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10/09/2012

La démocratie des sondages

 


 

L’opinion pèse lourd aujourd’hui sur l’action gouvernementale au point que même le Président ne peut négliger les sondages. C’est ce qui semble être arrivé durant l’été à notre tout nouveau gouvernement socialiste. Durant le quinquennat de Sarkozy, l’Elysée se shootait aux sondages ; on voulait tout savoir à tout moment de ce que pensaient les citoyens. Par mimétisme, comme gavé de sondages, Sarkozy même avait fini par nous parler comme on commente au café du Commerce. C’était à s’y méprendre le gars du coin, accoudé au comptoir, prêt à boxer qui le cherchait. L’équipe Hollande a cru  s’abstenir de commandes de sondages : mal lui en a pris. Le Président en chute libre, une rentrée contestée, quelques bévues ici ou là, flou artistique dans les propos : il a fallu dare-dare monter au créneau TF1 pour recadrer les choses. Ouf, c’est fait ! Mais pour combien de temps ? On semble être tombé (cela depuis longtemps déjà) dans une démocratie qui ne fonctionne qu’en tenant compte de l’opinion. Une démocratie avançant par à-coups, selon les sautes d’humeur de nos concitoyens. Mais l’opinion a-t-elle toujours raison ? Et un gouvernement doit-il suivre à tout coup l’opinion générale ? Oui, au risque de devenir impopulaire, et donc de ne pouvoir mener l’action gouvernementale pour laquelle il a été justement nommé. Non, s’il juge que le bien du pays transcende les caprices de l’opinion. On voit combien le fil est très infime, qu’à tout moment l’équilibriste peut tomber. C’est peut-être là que nous frayons avec ce que Debord nommait société du spectacle. Les Jeux du cirque voulaient que les vaincus soient mis à mort. Et maintenant on veut que notre équilibriste crève l’écran, qu’il nous rassure ou nous convainque, avec l’arrière pensée – humaine, trop humaine - qu’à tout moment il puisse chuter. Du coup, la forme l’emporte sur le fond. Peut-être n’y a-t-il plus de fond puisque l’on doit communiquer. Dans cette logique, je crains qu’Hollande n’en sorte pas grandi, quelle que soit l’ambition qui semble l’habiter de restaurer les vraies valeurs de solidarité et de partage nécessaires au pays.


                                           Yves CARCHON

 


01/02/2010

Sarkozy parle aux Français

Il est arrivé, l’air narquois, sur le plateau de Jean-Pierre Pernod vers 20H45 après avoir causé avec Laurence Ferrari des affaires du moment (dont, bien sûr, celle d’Henri Proglio). Le JT de TF1 : une sorte d’échauffement télévisuel pour lui permettre d’affronter les questions de 11 Français triés sur le volet. De la chômeuse diplômée au retraité besogneux, en passant par le patron de PME et le suppléant de l’Education Nationale, ils composaient un spectre assez représentatif de la société française actuelle. Et tous, évidemment, avaient des doléances spécifiques qu’ils allaient enfin pouvoir soumettre, en direct et en personne, à notre super-président. Sarkozy à TF1, c’est un peu Saint-Louis rendant la justice sous son arbre. Après presque trois ans de règne, le monarque républicain a eu le temps de peaufiner sa technique de communication et offre volontiers une image d’équanimité, aux antipodes de l’arrogance et de l’autoritarisme du candidat qu’il fut naguère. Il se contrôle et écoute paternellement ses interlocuteurs, même ceux qui le contestent ouvertement, comme Pierre, l’ouvrier syndicaliste de Renault. Mais, au fond, il n’a pas changé. Quelles que soient les questions, il a une réponse toute prête selon un schéma discursif en trois temps : d’abord déplorer, ensuite conforter en rappelant tout ce qu’il a fait, enfin annoncer tout ce qui reste à faire et qu’il va faire, évidemment, d’ici la fin de son mandat. Les promesses, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui les écoutent.

