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28/11/2013

La chanson des vieux amants

Agés chacun de 86 ans, Bernard et Georgette ont été retrouvés morts, couchés dans un lit, main dans la main, dans une chambre du Lutetia à Paris. Apparemment, ils se seraient donné la mort par asphyxie. Ils s’étaient rencontrés à Bordeaux après la guerre. Un couple d’intellectuels : lui, haut fonctionnaire, économiste et philosophe, elle, prof de lettres et de latin et auteur de livres scolaires. Ils vivaient en région parisienne. Le geste – ou la geste – de nos deux octogénaires est bien sûr à replacer dans l’immense et difficile débat sur le droit à mourir dans la dignité. Bernard et Georgette ont laissé deux courriers pour expliquer leur geste : un au Procureur de la République et un à leur famille. Dans un des courriers de Georgette, elle dit sa fureur de « n’avoir pu partir sereinement, la loi ne permettant pas d’accéder à une mort douce ». Tout est dit dans ces quelques mots, simples et terribles. Nos autorités compétentes devraient bien s’inspirer de la tranquille détermination de nos deux octogénaires. Cette mort, on le voit bien, ne saurait être assimilée à un suicide. Cela semble s’apparenter à une ultime protestation. On pense à la paisible sérénité d’un Socrate, à la superbe des Stoïciens. Cela n’aura sans doute pas échappé à Bernard et Georgette. Et puis, surtout, il y a l’amour démesuré de ces deux là, qui ne suscite qu’une splendide sidération mêlée d’admiration, qu’élévation dans la beauté face à l’immense chagrin qui nous accable : le malheur d’être né. Gageons que nos amants gambadent désormais dans les verts pâturages avec des livres sous les bras et une fleur aux lèvres.

 

                                                 Yves CARCHON

04/03/2013

Immolations

 


 

 

  Le caractère protestataire des suicides publics par inflammation n’est plus à démontrer depuis longtemps. Il s’agit, coute que coute, de marquer les esprits par un geste spectaculaire. De tous ceux que l’indignation a poussés vers ce choix extrême, le cas le plus célèbre demeure encore l’étudiant tchèque Ian Palach, en janvier 1969, après la répression soviétique qui suivit « le printemps de Prague », un an plus tôt. Que ce moyen – effroyable - d’en finir avec la vie puisse trouver encore des adeptes dans la France de 2013 laisse néanmoins pantois. C’est pourtant ce que nous a montré l’actualité de ces dernières semaines, la cause en étant chaque fois la misère, matérielle ou morale, voire les deux à la fois. A Nantes, c’est un chômeur de 42 ans qui s’est immolé par le feu devant son ANPE. L’homme était seul, en fin de droits et – comble de la bêtise administrative ! -  Pôle Emploi lui réclamait en plus le remboursement d’une somme censément trop perçue. Le malheureux a succombé à ses brûlures. Deux jours plus tard, à Saint-Ouen (93), c’est un autre chômeur en fin de droits qui a voulu, lui aussi, mourir de la sorte. Malgré quelques brûlures sérieuses, il a pu être sauvé. A La Rochelle, le 15 février dernier, c’est un lycéen exaspéré de 16 ans qui s’est aspergé d’essence et a allumé un briquet. Lui aussi s’en est tiré, grâce à l’intervention rapide d’autres élèves. Voulait-il vraiment mourir ? Non, sans doute, mais attirer l’attention sur lui et les souffrances qu’il endurait : c’étaient elles qui devaient cesser. Aussi différents soient-ils, ces trois cas font ressortir la part de la société dans la pulsion suicidaire. C’est elle qui est directement mise en cause, à quelque niveau que s’exercent ses pressions. On peut aussi parler d’un geste politique car le mal-être vécu par ces personnes à bout de nerfs est aussi la conséquence de certains  choix gouvernementaux. Ceux qui, à gauche, proposent aujourd’hui de taxer les allocations familiales et les revenus du chômage pour réduire le déficit de nôtre pays devraient y réfléchir à deux fois : car leurs mesures restrictives pourraient bien produire d’autres candidats à l’incandescence suicidaire et l’on ne manquera pas de le leur reprocher. Une façon de signifier littéralement au monde son « burn-out. Car ici, malgré tout, le suicide dénonce plus l’injustice faite à un homme que celle subie par un peuple tout entier.

 

                               Bruno DA CAPO

15:05 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inflammation, suicide, palach, anpe