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16/10/2015

Bruissements (53)

     

 

 

Air-France : ces images ont fait le tour du monde : deux directeurs d’Air-France assaillis par des grévistes et des syndicalistes, contraints à escalader des grilles de sécurité en abandonnant leur chemise.  La quasi-totalité de la classe politique française – les socialistes en tête – a parlé de violences inacceptables. Mais personne, ou presque, parmi eux n’a évoqué la violence psychologique qu’exercent, à longueur de plans sociaux, les DRH sur les employés. A Air-France, ce sont 2900 emplois qui sont menacés d’ici quelques années. 2900 chômeurs potentiels dont la seule faute est de trop coûter à une entreprise qui fait quand même des bénéfices. Voilà une violence moins spectaculaire mais autrement plus pernicieuse pour notre société. Dans cette affaire, le comble aura été sans doute, une semaine plus tard, l’arrestation au petit matin de quatre des employés exaspérés (depuis mis à pied par leur employeur). Une façon de dire que la marge est désormais très mince entre la protestation sociale et la délinquance. 

 

Morano : une nouvelle fois, la langue de Nadine Morano a trahi sa pensée. En déclarant que « La France est un pays de race blanche », elle s’est attiré les foudres de tous ceux qui, pour une raison ou un autre, adhèrent au politiquement correct. Un pays de race blanche, la France ? Sans doute à l’origine. Mais à présent, après la révolution française, la priorité du droit du sol sur le droit du sang, le post-colonialisme et l’accélération du phénomène migratoire, elle pourrait bien avoir pris un peu de couleur. Dans ces conditions, il est difficile de se cramponner à une idée nationale excluant tout métissage. Les instances de son parti – les Républicains – ont donc décidé de l’exclure. Pas de régionales pour elle en décembre prochain. D’où la colère de la blonde lorraine contre celui qui fut son mentor. Au fait, n’était-ce pas Nicolas Sarkozy qui défendait, en 2007, l’idée de l’Europe, fer de lance de la chrétienté. Finalement, c’est blanc bonnet et bonnet blanc.

 

Spots : un père éploré qui parle au passé de sa fille partie faire le djihad en Syrie ; une mère brutalement confrontée à la mort de son fils djihadiste par un émissaire islamiste. Ce sont deux approches, parmi d’autres, des spots gouvernementaux anti-djihad que l’on peut voir actuellement à la télé. Ils s’inscrivent en négatif de la propagande faite par Daesh et ses sbires sur Internet : car il faut bien continuer à draguer de jeunes écervelés pour son projet de guerre totale. Ces spots jouent, eux aussi, sur la corde sensible, mais pour essayer de retenir les adolescents près de leurs parents. Car la guerre n’est pas un jeu vidéo et dans celle qui se déroule  en Syrie, il n’y a pas de place pour les amateurs, quelle que soit leur religion. Une bonne initiative qui, néanmoins, arrive un peu tard sur nos écrans.   

 

Turquie : 97 morts et plusieurs centaines de blessés : c’est le terrible bilan de l’attentat du 10 octobre à Ankara, deux kamikazes s’étant fait sauter dans une foule de manifestants pacifiques. Si la filière kurde a été écartée (car trop invraisemblable), la piste de Daesh a les faveurs du pouvoir. Mais beaucoup, parmi les opposants au régime Erdogan, pensent qu’il ne serait pas tout à fait étranger à l’affaire, surtout à l’approche des législatives. Naturellement, le gouvernement a restreint un peu plus les libertés civiles, tout en proclamant trois jours de deuil national. On imagine quel séisme politique aurait entrainé en France un attentat d’une telle ampleur.

 

Stone : on a cru, un moment, à une vengeance terroriste, mais il s’agissait, en fait, d’une de ces rixes tragiquement banales qui ensanglantent la vie nocturne ici ou ailleurs. En l’occurrence, c’est à Sacramento (Californie) que Spencer Stone a encore fait montre d’un courage exemplaire en se portant seul au secours d’une jeune femme agressée par une bande de voyous. Moins de deux mois après son geste héroïque dans le Thalys Amsterdam-Paris, il retourne donc à l’hôpital en urgence, ayant encore reçu plusieurs coups de couteau. Voilà une année que le jeune américain n’est pas près d’oublier. Nous non plus, nous ne l’oublions pas. Car si un homme doit être distingué héros de 2015, c’est bien lui.

 

 

                   Erik PANIZZA

14/08/2015

Carton rouge

 

 

                                 

 