Au delà de son exercice bien rodé d’auto-satisfaction et de son temps de parole toujours en inflation (encore une heure de plus, ce soir ; c’est « Joséphine, ange gardien » qui paiera la note), que lui reprochent toutes ces voix discordantes qui s’élèvent à la moindre de ses apparitions? De ne pas faire ses courses au supermarché ? Noblesse oblige. D’aimer davantage les patrons que les ouvriers ? On ne se refait pas à 55 ans. De préférer l’augmentation du temps de travail à sa redistribution proportionnelle ? Ah, ses diatribes récurrentes contre les 35 heures ! Ou peut-être, tout simplement, de ne pas avoir les moyens de ses ambitions. Contre toute attente, sur le plateau, le témoignage le plus embarrassant pour lui est venu de Bernadette, la timide employée de grande surface. Sans nommer ouvertement – on n’est jamais trop prudent – son employeur, elle a avoué avoir demandé plusieurs fois des heures supplémentaires – ces fameuses heures supplémentaires détaxées pour les patrons – et, chaque fois, elle a essuyé un refus de sa direction, au motif qu’il n’y avait pas assez de travail. Et notre bon président de prendre un air étonné : « Comment est-ce possible, madame ? Je vais aller lui tirer les oreilles. ». Quand on vous disait, voici trois ans, que c’était de la poudre aux yeux…

Erik PANIZZA

31/10/2009

Sexe, mensonges et politique



La recette est connue depuis longtemps. Prenez un homme politique en vue, dénichez dans sa vie une zone d’ombre – une maîtresse ou un amant douteux -, faites cuire le tout dans une sauce médiatique pleine d’indignation vertueuse et vous aurez rapidement l’un de ces croustillants scandales dont la société moderne est si friande. Et les commères de renchérir un peu partout :
« Tous des tordus, ma bonne dame. Dire que ce sont des gens comme ça qui nous gouvernent. Quelle époque ! »
Un préjugé idiot voudrait, en effet, que dans notre république, nos dirigeants soient impeccables, qu’ils donnent  l’exemple à leurs administrés. Mais la nature humaine étant ce qu’elle est, cela est bien sûr impossible. Dans leur ensemble, les hommes politiques ne sont  pas meilleurs que nous, les obscurs, les sans-grades ; ils ne sont pas pires, non plus ;  ils sont surtout plus exposés. Et la vérité finit toujours par sortir du puits où l’on croyait l’avoir enfouie.
Le dernier en date à avoir subi ce climat délétère est notre actuel Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Un nom plutôt difficile à porter quand on est membre d’un gouvernement de droite. Certains diraient même que ça sonne faux.  Nous ne reviendrons pas ici sur l’ironie de sa nomination, rue de Valois. Contentons-nous de rester au plus près des mécanismes qui ont abouti à le mettre dans cette inconfortable posture. Il y a d’abord l’affaire Polanski et son soutien chaleureux au cinéaste rattrapé par son sulfureux passé. Qui s’assemble se ressemble : pour le populo et sa nouvelle égérie, Marine Le Pen, ça ne fait pas de doute. Un violeur et un homo (il ne s’en est jamais caché). Entre eux, le trait d’union pourrait bien être la pédophilie, ce vice suprême. Sinon, qu’est-ce qu’il irait faire en Thaïlande, le « neveu » ? Des randonnées sur les îles volcaniques ? Tous des pervers. D’ailleurs, prenez et lisez. Car Frédéric Mitterrand écrit des livres. Pas que des livres sur les étoiles du cinéma mais des récits, de véritables tranches de vie – la sienne – où, dans un style alerte et riche en détails, il révèle complaisamment ses turpitudes personnelles. Non sans une forme de résipiscence, entre délices et regrets, comme autrefois Marcel Jouhandeau et quelques autres de sa « secte ». Un titre comme « La mauvaise vie » ne résonne t’il pas comme une excuse préalable ? Voilà son talon d’Achille. En soi ce n’est pas une faute, mais ça peut être une faiblesse quand on accepte des responsabilités ministérielles. Car sur ce versant Frédéric Mitterrand est, bien sûr, inattaquable. Et pour cause ! Il n’a encore rien fait. Et les calomnies du FN de faire leur bonhomme de chemin, relayées, amplifiées par les porte-voix socialistes. Le voici sur la sellette. Trop, c’est trop ! Il va lui falloir s’expliquer pour endiguer ce torrent de fiel. Où ça ? Sur TF1, bien sûr, la nouvelle « voix de son maître », à l’heure fatidique du JT de 20 heures. Une gageure. Il va d’ailleurs faire mieux que lui en audience. Huit millions de téléspectateurs haletants (j’en étais), les yeux exorbités dans l’attente de sa confession : qui dit mieux ?

