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28/03/2019

 Bruissements (81)

 

 

 Eglise : livres, articles, films, procès : en ce début d’année 2019, l’Eglise est attaquée de tous côtés par la société civile. Mais il n’y a pas de fumée sans feu et les racines de cette crise sont profondes. « Laissez les enfants venir à moi». Disait Jésus à ses disciples. Il semble que bon nombre de prêtres et d’évêques, de par le monde, aient fait une interprétation très dévoyée de cette parole évangélique. A tel point que le pape François a brisé l’omerta pour dénoncer la pédophilie ecclésiale en des termes théologiques sans équivoque (« œuvres de Satan »). Il s’est cependant montré plus réservé vis-à-vis du cardinal Barbarin, condamné récemment à six mois de prison avec sursis pour avoir couvert les agissements scandaleux d’un prêtre de son diocèse. Le pape a refusé sa démission, d’autant que l’affaire doit être rejugée en appel. Là aussi la parole s’est libérée et nous ne sommes pas au bout de cette vague délétère de révélations scabreuses. En somme l’Eglise est rattrapée par ce qu’elle a toujours refoulé depuis deux millénaires : l’irrépressible part de la sexualité en l’être humain.

 

Macron : grand oral pour le chef de l’état, lundi 18 mars à l’Elysée, face à soixante-cinq  personnalités du monde intellectuel. Après la clôture du Grand Débat National, après maints déplacements et rencontres d’élus locaux en province, Emmanuel Macron voulait sans doute se confronter à des intellectuels de métier, c'est-à-dire des gens chargés de réfléchir librement sur les problèmes du monde. La rencontre, retransmise sur France-Culture, dura plus de six heures, car chacun des participants était tenu de poser une question au président. Long, trop long pour un auditeur lambda. Qu’attendre d’ailleurs d’une telle réunion, sinon la mise en valeur des qualités présidentielles d’écoute et d’expression (« entendez, mes chers compatriotes, comme je suis intelligent ») ? Car pour le reste, chacun ne pouvait que camper sur ses positions. Ainsi, lorsque l’historien Benjamin Stora demanda au chef de l’état d’accompagner la révolte de la jeunesse algérienne contre le président Bouteflika, Macron lui répliqua que, dans sa situation, il n’avait pas toute sa liberté, ayant le devoir de conserver de bonnes relations avec l’actuel pouvoir algérien. Tout est dit ici sur le clivage profond entre l’homme de pouvoir et l’homme d’étude. La vie politique a ses raisons que l’éthique ne peut pas accepter sans se nier.

 

Christchurch : trois jours plus tôt, en Nouvelle Zélande, un militant d’extrême-droite ouvrait le feu dans deux mosquées de Christchurch, tuant en vingt minutes  cinquante musulmans en prière. Lui aussi voulait sans doute redonner son identité chrétienne à cette ville au nom si connoté. Si ce crime effroyable a suscité bien des réactions de sympathie de par le monde, il a aussi entraîné des commentaires de satisfaction haineuse sur les réseaux sociaux. Ainsi, une élue du Rassemblement National a tweeté « œil pour œil, maintenant ils savent ce que c’est » -  commentaire qui lui a d’ailleurs valu des retombées judiciaires. Il faudrait rappeler à ces braves Français que les morts causés par le terrorisme néo-fasciste à l’autre bout de la planète ne compensent pas ceux causés par le terrorisme islamiste sur notre territoire: ils viennent seulement s’y surajouter dans cette guerre de l’ombre, au risque de relancer la spirale infernale de la vengeance n’importe où dans le monde. Non, l’occident ne mène pas une guerre contre les musulmans mais contre ceux qui ont pris l’Islam pour alibi à leur volonté de puissance personnelle. 

 

Gilets Jaunes : après les saccages commis par  les Black Blocs sur les Champs Elysées samedi 16 mars, en marge de la manifestation des Gilets Jaunes, le gouvernement se devait d’adopter un ton plus martial. Car c’est sa crédibilité qui était en jeu pour une bonne partie de l’opinion publique. Et cela, forcément, s’est traduit par un surcroît de mesures coercitives vis-à-vis des manifestants pacifiques. A Paris, ce sont bien sûr tous les axes urbains stratégiques qui leur ont été barrés. Et l’armée est entrée en lice. A Nice, le maire Christian Estrosi a purement et simplement interdit toute manifestation ; ce qui n’a pas empêché des militants d’Attac de protester et d’être violemment dégagés par la police. Une femme de 73 ans a ainsi été gravement blessée. On sait avec quelle désinvolture notre cher président a accueilli cette nouvelle. Il est vrai que le lendemain, Xi Jinping – le plus grand autocrate actuel de la planète – venait y rencontrer Emmanuel Macron en vue de juteux accords commerciaux. D’où le souci de lui offrir le tableau d’une netteté toute chinoise en lieu et place d’une ville française bruyante et protestataire. C’est ainsi que les démocraties glissent insensiblement vers les dictatures.

 

Erik PANIZZA

05/07/2018

         Cet obscur désir de sacré…

    

 

 

 

 Depuis décembre dernier et les obsèques pharaoniques de Johnny Halliday, on pouvait penser que l’église de la Madeleine retrouverait durablement le calme qui convient à la prière et aux messes – fussent-elles organisées pour le défunt chanteur. Mais ses fans, avec l’accord du père Bruno Horaist, prêtre de cette paroisse parisienne, en ont décidé autrement.

