23/01/2015
Bruissements (45)
Kerry : Malgré la présence annoncée d’Eric Holder (secrétaire d’état à la justice), le 11 janvier dernier à Paris, aucun représentant des Etats-Unis ne figurait aux côtés des nombreux chefs d’état lors de la grande marche républicaine. Un comble pour le pays le plus avancé dans la lutte contre le terrorisme ! C’est sans doute pour réparer cette bévue que Barack Obama (qui a suivi l’évènement à la télévision) a dépêché John Kerry, son infatigable secrétaire d’état aux affaires étrangères, dans notre capitale quelques jours plus tard. Après une accolade courtoise au locataire de l’Elysée, il a bénéficié d’une visite privée sur les lieux où se sont déroulés les attentats de la semaine du 7 janvier. Quand la diplomatie ressemble à du tourisme mémoriel.
Dieudonné : « Je me sens Charlie Coulibaly ». La dernière provocation de Dieudonné sur Facebook – sorte de raccourci entre sa vocation d’humoriste et son antisémitisme obsédant – lui a valu aussitôt les foudres de la justice. Arrêté au petit matin et placé en garde à vue le 12 janvier dernier, il devrait être jugé le mois prochain pour délit d’apologie du terrorisme. La peine qu’il encourt est lourde, très lourde : 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende. De quoi briser définitivement sa carrière. Néanmoins, les rejets au mot d’ordre « Je suis Charlie » se multiplient un peu partout en France. Depuis une semaine, plus de 150 personnes ont déjà été interpellées et jugées en comparution immédiate. Où l’on voit que derrière l’argument religieux, c’est d’abord une révolte contre les élites qui anime les candidats au terrorisme.
Valls : Au cours de son discours à la presse, mardi dernier, Manuel Valls n’a pas hésité à parler de « ghettoïsation » et d’ « apartheid ethnique » pour caractériser la culture antirépublicaine des cités. Il a même envisagé de remettre au gout du jour la peine d’indignité nationale qui frappa les collaborateurs avérés au lendemain de l’Occupation. Certes, ces mots sont maladroits et approximatifs, mais ils traduisent bien la libération de la parole politique depuis l’électrochoc du 7 janvier. Quelque soit le degré où l’on se situe à gauche, on ne peut plus pécher par angélisme désormais et tenir pour des victimes de la société ceux qui s’insurgent ouvertement contre elle. Un durcissement nécessaire pour reconquérir les territoires perdus de la république.
Enchères : depuis cet attentat qui a décimé ses meilleures plumes, Charlie Hebdo est devenu le journal le plus populaire de France. Lui qui tirait à 50 000 exemplaires a vu son dernier numéro atteindre les 5 millions d’exemplaires, tous vendus dans les points presse dès 6 heures du matin. Et sur les sites de ventes en ligne (EBay, Le boncoin.fr), sa cote atteint des records faramineux. Tout comme les anciens numéros qui se négocient à plusieurs milliers d’euros. Face à cette fièvre commerciale sans précédent, des pétitions commencent à circuler pour dénoncer l’exploitation éhontée de l’horreur et de la mort. Un peu de morale, voyons.
Boko Haram : un peu partout dans le monde musulman, les cris de haine contre la France et Charlie Hebdo ont succédé à la vague compassionnelle qui a suivi les attentats. Au Pakistan, en Algérie ou en Tchétchénie, on a mis dans les mêmes brasiers notre drapeau tricolore et la couverture du dernier numéro de Charlie jugée, une fois de plus, attentatoire à Mahomet. C’est peu dire pourtant qu’elle n’était guère agressive - du moins au regard d’un Français laïque. Là aussi, c’est autre chose qui s’exprime sous le couvert de la religion ; quelque chose qui évoque la lutte des ex-pays colonisés contre l’impérialisme occidental des années 60. Profitant de tout ce tumulte, les djihadistes de Boko Haram ont repris leurs attaques au Nigéria, rasant des villages entiers, détruisant des églises, pratiquant l’enlèvement de masse ou utilisant des enfants comme des bombes humaines. Plus de 2000 morts leur sont déjà imputables. A ce stade-là, on peut parler de crime contre l’humanité. Du travail en perspective pour le Tribunal Pénal International de La Haye.
Blogueur : 1000 coups de fouet et 10 ans de prison : c’est ce qu’a écopé, en novembre dernier, le blogueur saoudien Raïf Badawi pour avoir osé critiquer l’Islam et avoir demandé la libération d’opposants au régime. La peine a pris effet le 9 janvier, avec 50 premiers coups de fouet. Elle devait s’appliquer à nouveau dès la semaine suivante, mais devant la lente cicatrisation des plaies, elle a été reportée à une date ultérieure. C’est quand même beau, l’aménité des juges musulmans. Rappelons que l’Arabie Saoudite est l’alliée de la France dans la lutte contre Daech. Et qu’elle a salué la grande marche républicaine du dimanche 11 janvier.
