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05/05/2017

                               Macron domine Le Pen

                 

 

 

 

 Rarement un débat télévisé opposant deux candidats à l’Elysée fut plus attendu. Il est vrai que leurs projets respectifs de société sont diamétralement opposés, même si tous les deux s’écartent des schémas normatifs portés jusqu’ici par la gauche et la droite républicaines. Certains s’étonnaient que la percée du FN  ne suscitât pas plus de réactions dans la rue. Quel contraste, en effet, avec la mobilisation citoyenne qu’avait entraînée, en 2002, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour, face à Jacques Chirac ! Du reste, il n’y avait pas eu, cette année-là, ni débat ni dialogue entre les deux derniers prétendants à la fonction suprême. Et quid de tous les indécis, pour une raison ou une autre, à ce moment crucial de notre histoire politique ? Malgré des réticences aisément compréhensibles, ce débat, mercredi soir, leur aura peut-être permis d’affiner leur jugement sur l’un et l’autre des duellistes.

Qu’a-t-on vu sitôt le top chrono ? Une Marine Le Pen hyper agressive, attaquant d’emblée son adversaire sur son image symbolique (candidat du système, soumis aux puissances de l’argent, etc…) ; autrement dit sur des généralités et pas sur son programme. Le ton, d’abord ironique (en quoi elle rappelait le style de son père) est vite monté, jusqu’à l’invective et l’accusation. Face à elle, tel un boxeur en repli, Emmanuel Macron restait stoïque et déterminé, répliquant chaque fois qu’elle lui en laissait la possibilité. On s’attendait, bien sûr, à quelques réparties cinglantes mais pas à un tel pugilat verbal, celui-ci  mettant rapidement sur la touche les deux journalistes (Nathalie Saint-Criq et Christophe Jakubyszyn) chargés de l’arbitrer. Cependant, à mesure que le temps passait, on s’apercevait que le jeune leader d’En Marche prenait l’ascendant sur la présidente du FN. Il connaissait mieux qu’elle ses dossiers et n’avait aucune difficulté à démonter ses choix économiques (notamment sa volonté de revenir à une monnaie nationale), éclairant le marasme qui pourrait en résulter pour le pouvoir d’achat des Français. Quant à la sécurité, sujet phare de Marine Le Pen, il avait aussi un panel de  propositions, sans doute moins discriminatoires  mais propres à rassurer les électeurs.

Peu à peu, son adversaire perdait du terrain, s’enfermait dans ses contradictions. Son image de mère protectrice de la nation se craquelait, laissant apparaître son penchant au cynisme et à la brutalité. Elle multipliait les digressions, éludant les questions pourtant pertinentes sur son programme, n’hésitant pas à user de basses insinuations financières, partant dans des rires glaçants pour cacher sa faiblesse dialectique et ainsi tenter de renverser la vapeur. Et chacun pouvait mesurer le caractère profondément clivant de sa candidature, tant pour les Français entre eux que pour la France vis-à-vis du reste de l’Europe. Car la France qu’elle prétend aimer est figée sur son passé, fut-il prestigieux, volontairement isolée des réalités du monde moderne. A l’inverse, la vision de la France portée par Emmanuel Macron est dynamique et, sans renier pour autant son histoire, inscrite de plain-pied dans le concert des nations libres. Il est manifestement plus à l’aise qu’elle sur les questions internationales. Certes, on peut le critiquer sur son programme social un peu trop libéral, tout comme, d’ailleurs, sur les volets de la culture et de l’environnement (il est symptomatique qu’aucun des deux n’en ait parlé au cours de ce débat). Mais, sous un angle plus personnel, il a largement démontré qu’il avait les qualités intellectuelles et le caractère nécessaires pour assumer la charge à laquelle il prétend. A l’issue de cette ultime confrontation, l’avantage est certainement dans son camp. Reste maintenant à savoir si les Français actuels ont suffisamment de bon sens pour se détourner des fariboles passéistes, aussi flatteuses soient-elles.  

 

Jacques LUCCHESI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

28/04/2017

    Un premier tour très attendu

           

 

