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30/04/2018

    Effigie et simulacre

                                  

 

 

 

 

 

 De temps à autre l’actualité politique fait resurgir des pratiques que l’on croyait appartenir aux musées de justice. Des rituels qui semblent faire se télescoper les époques. Ce fut le cas, le 7 avril dernier à Nantes, quand un groupe de manifestants, hostiles aux récentes réformes gouvernementales, ont pendu à une potence un mannequin à l’effigie d’Emmanuel Macron avant de le livrer aux flammes. Sous l’Ancien Régime, on appelait ce genre de mises en scène des exécutions par contumace. En l’absence du condamné à mort, en fuite, déjà décédé  ou intouchable, on appliquait la sentence à un substitut de paille le représentant. Sans doute espérait-on ainsi des répercussions invisibles sur la personne de chair et de sang, selon la vieille idée de la  magie naturelle. Elle fut rapidement occultée par la symbolique judiciaire. En général, les proscrits poursuivaient leur existence sur des terres moins hostiles; avant de réapparaître quelques années plus tard, souvent amnistiés par les mêmes juges qui les avaient condamnés. Plus d’un personnage historique célèbre devait subir ce simulacre de châtiment : comme Martin Luther en 1521 à Rome, après le schisme provoqué par sa critique virulente de l’Eglise ; ou, bien sûr, le marquis de Sade, en 1772 à Aix en Provence, après l’affaire des poisons de Marseille.  

Aujourd’hui c’est un jeune président qui fait l’objet de cette sanction symbolique dans la France républicaine. Et on peut légitimement s’interroger sur le pourquoi d’une telle résurgence. De prime abord, elle fait penser à une parodie. Aucun acte de justice n’a évidemment été prononcé contre Emmanuel Macron, ce qui constitue donc un simulacre de simulacre. Sous le rire des manifestants, l’intention agressive n’en était pas moins sensible : c’est d’ailleurs le cas pour toutes les formes de charivari. Qu’elle se passe dans la capitale d’une région qui fut longtemps l’un des bastions du catholicisme (avant de devenir celui du socialisme) n’est pas, non plus, anodin. On sent derrière tout le poids des anciennes traditions. Car Macron est, certes, un président républicain mais un président qui a tendance, quoiqu’il s’en défende, à endosser les attributs d’un monarque. Et ses déclarations au récent conseil des évêques de France ne vont pas dans le sens – c’est le moins qu’on puisse dire - d’une laïcité pure et dure. Plus encore, c’est son intransigeance  qui est dénoncée  par toutes les corporations impactées  par ses réformes. Puisqu’il se conduit comme un roi, semblaient dire ceux qui l’ont pendu en effigie, pourquoi ne pas lui appliquer une sanction d’une autre époque que la nôtre ? C’est toute l’ironique saveur de cette affaire.

Malheureusement les réactions à chaud de la classe politique n’ont montré, pour la plupart, qu’un manque affligeant d’humour et des abîmes d’inculture. Que penser d’autre face à l’indignation de la députée macroniste Anne-Laurence Petel qui voyait dans cette pseudo exécution  un appel au meurtre ? Ou encore devant « le scandale » qu’elle constitue pour François de Rugy, l‘actuel président de l’Assemblée Nationale ? Ces gens-là ont manifestement tendance à prendre au premier degré toutes les attaques populaires dont leur champion est la cible, complètement fermés à l’inventivité narrative qu’elles produisent. Ils récréent ainsi, autour de sa personne, une sacralité qui confirme l’intuition de ces carnavalesques manifestants bretons. Et qui les renforce dans leurs convictions révolutionnaires.

 

Jacques LUCCHESI

01/12/2017

  Macron et les Restos du cœur

 

                  

 

Quand Emmanuel Macron ne fait pas de la pédagogie démocratique à l’étranger, lorsqu’il parvient à s’arracher à sa garde rapprochée féministe (qui oriente en sous-main une partie de la politique gouvernementale), il lui arrive de se pencher sur les vraies urgences de la société actuelle. Comme la misère – criante ! – de ceux et celles qui n’ont pas de quoi se loger et se nourrir décemment. Ce sont eux qui forment le gros des effectifs qui viennent, chaque hiver, taper à la porte des Restos du cœur. Voilà au moins une création 100% made in France ; une association qui marche de mieux en mieux après trente deux ans d’existence. En lançant le concept en 1985, le regretté Coluche ne croyait sûrement pas que ses Restos du cœur connaîtraient une telle prospérité. Pensez donc ! Cette année  encore, ils prévoient de distribuer entre 136 et 140 millions de repas dans les 2085 centres que compte l’association en France. C’est encore mieux que l’an dernier à la même époque.