Al Qaïda : Depuis quelques temps, Al Qaïda était devenue relativement discrète. L’organisation terroriste créée par Oussama Ben Laden semblait reléguée au second plan par la percée de Daech en Irak et en Syrie. Mais depuis l’attentat des frères Kouachi contre Charlie Hebdo, elle a retrouvé toute sa superbe. Y aurait-il une concurrence entre les deux organisations islamistes ? Pas vraiment. On peut même dire qu’elles sont complémentaires. Al Qaïda forme et exporte ses terroristes vers l’Europe et les USA ; tandis que Daech les fait venir sur son théâtre d’opérations pour tenter d’établir sa vision très paradoxale du califat. Mais l’horreur est humaine, n’est-ce pas ?
Erik PANIZZA
14:11 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kerry, blogueur, enchères, boko haram
20/01/2015
Les tables de la république laïque
Cette marche silencieuse du dimanche 11 Janvier 2015 marquera les mémoires. Sursaut républicain d’un peuple qu’on nous disait défait, soumis, n’ayant plus foi en lui. Des profondeurs du génie national a jailli le franc refus de la barbarie islamiste. Après l’effroi, garder notre sang-froid doit être le mot d’ordre. Après le temps de l’émotion, ô combien légitime, voici venu celui de l’analyse. Ainsi, certains déjà posent les questions qui grattent : était-on assez protégé ? Et où étaient les « failles » dont a parlé Manuel Valls ? Comment a-t-on laissé passer entre les mailles du filet de dangereux individus déjà connus des différents services de surveillance du territoire ? Ne sachant si les individus en question avaient déjà commis d'autres assassinats ! D’autres remarques nous interpellent. On sait que tout le monde en France n’était pas Charlie, que des attaques de mosquées, de synagogues ont ponctué les jours qui ont suivi le drame national. On sait aussi que dans les réseaux dits sociaux ont émergé des propos scélérats et racistes, quand ils n’étaient pas pro-terroristes. Autre remarque : même si l’on doit rester uni et éviter tout amalgame, on doit bien reconnaître que de petits Français éduqués et instruits par notre école républicaine sont devenus des terroristes. Que dire de cette institution censée former des citoyens libres et égaux ? Il semble bien qu’elle n’ait pas fait le job, comme nous tous d’ailleurs, devrait-on aussitôt ajouter. Aujourd’hui sonnent les trompettes de la sécurité. Il n’y a certes pas de liberté sans la sécurité, mais cette même liberté ne peut survivre sans la laïcité. Si l’on s’y tient, chacun pourra vivre librement tout en respectant l’autre. Pas besoin de citer Voltaire, encore qu’il a tout lieu d’en éclairer encore plus d’un ! Non : revenons aux tables de la république laïque. Enseignons-les pour les appliquer fermement de partout sur le sol français.
Yves CARCHON
21:34 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : failles, valls, charlie, sécurité
16/01/2015
Les cargos de la honte
L’Europe ne peut plus endiguer l’arrivée de milliers de migrants sur ses côtes. Aujourd’hui, l’Italie, demain la France. Nous y sommes : c’est un fait. Les trafiquants d’êtres humains ont semble-t-il trouvé une imparable technique pour imposer leur « cargaison » : laisser dériver leurs cargos sur nos côtes, au risque de noyer les malheureux qui leur ont fait confiance. Ainsi, il y a une semaine, deux cargos à la dérive chargés de migrants syriens et turcs ont été interceptés par la marine italienne : un premier cargo, le Blue Sky, transportant près de 800 migrants livrés aux caprices de la mer, puis un deuxième dont les 450 migrants ont été secourus au large de la Calabre. L’Italie — on l’a vu déjà pour Lampedusa — est confrontée à un afflux croissant de clandestins qui cherchent à gagner l’Europe au péril de leur vie. La moitié de ces migrants sont des Syriens ou des Erythréens. On peut imaginer dans les mois à venir des milliers d’hommes et de femmes, fuyant la Syrie en guerre, qui s’échoueront bientôt. L’Europe a le devoir d’aider la péninsule italienne. Le fait-elle ou du moins est-elle à la hauteur de répondre à cette urgence ? Il est vrai qu’au-delà des protestations humanistes, on doit admettre qu’un tel trafic est un commerce juteux : chaque migrant paie entre 1000 et 2000 dollars sa place sur un cargo, ce qui signifie que les passeurs encaissent pour un voyage plus d’un million de dollars ! L’Europe doit-elle revoir contrôles et règles avec les armateurs qui louent ou vendent ces cargos ? Une chose est sûre : tant que la Syrie et bien d’autres pays seront en guerre, rien n’empêchera hommes et femmes de survivre et de s’aventurer sur des mers dangereuses, y compris avec leurs enfants. En attendant, ces chargements d’humains nous font penser à d’autres déportations qu’on a pu connaître dans l’Histoire, que ce soit la traite négrière ou les déportations de Juifs : ce sont les cargos de la honte.
Yves CARCHON
16:09 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lampedusa, syriens, cargos, migrants