  Ce ne fut pas un raz-de-marée vers les urnes mais quand même une très honnête participation, avec 77% de votants. Dimanche soir, vers 20 heures, la tension était à son comble devant les écrans de télé. Allions-nous avoir le scénario catastrophe d’un deuxième tour Fillon-Le Pen ? Eh bien non ! Le pire fut évité puisque ce fut le portrait d’Emmanuel Macron qui s’afficha à côté de celui de la présidente du FN. Il arrivait même en tête des suffrages exprimés avec 23,5%, contre 21,5% à sa concurrente immédiate (ces chiffres devaient, par la suite, légèrement évoluer). Derrière eux, on découvrait que Fillon et Mélenchon étaient ironiquement à égalité, avec 19,5% - même si, plus tard, Fillon devait atteindre la troisième marche. Bien formatés par les médias, les électeurs n’ont pas fait mentir les sondages qui, depuis plusieurs semaines, plaçaient en tête ces quatre-là. Néanmoins, la déception était sensible, tant dans le camp des Républicains, avec un candidat qui assumait pleinement sa défaite, que dans les rangs du Front de Gauche, puisque leur leader, contrairement à 2012, préférait ne donner aucune consigne de vote au second tour. Quant au PS, avec les petits 6,2% réalisés par Benoît Hamon, on se préparait d’ores et déjà à entrer dans une zone de turbulences. Bref : la révolution dans le paysage politique français était en marche…

Lors de son allocution devant les militants réunis dans son QG de campagne, porte de Versailles, Emmanuel Macron est apparu grave et confiant à la fois, déjà moulé dans son rôle présidentiel. Il est vrai qu’il bénéficie d’une dynamique exceptionnelle depuis un an, engrangeant des soutiens et des appels en sa faveur de tous côtés, ou presque, pour le second tour. Même si les sondages le donnent vainqueur à 62%, il aurait cependant tort de croire que cette élection est gagnée d’avance. Car il est loin de faire l’unanimité dans l’électorat populaire et l’alliance républicaine contre le Front National n’a plus la détermination qu’elle avait en 2002. Il va devoir plus que jamais aller à la rencontre des Français, face à une Marine Le Pen qui laboure depuis plus longtemps que lui le pré carré du patriotisme. Dans ce pays aux divisions de plus en plus accentuées, s’achemine t’on, après le Brexit anglais et l’élection de Donald Trump aux USA, vers un troisième grand moment populiste ? On ne peut pas complètement écarter cette inquiétante possibilité. Du reste, même si elle échoue devant les marches de l’Elysée au soir du 7 mai prochain, Marine Le Pen aura quand même remporté son pari : rendre son parti acceptable pour des millions de Français moyens.  

 

                           Jacques LUCCHESI

24/02/2017

           Un crime contre l’humanité ?  

 

        

 

Il y a des allégations historiques que tout homme politique, même jeune et peu expérimenté, devrait soupeser davantage avant de les exprimer publiquement. C’est sans doute le cas pour Emmanuel Macron déclarant à Alger, la semaine dernière, que « La colonisation était un crime contre l’humanité ». Certes, on mesure bien la part d’opportunisme qui entre dans cette affirmation. Les plaies engendrées par le conflit franco-algérien, voici plus d’un demi-siècle, ne se sont jamais complètement refermées et il ne s’agit pas de « caresser la bête à rebrousse-poil », eu égard au partenariat économique des deux pays. Pour autant, on devrait se garder de faire des associations un peu trop cavalières (ce qui lui a été vertement reproché). Car si la colonisation, que la France, entre pragmatisme et idéalisme, a menée tambour battant en Afrique et au Maghreb au cours du XIXeme siècle, ne s’est pas faite sans violences ni exactions, on ne peut guère la comparer aux génocides qui tombent sous le coup de cette accusation, ni même à l’esclavage d’ailleurs aboli en 1848, sous la deuxième République. On me rétorquera que la notion de crime contre l’humanité s’est élargie avec le temps. Dans ce cas, jusqu’où faudra-t’il remonter dans l’histoire de l’humanité pour exiger des comptes, tellement les guerres de conquêtes l’ont façonnée jusqu’à nos jours ?

Aussi condamnables que ces entreprises d’assujettissement d’un peuple par un autre nous paraissent aujourd’hui, elles ont été une constante tout au long des siècles. Et un pays comme la France, longtemps puissance dominante à l’échelle du monde, n’a pas échappé, au cours de son histoire, à la colonisation d’une nation étrangère. Car peut-on appeler autrement la présence anglaise en Aquitaine et en Normandie durant le dernier moyen-âge ou l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne au XIX et au XXeme  siècles ? Et ne parlons même pas de l’occupation nazie pendant quatre ans. A ce stade précis de notre histoire, il n’est pas judicieux de toujours retourner le couteau dans la plaie ni de favoriser la concurrence victimaire entre communautés -  comme s’il y avait au bout une palme de la souffrance universelle à décrocher. A défaut d’une repentance généralisée, à défaut de pouvoir changer le passé, il faut au moins en prendre acte en évitant, surtout, de lui inféoder notre présent commun. Lequel a des responsabilités, qui n’ont peut-être jamais été aussi lourdes, vis-à-vis de notre futur.    

 

        Jacques LUCCHESI