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13/01/2015

Le sursaut républicain

 

 

 Ah ! On s’en souviendra longtemps de ce dimanche 11 janvier 2015.  De mémoire de citoyen, on n’avait jamais vu une telle vague républicaine en France depuis la Libération. A Paris, mais aussi dans la plupart des villes françaises, les gens avaient envahi les rues pour clamer, toutes différences confondues, leur rejet du fanatisme et de l’intolérance, donnant un sens nouveau à notre devise nationale. Au total, plus de 4 millions de personnes animées par le même désir de vivre ensemble et dont les slogans inventifs affichaient un idéal commun de paix et de liberté. Oui, qui aurait pu imaginer, une semaine auparavant, que quarante sept chefs d’état avanceraient au coude à coude pour manifester leur soutien aux valeurs démocratiques ?  Qui aurait pu imaginer la suspension, même momentanée, des clivages politiques les plus féroces ? Sarkozy souriant à Hollande, Mahmoud Abbas main dans la main avec Benjamin Netanyahou sur le perron de l’Elysée. Un tel unanimisme était presque trop beau pour y croire : et pourtant…Car ce tableau irénique a sa créance de sang. Vingt vies humaines supprimées en trois jours, dix-sept victimes innocentes et trois bourreaux. Jamais les frères Kouachi et Amedy Coulibaly n’auraient cru, en accomplissant leur œuvre de mort et de division, qu’ils susciteraient une telle réaction de solidarité chez le peuple français et  dans l’opinion internationale. Les Français sont ainsi : grognons  et égoïstes dans la vie ordinaire, les épreuves réveillent leur fierté et renforcent leur sens profond de la liberté. Pour une journée – mais il y a des journées qui valent en intensité des années -, la France a été une fois de plus  au centre du monde. Ce qui constitue, au passage, un sacré camouflet à tous ceux qui nous bassinent avec son déclin et sa perte d’aura. Encore que dans cette affaire, l’ironie suprême aura été  la quasi panthéonisation de Charlie Hebdo, journal par vocation opposé à tous les pouvoirs. Une telle récupération vaut son pesant d’or et Charlie en profitera sûrement. Mais ce sera toujours avec le deuil de ses meilleures signatures.

Le problème est, à présent, de savoir si cet enthousiasme collectif  entrainera des modifications durables dans les comportements des uns et des autres. Ou s’il va retomber comme un soufflet et céder de nouveau le pas aux affrontements inter-communautaires (comme l’espèrent les stratèges du terrorisme). D’ores et déjà, tous les dispositifs de sécurité sont au rouge. Avec un accent particulier mis sur les prisons et l’école, creuset de refus précoce des valeurs républicaines. Ce qui s’est passé ne doit plus se reproduire, même si la menace demeure réelle. La fête est finie et il y a des lendemains qui déchantent, nous ne le savons que trop. Des libertés civiles risquent d’être bousculées dans ce contexte. Car  l’état de grâce ne peut jamais devenir un principe de gouvernance.

 

                                          Bruno DA CAPO

18/04/2012

Slogans

 

 

                               

 

 

