps de dresser, en 2016, son bilan définitif.
Bruno DA CAPO
17:20 Publié dans numéro 10 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : obama, duhamel, paria, wall-street
What else ?
La campagne d’Obama qu’on croyait en perte de vitesse a repris du poil de la bête. Et ce, grâce à Sandy. Merci Sandy ! Enfin, non pour la catastrophe, les morts et sinistrés du New Jersey, ça va de soi ! Ni même pour les dégâts nombreux et toutes les misères qui en découlent. Merci d’avoir remis Barack en selle ! En quelques heures, on a vu le Grand Capitaine mener de main de maître la crise provoquée par la tempête. On l’a vu compatir, écouter, parler à ses concitoyens comme il sait seul le faire. C’est bien sûr du grand art, une technique éprouvée. Mais on ne peut que saluer le professionnalisme de Barack. Voilà un gars qui sans ambages monte au créneau et prend les choses en mains ! Il y a en lui tant d’empathie pour les gens sinistrés qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’il tient là le rôle de sa vie. Clooney, l’un des soutiens du clan Barack et qui n’est pas franchement mauvais en qualité d’acteur, est enfoncé. What else ? Vas-y Barack ! Ne te laisse pas semer dans les sondages par le « représentant de commerce » Romney ! Joue-la mimique Actor’s studio ! Fais-nous ton show ! N’oublie pas que ta compassion est passée au laser par des millions de spectateurs ! J’arrête là, car dire que l’élection à la présidentielle dans un pays comme les Etats-Unis tient trop souvent du cirque médiatique est un truisme. Où se niche donc la démocratie dans cet étrange barnum qui n’existerait pas sans des tonnes d’argent ? Et qui l’emportera : les programmes des deux candidats ou les images qu’ils laisseront sur les rétines ? Je vous le donne en mille ! Il y a huit jours, Obama était encore au plus bas, talonné par Romney... Voilà qu’une tempête lui sauve mise ! Tant mieux ! Car pour moi il est clair que si j’étais américain, j’irais voter avec en tête la scène où le héros Barack enlace une mamie défaite par la tempête et qu’on le voit – en gros plan sur l’écran – réellement affecté et en état total compassionnel. Nul doute, plus j’y pense, plus je me dis qu’il sera réélu. Comme quoi une élection parfois ne tient à rien...J’en suis pourtant ravi, même si Barack l’emporte grâce à Borée et Neptune !
Yves CARCHON
14:19 Publié dans numéro 10 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : obama, sandy, clooney, new-jersey