 C’est ainsi que le 15 juin dernier, jour anniversaire du célèbre rocker, ils ont littéralement envahi l’église pour le fêter à leur manière. Ils n’étaient rien moins que mille deux cents  à se masser dans la nef – et c’est sans parler de tous ceux qui, n’ayant pu entrer, suivaient l’évènement à l’extérieur. Mille deux cents hommes et femmes, venus de toute la France, à avoir versé une obole de cinq euros pour être là  et participer à cette hallucinante cérémonie de trois heures trente, entre karaoké et effusions sentimentales. Nul doute que pour eux, Johnny était devenu, ce jour-là, un nouveau Jésus. Son tour de force aura été de supplanter le Christ dans sa propre maison.

Cet hommage délirant, six mois après la disparition du chanteur, n’est pas sans soulever quelques questions, que l’on soit laïque ou chrétien. Certes, les stars du rock ont, de leur vivant ou après leur mort, suscité des formes outrancières d’affectivité autour d’elles et de leurs « reliques: il suffit d’aller voir la tombe de Jim Morrison au Père Lachaise pour s’en faire une idée. Mais avec Johnny, on est en train, ni plus ni moins, d’assister à la naissance d’un nouveau culte, ce qui redonne tous son sens à la vieille notion d’idolâtrie. Celui qui fut, en son temps, « l’idole des jeunes » est en passe de devenir une nouvelle divinité pour une (petite) partie de la population française. Cela doit-il nous inquiéter ? Après tout, nous vivons dans une république qui assure la liberté des cultes,  de tous les cultes ; dans ce cas, pourquoi un homme nommé Johnny ne pourrait-il pas avoir le sien ? Oui, mais la décence commune voudrait que ce soit au moins dans un autre lieu qu’une église chrétienne, espace déjà consacré à une religion qui a largement façonné notre histoire.

Je suggère à ses fans de louer pour une journée Bercy ou une autre salle de spectacle s’ils veulent, l’an prochain, continuer à fêter ses anniversaires à titre posthume. Car on a tout lieu de croire que ces poussées de « Johnnymania » vont se répéter pendant quelques années. Quant au prêtre qui a autorisé une telle manifestation, qui a même fixé un prix d’entrée pour y participer, on peut légitimement se demander s’il est encore digne de sa mission évangélique. En tous les cas, il ferait bien de relire la parabole des marchands du temple à l’aune de cette récente cérémonie et des nombreux produits dérivés qui l’accompagnaient. Le plus étonnant est qu’aucune voix, dans la hiérarchie ecclésiale ou les associations catholiques - pourtant si promptes à s’enflammer quand des artistes, par le passé, se montraient un peu trop hardis avec le dogme -, ne se soit élevée contre cette religiosité dévoyée.

Au-delà de la controverse, l’affaire Johnny  révèle cet obscur désir de sacré qui habite toujours les hommes et les femmes modernes. Loin de le rejeter sans examen dans les oubliettes de l’irrationnel, il faut plutôt l’envisager comme l’une des dimensions fondamentales de l’esprit humain. Même s’il est, en occident, de plus en plus enclin à délaisser les vieux moules de la croyance pour aller librement se fixer sur d’autres êtres naturels, d’autres modèles médiatiques fortement pourvoyeurs d’émotions.

 

Jacques LUCCHESI    

                 

22/02/2013

D’une retraite papale

 

                   

 

 

 

 Dans « Habemus Papam », le dernier film de Nanni Moretti sorti en 2011 sur nos écrans, un cardinal  (joué par Michel Piccoli) refusait la charge de pape après avoir été élu par le conclave romain. La fiction a-t’elle pollinisé la réalité avec l’annonce déroutante de sa renonciation que Benoît XVI a faite, lundi 11 février ? Pas exactement car ici, c’est un pape actif qui, après huit années d’exercice, demande simplement une retraite bien méritée. A presque 86 ans, il juge simplement ses forces insuffisantes pour assumer pleinement son sacerdoce, ne voulant pas donner au monde le spectacle de sa dégradation, comme l’avait fait – courageusement – Jean-Paul II. Sous l’angle strictement humain, on peut comprendre la fatigue qu’impose une telle fonction, fut-elle très protégée. Car si le Vatican, avec ses 44 hectares, est le plus petit état du monde, son influence s’étend sur toute la planète, vu qu’on y dénombre 1, 2 milliard de catholiques déclarés. Guide spirituel, le pape a toutes les obligations d’un chef d’état,  commencer par les voyages diplomatiques. Si on ne sait pas de quel continent sera issu le prochain pape, le 28 février prochain, on se doute néanmoins que ce sera un homme relativement jeune (déjà des noms circulent). Car l’Eglise a quand même été secouée par cette demande de retraite papale et ne souhaite sans doute pas que ça devienne une règle, à l’avenir.

Car si la renonciation de Benoît est légitime au regard du Droit Canon, elle n’en pose pas moins des problèmes à tous ceux qui voient dans le pape le successeur de Saint-Pierre, par là le médiateur entre la terre et le ciel. Par sa demande de retraite, Benoît XVI – qui redeviendra bientôt Joseph Ratzinger – a fait singulièrement pencher la balance du côté de la terre. Il dit – et qui pourrait humainement l’en blâmer ? – que l’habit blanc du Souverain Pontife est devenu trop grand pour lui. Une sortie de scène finalement bien peu conventionnelle pour ce théologien réputé traditionnaliste. Cela restera sans doute son grand et audacieux paradoxe.

 

 

                               Bruno DA CAPO