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04/04/2019

            Photo de famille

 

               

 

  On s’en doutait depuis longtemps mais il manquait, néanmoins, l’image qui scelle au grand jour leurs affinités profondes. C’est chose faite depuis dimanche dernier et leur rencontre amicale sur le plateau des Glières (Haute-Savoie) pour commémorer un haut fait de résistance en mars 1944. Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy posant ensemble pour les cameramen et les photographes, voilà de quoi donner du grain à moudre à tous les commentateurs de la chose publique. On sait, malgré quelques divergences, l’admiration réciproque que les deux hommes se portent. Mais cette poignée de main dit, plus qu’un long discours, le lien politique qui les unit aux delà des appartenances formelles. Car Macron est bien le continuateur du programme libéral établi par Sarkozy en 2007. En ce domaine, on peut même affirmer que l’élève est en train de dépasser le maître. Et ce ne sont pas les choix qu’il a fait, lors du mini-remaniement ministériel de lundi, qui contrediront cette évidence, puisque les trois nouveaux entrants au gouvernement (Sibeth Ndiaye, Cédric O et Amélie de Montchalin) sont des admirateurs avérés du jeune président. Tout comme Sarkozy, Macron fait peu de cas de son premier ministre en nommant directement les membres de l’équipe gouvernementale. C’est ainsi qu’on récompense les bons élèves. Et peu importe leur passé politique : ils ne sont là que pour appliquer, dans leurs secteurs respectifs, la politique du chef.   

Si François Hollande fait figure de chaînon manquant dans cette photo de famille, il ne faudrait pas croire qu’il est radicalement opposé  aux choix politiques de son successeur. Certes, il ne lui ménage pas ses critiques, ces derniers temps. Mais c’est quand même lui qui a offert à Macron son premier poste important en 2014. Lui encore, cette année-là, qui a initié le virage libéral d’un quinquennat qu’il avait pourtant placé sous les auspices de la gauche historique, ruinant du même coup les fondements du PS. On en constate aujourd’hui tous les effets.

 

Jacques Lucchesi

28/03/2019

 Bruissements (81)

 

 

 Eglise : livres, articles, films, procès : en ce début d’année 2019, l’Eglise est attaquée de tous côtés par la société civile. Mais il n’y a pas de fumée sans feu et les racines de cette crise sont profondes. « Laissez les enfants venir à moi». Disait Jésus à ses disciples. Il semble que bon nombre de prêtres et d’évêques, de par le monde, aient fait une interprétation très dévoyée de cette parole évangélique. A tel point que le pape François a brisé l’omerta pour dénoncer la pédophilie ecclésiale en des termes théologiques sans équivoque (« œuvres de Satan »). Il s’est cependant montré plus réservé vis-à-vis du cardinal Barbarin, condamné récemment à six mois de prison avec sursis pour avoir couvert les agissements scandaleux d’un prêtre de son diocèse. Le pape a refusé sa démission, d’autant que l’affaire doit être rejugée en appel. Là aussi la parole s’est libérée et nous ne sommes pas au bout de cette vague délétère de révélations scabreuses. En somme l’Eglise est rattrapée par ce qu’elle a toujours refoulé depuis deux millénaires : l’irrépressible part de la sexualité en l’être humain.

 

Macron : grand oral pour le chef de l’état, lundi 18 mars à l’Elysée, face à soixante-cinq  personnalités du monde intellectuel. Après la clôture du Grand Débat National, après maints déplacements et rencontres d’élus locaux en province, Emmanuel Macron voulait sans doute se confronter à des intellectuels de métier, c'est-à-dire des gens chargés de réfléchir librement sur les problèmes du monde. La rencontre, retransmise sur France-Culture, dura plus de six heures, car chacun des participants était tenu de poser une question au président. Long, trop long pour un auditeur lambda. Qu’attendre d’ailleurs d’une telle réunion, sinon la mise en valeur des qualités présidentielles d’écoute et d’expression (« entendez, mes chers compatriotes, comme je suis intelligent ») ? Car pour le reste, chacun ne pouvait que camper sur ses positions. Ainsi, lorsque l’historien Benjamin Stora demanda au chef de l’état d’accompagner la révolte de la jeunesse algérienne contre le président Bouteflika, Macron lui répliqua que, dans sa situation, il n’avait pas toute sa liberté, ayant le devoir de conserver de bonnes relations avec l’actuel pouvoir algérien. Tout est dit ici sur le clivage profond entre l’homme de pouvoir et l’homme d’étude. La vie politique a ses raisons que l’éthique ne peut pas accepter sans se nier.

 

Christchurch : trois jours plus tôt, en Nouvelle Zélande, un militant d’extrême-droite ouvrait le feu dans deux mosquées de Christchurch, tuant en vingt minutes  cinquante musulmans en prière. Lui aussi voulait sans doute redonner son identité chrétienne à cette ville au nom si connoté. Si ce crime effroyable a suscité bien des réactions de sympathie de par le monde, il a aussi entraîné des commentaires de satisfaction haineuse sur les réseaux sociaux. Ainsi, une élue du Rassemblement National a tweeté « œil pour œil, maintenant ils savent ce que c’est » -  commentaire qui lui a d’ailleurs valu des retombées judiciaires. Il faudrait rappeler à ces braves Français que les morts causés par le terrorisme néo-fasciste à l’autre bout de la planète ne compensent pas ceux causés par le terrorisme islamiste sur notre territoire: ils viennent seulement s’y surajouter dans cette guerre de l’ombre, au risque de relancer la spirale infernale de la vengeance n’importe où dans le monde. Non, l’occident ne mène pas une guerre contre les musulmans mais contre ceux qui ont pris l’Islam pour alibi à leur volonté de puissance personnelle. 