Il n’empêche. Devoir faire la preuve de sa bonne foi devant les caméras n’a rien d’un petit exercice de santé. Face à lui, il a pour interlocutrice la grande prêtresse de l’information pré-digérée, Laurence Ferrari elle-même (d’accord, il y a pire en matière d’inquisition). Mais la blonde présentatrice prend très à cœur son nouveau rôle de procureur. Elle n’a pas l’intention de se laisser mener par le bout de son joli nez. Et de revenir plusieurs fois à l’assaut :
« Monsieur Mitterrand, avez-vous eu, oui ou non, des relations tarifiées avec des garçons mineurs ? » 
L’aplomb de Frédéric Mitterrand face à son insistance baveuse force l’admiration. Manifestement, il s’est bien préparé à l’épreuve. L’avocat que fut  son oncle parle en lui. Du grand art. Tour à tour repentant et péremptoire, les yeux baissés ou dominateurs, il entend avec tout le bagout dont il dispose faire la preuve éclatante de sa sincérité. Et montrer, au passage, qui est le maître ici.
« Oui, j’ai eu des rapports tarifiés avec des garçons thaïlandais. Mais c’étaient des hommes sensiblement du même âge que moi. Enfin, Laurence Ferrari, je sais faire la différence entre un boxeur de 40 ans et un jeune adolescent. »
De cela nous n’en doutons point. Au fait, vous en connaissez, vous, des boxeurs de 40 ans qui font la retape ? A Bangkok comme à Paris, les garçons de passe sont, en général, chômeurs ou étudiants. Ils sont peut-être majeurs mais n’ont guère plus de 20 ans. Normal : sur ce marché, les amateurs recherchent avant tout la chair fraîche. La différence est, bien entendu, dans les tarifs pratiqués d’un continent à l’autre.  C’est sans doute de bonne guerre mais la vérité que clame Frédéric Mitterrand, face à Laurence Ferrari et aux téléspectateurs, est néanmoins  mâtinée de mensonge. Ce n’est pas exactement la vérité relatée dans les pages de son récit. Où l’on peut lire sans équivoque, qu’il aime lui aussi la chair fraîche : pas des enfants, non, mais quand même de jeunes hommes. En soi, ce n’est ni mal ni bien. Il est autrement plus navrant – sinon ridicule - de condamner le tourisme sexuel quand on est soi-même client. Conclure un plaidoyer  aussi courageux et brillant par une note aigre de conformisme, quel gâchis! Mais n’est-ce pas ce que l’on appelle vulgairement saisir la balle au bond ? 
Finalement,  quelle morale peut-on tirer de cette affaire assez lamentable ? Sans doute que le vrai scandale n’est pas celui que l’on voulait nous faire croire. Le vrai scandale, c’est la bassesse de la vie politique française, tous partis confondus. Elle ne vaut pas mieux que celle américaine qui, quelques dix années plus tôt, se déchaîna contre un président progressiste, au motif que celui-ci s’était fait tailler une pipe par une stagiaire visiblement énamourée. Le vrai scandale, c’est de juger un homme politique sur ses mœurs (ou sur son allure physique) plutôt que sur son action publique. Mais la France n’est heureusement pas l’Amérique. Le puritanisme y a un terreau moins ancien et moins vivace que le libertinage. Quand tout cela aura refroidi, quand la pâte du soufflet aura retombé, Frédéric Mitterrand regardera peut-être comme une chance la mésaventure qui lui est arrivée. Provoquer une tempête  avec un livre : quel privilège de nos jours ! Encore fallait-il, pour en subir la rançon, disposer déjà d’un capital de notoriété.




Jacques LUCCHESI