 Longtemps les sorties intempestives et la gouaille populaire de Nadine Morano ont fait les choux gras des humoristes. Avec la défaite de son parti en 2012, elle s’était faite plus discrète, se recentrant sur ses mandats politiques. Et puis, la maturité aidant, on voulait croire qu’elle pèserait davantage ses propos. Las ! Sa dernière intervention publique à propos des migrants a largement prouvé qu’il n’en était rien. Tout est parti d’une déclaration de Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris, qui proposait de réquisitionner des bâtiments désaffectés pour y loger une prochaine vague de migrants subsahariens. Déchainement sur Facebook, dès le 4 août, de l’ex-secrétaire d’état – à la famille et à la solidarité ! -  de Nicolas Sarkozy. Pour elle, ce serait « un appel d’air des socialistes à l’immigration illégale », avec à la clé des avantages sociaux « payés par ceux qui travaillent ». Et d’enchainer sur la saleté des rues de Paris, pleines de SDF et de matelas qui s’étalent sur les trottoirs. Pour terminer par la proposition de « réquisitionner les avions d’Air-France pour expulser tous les déboutés du droit d’asile ». Le lendemain, sur Europe 1, elle brocardait les migrants qui fuient leurs pays, alors qu’ils feraient mieux d’y rester pour se battre. Et de conclure ainsi : « Heureusement qu’on n’a pas fait pareil, nous, en 39-45 ou en 14. ». On reste pantois devant de telles inepties, de telles comparaisons historiques sans fondement émanant d’une élue de la République. Ne sait-elle pas, étant députée européenne, que la France n’accueille pas autant de migrants qu’elle le devrait, eu égard à la taille de son territoire et à sa situation au sein de l’U E ? Veut-elle ignorer les analyses économiques sérieuses qui toutes démontrent que l’immigration clandestine rapporte plus qu’elle ne coûte aux pays d’accueil ? Au-delà des statistiques, au-delà des clivages politiques, il y a tout simplement le facteur humain au cœur de cette polémique et le moins qu’on puisse dire, c’est que le degré d’empathie de Nadine Morano est très proche de zéro. Que des milliers de gens risquent la mort pour tenter simplement de survivre ailleurs, abandonnant tout ce qui faisait leur identité derrière eux, ne l’émeut pas mais, manifestement, l’exaspère. Elle ne peut s’imaginer un seul instant être à leur place. Mieux! Elle voit des envahisseurs et des terroristes potentiels là où il n’y a que des victimes de la misère et de la guerre, qui fuient pour la plupart les ravages causés par le fanatisme. Qu’on l’admette ou non, le monde ne cesse de changer sous nos yeux ébahis et les responsables politiques, de quelque bord qu’ils soient, doivent trouver des solutions pour des situations d’urgence. Sauf, sans doute, madame Morano dont l’indignité de ses récents propos montre bien qu’elle est mûre pour poursuivre sa carrière au Front National, comme l’avait pressenti dès 2012 cet imitateur audacieux qui l’avait piégée au téléphone.                       

 

                             Bruno DA CAPO

21/06/2012

Piégée

 

      

 

 

« Allo, madame Morano ? C’est Louis Aliot à l’appareil… »

A la voix rondement méridionale fait bientôt écho une voix féminine plus haut perchée : celle de la députée de Meurthe et Moselle, ex-ministre de Sarkozy. Celle-ci semble tout d’abord surprise que son interlocuteur ait pu se procurer son numéro personnel. Mais elle prend le temps d’écouter ses arguments :

« Je voulais savoir si on pouvait trouver un accord…Je pense que nous avons des intérêts communs…N’est-ce pas que Marine Le Pen a beaucoup de talent ? »

A chacune de ses affirmations, Nadine Morano acquiesce poliment. On la sent sur la même ligne politique que le leader lepéniste. A ceci près – car elle finit par réagir – qu’elle a envie d’une France ouverte, même protégée. Elle n’oublie pas, en effet, ses origines italiennes ni la volonté d’intégration républicaine de son grand-père maternel. Alors oui, un échange de points de vues avec le FN dans quelques temps, pourquoi pas ? Ce petit dialogue amical et instructif prend fin au bout de quelques minutes, la députée UMP devant poursuivre sa tournée de campagne : nous sommes à trois jours du second tour des législatives. Le hic, c’est que – Nadine Morano va vite l’apprendre -, ce n’était pas  Louis Aliot qui l’appelait et l’invitait à pactiser avec le FN, mais l’humoriste Gérald Dahan – lequel a plus d’une voix d’homme politique à ses cordes (vocales). Fureur de l’ex-ministre lorsqu’elle réalise qu’elle a été piégée. Certainement, selon elle, un coup des socialistes. Et de déclarer sur le champ porter plainte contre l’habile imitateur. L’affaire ne manque pas de saveur. Elle dit en substance que le vieux proverbe « prêcher le faux pour savoir le vrai » n’a rien perdu de sa pertinence. Mais elle pose aussi des problèmes éthiques : jusqu’où les humoristes peuvent-ils aller pour faire rire ? Peut-on susciter ou capter  une conversation privée pour la diffuser dans les médias ? Car un canular n’est pas innocent ; il peut sérieusement effriter une réputation, surtout quand celle-ci est déjà vacillante. Cette façon de rire aux dépens d’autrui n’est certes pas nouvelle. Les époques passées ne manquaient pas d’imagination en ce domaine. Mais cette drôle d’histoire n’en est pas moins révélatrice de la dérive, de plus en plus accélérée, entre le showbiz et la politique. Laquelle a bien plus à perdre que le premier dans cette tectonique  des talents. Sous cet angle-là, la réaction de Nadine Morano est parfaitement compréhensible et justifiée. Mais il est vrai aussi qu’elle a, par ses outrances verbales passées, fourni elle-même les verges pour se faire battre.

 

                                Erik PANIZZA

17:25 Publié dans numéro 10 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : morano, aliot, dahan, canular