Aussi, notre jeune et fringant président se devait d’être présent, vendredi 21 novembre, pour le lancement de leur 33eme campagne. « Vous faites vivre une très belle idée ». A-t-il déclaré avec enthousiasme à un auditoire qui ne l’avait sans doute jamais vu de si près. Et de faire quelques selfies avec les uns ou un peu d’information administrative avec les autres. L’ennui, c’est que cette « belle idée » repose essentiellement sur un réseau de 71 000 bénévoles et les dons des particuliers. C’est dire qu’elle ne coute pas cher à l’état, pourtant en charge des questions sociales. Si encore Macron parvient à obtenir, auprès des institutions bruxelloises, le renouvellement du Fond Européen d’Assistance aux Démunis – lequel ne représente que le quart des achats alimentaires des Restos du cœur -,sa visite n’aura pas été que purement protocolaire.

 Elle n’en pas moins vivement agacé Ayméric Caron qui, sur Canal +, s’est indigné de la légèreté, et même du cynisme, dont le président fait preuve, selon lui, face au problème persistant de la misère en France. Je n’ai pas, personnellement, beaucoup de sympathie pour cet habitué des plateaux télé et la prédication anti-spéciste qu’il y mène depuis quelques années. Mais je dois dire que j’ai trouvé, dans sa colère cathodique, une réelle sincérité et un sens certain de la justice. Reste que le régime végétarien, dont il est un partisan convaincu, n’est pas près d’être adopté par tous ceux qui ont moins de 500 euros par mois pour survivre.

 

Jacques LUCCHESI

20/10/2017

Premiers de cordée

                 

 

 

 

 Contrairement à ses deux derniers prédécesseurs, Emmanuel Macron est un président qui aime user de la métaphore dans ses propos. Il l’a rapidement prouvé en déclarant qu’il voulait instaurer une présidence jupitérienne – passez-moi du peu. Lors de sa conférence de presse, dimanche 15 octobre à l’Elysée, il a encore réaffirmé sa vision verticaliste du pouvoir avec une nouvelle image verbale : les premiers de cordée. Est-ce la lecture de Roger Frison-Roche qui la lui a inspirée ? Toujours est-il qu’elle est venue en réplique à une autre image conceptuelle avancée par David Pujadas au cours de leur entretien : le ruissellement.

Tout comme la destruction créatrice chère à Joseph Schumpeter, cet axiome du libéralisme bénéficie présentement d’un effet de mode médiatique, bien qu’il soit contesté par la plupart des économistes. Il suppose que la consommation des plus riches, dans une société donnée, aurait des effets positifs sur l’activité économique générale, notamment sur les classes inférieures à qui elle apporterait plus de travail et de commandes. Evidemment, cela justifie bien quelques réductions d’impôts. Reste que cette image est en soi déplaisante, trop clivante même dans une société de marché (on se souvient encore du tollé qu’avait soulevé l’expression de Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, « la France d’en bas »). Depuis des millénaires, les pauvres n’avaient droit qu’aux miettes du festin des riches ; maintenant ils pourraient ainsi lécher la mousse du champagne qui s’écoule de leurs bouteilles. Qu’y a-t-il là de préférable ? En outre, la démonstration qu’elle véhicule est aléatoire, sinon inexacte. Au-delà d’un certain seuil de consommation, les excédents et bénéfices sont capitalisés et ne vont plus alimenter l’économie réelle.

Ce n’est évidemment pas ce que souhaite notre jeune président. Tout à son optimisme programmatique, il voudrait bien que les plus riches  - pour lesquels il ne cache pas sa sympathie – participent à l’effort de redressement du pays qu’il propose. Alors, il opte pour une métaphore de l’effort (et l’alpinisme en demande beaucoup) ; une image qui flatte encore les catégories supérieures de la société mais d’une façon active et non passive, du bas vers le haut  cette fois. Il s’agit, pour les Français, de regarder vers les sommets dans une sorte d’union sacrée où les plus forts vont ouvrir la voie aux plus faibles et améliorer ainsi leur condition. Cette vision est sans doute belle et généreuse mais, en l’état actuel des choses, elle appartient au registre des illusions. Et ce ne sont pas les cadeaux fiscaux que le président peut faire aux plus riches de nos concitoyens qui vont changer leurs comportements financiers. En matière de redistribution, il serait plus sûr de continuer à prendre l’argent là où il abonde plutôt que d’espérer des réinvestissements tardifs et capricieux. 

Pour revenir sur l’entretien télévisé, point de départ de cette petite réflexion, il est à noter qu’aucun des trois journalistes convoqués pour cet exercice délicat n’a été complaisant avec Emmanuel Macron. Qu’elles viennent de Gilles Bouleau, Anne-Claire Coudray ou de David Pujadas, les questions critiquaient souvent des déclarations du chef de l’état, rompant la monotonie de l’enthousiasme présidentiel. C’est encore la meilleure preuve que nous vivons toujours dans une démocratie.

 

Jacques LUCCHESI