 

Gilets Jaunes : après les saccages commis par  les Black Blocs sur les Champs Elysées samedi 16 mars, en marge de la manifestation des Gilets Jaunes, le gouvernement se devait d’adopter un ton plus martial. Car c’est sa crédibilité qui était en jeu pour une bonne partie de l’opinion publique. Et cela, forcément, s’est traduit par un surcroît de mesures coercitives vis-à-vis des manifestants pacifiques. A Paris, ce sont bien sûr tous les axes urbains stratégiques qui leur ont été barrés. Et l’armée est entrée en lice. A Nice, le maire Christian Estrosi a purement et simplement interdit toute manifestation ; ce qui n’a pas empêché des militants d’Attac de protester et d’être violemment dégagés par la police. Une femme de 73 ans a ainsi été gravement blessée. On sait avec quelle désinvolture notre cher président a accueilli cette nouvelle. Il est vrai que le lendemain, Xi Jinping – le plus grand autocrate actuel de la planète – venait y rencontrer Emmanuel Macron en vue de juteux accords commerciaux. D’où le souci de lui offrir le tableau d’une netteté toute chinoise en lieu et place d’une ville française bruyante et protestataire. C’est ainsi que les démocraties glissent insensiblement vers les dictatures.

 

Erik PANIZZA

26/09/2018

        La marque Elysée

              

 

 

Vendre des souvenirs à l’effigie des dirigeants d’un pays : une pratique peu glorieuse mais néanmoins bien établie dans des pays comme les USA et l’Angleterre. Car c’est à la case boutique que se termine le parcours, tant pour les visiteurs de la Maison Blanche que ceux du Château de Windsor. On espérait pourtant que la France résisterait un peu plus longtemps à la commercialisation de ses symboles républicains.

 C’était sans compter avec Emmanuel Macron et sa soif d’innovations.

 Dans sa volonté de diriger la nation comme une start-up, il a donc pris l’initiative d’ouvrir une boutique à l’Elysée pour que les visiteurs de cette auguste demeure ne repartent pas les mains vides. Quand on sait la curiosité que suscite le palais présidentiel, chaque année, pour des milliers de touristes français et étrangers; quand on sait qu’ils sont prêts à patienter de longues heures devant l’entrée du Faubourg Saint-Honoré, on comprend qu’il ne pouvait y avoir de meilleur moment, pour inaugurer cette fameuse boutique, que ces récentes Journées du Patrimoine.

Qu’y trouve t’on exactement ? A peu près tout ce qu’on trouve dans ces commerces de l’inutile : des mugs en (fausse) porcelaine de Limoges, des stylos, des montres et des T-shirts aux couleurs nationales et même des dessins à colorier. 

Ce qui est nouveau, c’est que certaines de ces babioles aient pour motifs le président et son épouse. Car, jusqu’ici aucun de ses prédécesseurs à l’Elysée n’avait osé pousser aussi loin la satisfaction de soi.

A tel point que certains commentateurs n’ont pas hésité à ressortir la vieille expression de « culte de la personnalité ».

Bon. On nous dit que c’est pour une bonne cause, à savoir la restauration de cet hôtel trois fois centenaire et qui s’élèverait à quelques cent millions d’euros. Reste que malgré un week-end excellent sous l’angle des affaires, il faudra bien plus que les 12% prélevés sur les ventes – 350 000 euros, tout de même – pour y parvenir sur la durée du quinquennat sans faire appel à d’autres contributeurs.

On ne peut tout de même pas lancer un loto du patrimoine bis pour l’Elysée, Stéphane Bern ayant suffisamment à faire avec les chefs-d’œuvres en péril de la province.

Mais trêve de plaisanterie ! Cette initiative commerciale me semble poser un sérieux problème éthique. A-t’on le droit de brader ainsi les symboles de la République ? N’y a t’il donc pas de limite opposable au tout-économique qui gangrène notre société ? Ce jeune président, si imbu de prestige personnel, ne voit-il pas le mal qu’il fait, avec ce type de gadgets, à l’institution dont il est censé être le gardien ? Il faut d’ailleurs se demander dans quelle mesure cette initiative va à l’encontre du multipartisme et du libre-jeu démocratique, l’homme se substituant à la fonction qu’il occupe momentanément.

Au cours des deux dernières décennies, nous avons connu la transformation de nos principaux musées nationaux en marques, au motif sempiternel de renflouer leurs caisses un peu trop claires. Mais l’Elysée n’est pas le Louvre ; il n’est pas qu’un concentré de trophées artistiques mais, depuis cent quarante ans, le siège du pouvoir républicain. En cela, il appartient à la nation toute entière. On peut facilement comprendre que sa sacralité pèse à certains de ses locataires et que ceux-ci rêvent parfois de revenir à ses débuts libertins. Mais de là à le transformer en galerie marchande…La prostitution ne concerne pas que le commerce des corps.

 

Jacques LUCCHESI