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05/07/2018

         Cet obscur désir de sacré…

    

 

 

 

 Depuis décembre dernier et les obsèques pharaoniques de Johnny Halliday, on pouvait penser que l’église de la Madeleine retrouverait durablement le calme qui convient à la prière et aux messes – fussent-elles organisées pour le défunt chanteur. Mais ses fans, avec l’accord du père Bruno Horaist, prêtre de cette paroisse parisienne, en ont décidé autrement.

 C’est ainsi que le 15 juin dernier, jour anniversaire du célèbre rocker, ils ont littéralement envahi l’église pour le fêter à leur manière. Ils n’étaient rien moins que mille deux cents  à se masser dans la nef – et c’est sans parler de tous ceux qui, n’ayant pu entrer, suivaient l’évènement à l’extérieur. Mille deux cents hommes et femmes, venus de toute la France, à avoir versé une obole de cinq euros pour être là  et participer à cette hallucinante cérémonie de trois heures trente, entre karaoké et effusions sentimentales. Nul doute que pour eux, Johnny était devenu, ce jour-là, un nouveau Jésus. Son tour de force aura été de supplanter le Christ dans sa propre maison.

Cet hommage délirant, six mois après la disparition du chanteur, n’est pas sans soulever quelques questions, que l’on soit laïque ou chrétien. Certes, les stars du rock ont, de leur vivant ou après leur mort, suscité des formes outrancières d’affectivité autour d’elles et de leurs « reliques: il suffit d’aller voir la tombe de Jim Morrison au Père Lachaise pour s’en faire une idée. Mais avec Johnny, on est en train, ni plus ni moins, d’assister à la naissance d’un nouveau culte, ce qui redonne tous son sens à la vieille notion d’idolâtrie. Celui qui fut, en son temps, « l’idole des jeunes » est en passe de devenir une nouvelle divinité pour une (petite) partie de la population française. Cela doit-il nous inquiéter ? Après tout, nous vivons dans une république qui assure la liberté des cultes,  de tous les cultes ; dans ce cas, pourquoi un homme nommé Johnny ne pourrait-il pas avoir le sien ? Oui, mais la décence commune voudrait que ce soit au moins dans un autre lieu qu’une église chrétienne, espace déjà consacré à une religion qui a largement façonné notre histoire.

Je suggère à ses fans de louer pour une journée Bercy ou une autre salle de spectacle s’ils veulent, l’an prochain, continuer à fêter ses anniversaires à titre posthume. Car on a tout lieu de croire que ces poussées de « Johnnymania » vont se répéter pendant quelques années. Quant au prêtre qui a autorisé une telle manifestation, qui a même fixé un prix d’entrée pour y participer, on peut légitimement se demander s’il est encore digne de sa mission évangélique. En tous les cas, il ferait bien de relire la parabole des marchands du temple à l’aune de cette récente cérémonie et des nombreux produits dérivés qui l’accompagnaient. Le plus étonnant est qu’aucune voix, dans la hiérarchie ecclésiale ou les associations catholiques - pourtant si promptes à s’enflammer quand des artistes, par le passé, se montraient un peu trop hardis avec le dogme -, ne se soit élevée contre cette religiosité dévoyée.

Au-delà de la controverse, l’affaire Johnny  révèle cet obscur désir de sacré qui habite toujours les hommes et les femmes modernes. Loin de le rejeter sans examen dans les oubliettes de l’irrationnel, il faut plutôt l’envisager comme l’une des dimensions fondamentales de l’esprit humain. Même s’il est, en occident, de plus en plus enclin à délaisser les vieux moules de la croyance pour aller librement se fixer sur d’autres êtres naturels, d’autres modèles médiatiques fortement pourvoyeurs d’émotions.

 

Jacques LUCCHESI    

                 

11/05/2018

La dictature de la minorité



 

A l’occasion du premier anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron (ah, ce goût pour les commémorations stupides !), on entend se développer en boucle un refrain selon lequel le Président respecte le programme pour lequel il a été élu. 

Il n’est pas inutile de rappeler que, si l’actuel titulaire de l’Elysée a bien été constitutionnellement élu, ce n’est pas son programme que les citoyens ont avalisé. Au premier tour, qui caractérise justement le soutien à un programme, Emmanuel Macron a obtenu à peine plus de 18% des inscrits. Le deuxième tour exprimait surtout le refus du Front national, non un appui à un projet et, même dans ce contexte, l’heureux élu n’a pas atteint 44% des inscrits. Prétendre qu’un tel résultat engageait un programme n’est qu’une triste plaisanterie.

Il revient à l’esprit, à l’occasion de ces déclarations, une thèse très à la mode dans les milieux philosophico politiques depuis des décennies. Tocqueville aidant, on nous met en garde quant à une présumée « dictature de la majorité ». Certes, la nécessité de contrepouvoirs ne fait aucun doute, et notre Constitution en manque cruellement, mais l’idée d’une « dictature de la majorité » est plus que douteuse. Imagine-t-on qu’une dictature de la minorité soit préférable ? Et n’est-ce pas le danger qui nous guette ? Car il n’est pas acceptable qu’un pouvoir aussi absolu que celui du Président de la République procède d’une légitimité électorale aussi faible. 

La question des institutions est depuis longtemps au cœur de la crise politique et sociale. Elle devient encore plus dramatique lorsqu’un pouvoir aussi faible veut imposer des mesures fort minoritaires, renforcer le pouvoir présidentiel, aussi bien sur le territoire national en écrasant les collectivités locales que dans une vision européenne bien éloignée de la volonté du peuple. 

Cette situation engendre des tentatives tout aussi minoritaires, certaines prônant la violence, d’autres contestant les principes mêmes de la souveraineté populaire, du citoyen et de son droit au vote, attaquant l’essence même du suffrage universel. Rien de malheureusement plus logique, ces tentatives condamnables trouvant naissance dans la forme de dictature engendrée par le système.

Une telle situation nous mène à des affrontements graves et des phénomènes de violence de plus en plus manifestes. La solution se trouve dans le retour aux principes fondamentaux de la démocratie, à partir des citoyens, dans les communes comme dans les quartiers. Ce travail permettra la redéfinition d’un contrat social, fondement nécessaire à l’équilibre national comme à la réaffirmation de saines relations internationales. Tel est le sens du processus menant à l’élection d’une Constituante en France qui, loin des solutions clefs en mains de tous les pouvoirs autoproclamés, est la seule solution pacifique, démocratique et rassembleuse aux défis du moment que nous traversons.

 

André Bellon