 Les affiches électorales qui refleurissent sur nos murs, en ce printemps 2012, sont aussi l’occasion de méditer un peu  le sens et la valeur des slogans. Qu’est-ce qu’un slogan ? Une formule brève et précise – donc mûrement réfléchie -, fruit de méthodes publicitaires appliquées au champ politique. Il s’agit, avec elles, de faire désirer un candidat et son programme en aval. Car ce message emblématique résumé en quelques mots s’adresse davantage  aux sentiments qu’à l’intellect. S’il évoque le concept, ce n’est que par sa forme  car il n’est, en son cœur, qu’affectivité. Pour ce qui concerne les dix candidats en lice pour ce premier tour des présidentielles, trois au moins se revendiquent ouvertement de la France. Oui, mais de quelle France ? Car entre eux, les différences sont sensibles. Nicolas Sarkozy se fait ainsi le héraut de « la France forte ». Le message qui s’en dégage s’entend au moins à deux niveaux. Sur le plan intérieur, c’est la garantie d’une sécurité renforcée sous son égide. A l’extérieur de nos frontières, c’est la promesse renouvelée d’affronter – et de maîtriser ? - les turbulences économiques dans la zone euro. Avec lui, on est plongé dans un état de guerre permanent et, forcément, cela relègue au second plan des attentes sociales tout aussi légitimes. A l’opposé, François Bayrou mise sur « la France solidaire ». Par là, il renoue implicitement avec l’un des fondamentaux de notre république : la fraternité. On est un peu surpris par la dimension « gauchisante » de son slogan (mais Hollande, après tout, s’est emparé du changement). Homme de droite, Bayrou semble ainsi ressusciter la formule qui avait fait le succès de Giscard, voici près de quarante ans, à savoir que « la gauche n’a pas le monopole du cœur ». Dans son bord politique, il y a plusieurs familles et la sienne, assurément, n’est pas celle de Sarkozy. C’est ce qu’il entend signifier, pour le moment, à l’opinion publique car, à l’issue du 22 avril, il n’est pas impossible que l’union se reforme entre ces frères ennemis. Quant à Nicolas Dupont-Aignan, il se projette en leader de « la France libre ». La formule résonne, bien sûr, comme un hommage à De gaulle dont il n’a cessé de se réclamer. Mais nous ne sommes plus en 1940 et, dans le contexte actuel, elle fait davantage sourire que vibrer aux mannes de la patrie. Certes, les concessions que doit faire chaque état membre aux institutions européennes peuvent être ressenties comme une nouvelle forme de joug. Vouloir le secouer au motif d’une souveraineté sans partage est sans doute pêcher par excès de pessimisme ; c’est, comme on dit, voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein. Quoiqu’il en soit, il se réfère – et accapare – à un autre pilier républicain : la liberté.

A travers ces trois visions de la France, on mesure toute la difficulté d’une synthèse programmatique. Il faut quand même noter que, des trois, c’est encore la première – celle de Sarkozy – qui s’écarte le plus de l’idéal républicain.

 

                           Bruno DA CAPO

09/09/2011

Militer : pour quoi, pour qui ?




Si l’âge adulte passe pour être celui de la résignation aux réalités basiques de la vie, la jeunesse, en revanche, a toujours incarné l’espoir en un monde meilleur, fut-ce au prix de sa transformation violente et de maints sacrifices personnels. Quoi de plus compréhensible, à 20 ans, que de vouloir participer à l’élaboration d’un avenir plus radieux ? Quoi de plus naturel que de vouloir partager avec les autres les fruits d’un changement forcément mélioratif ? Cet enthousiasme généreux se canalisait jusqu’à présent dans l’adhésion aux programmes des partis de gauche. C’étaient eux qui portaient alors les valeurs innovantes, la croyance au progrès social et ils s’appuyaient, pour une bonne part, sur la jeunesse de leurs militants. Mais, en ce domaine, la donne a sensiblement changé et il faut aussi compter avec le militantisme de droite. Nous savons par quels arguments rétrogrades et vindicatifs le Front National peut séduire une (petite) partie de la jeunesse française. Mais quid de l’UMP ? Quelle espérance, quelle vision de l’avenir est soutenue par ce parti pour exercer un attrait sur tous ceux qui, à peine sortis de l’adolescence, s’y sont encartés ces dernières années ? Il n’y a pas, en effet, de formation politique plus étrangère à l’utopie, plus terne et plus axée sur les réalités platement matérielles du monde que celle-ci. Tout le contraire, en principe, de ce qui devrait séduire et mobiliser une jeunesse soucieuse de tracer son sillon. A moins que cet engagement – hypothèse plausible mais ô combien décevante – ne soit dicté que par le souci égoïste et opportuniste de se rapprocher, à travers ce parti présentement majoritaire, des premiers cercles du pouvoir, pour bénéficier un peu de ses divers rogatons. Quoi qu’il en soit, des jeunes, il y en avait pour son université d’été qui s’est tenue à Marseille, les 2, 3 et 4 septembre derniers, dans l’enceinte du Parc Chanot ( où l’on ne pouvait entrer sans montrer sa petite carte). Des jeunes venus par cars entiers de toute la France pour voir et écouter leurs leaders – d’ailleurs bien divisés – débattre interminablement de la crise et des prochaines élections présidentielles, non sans écornifler au passage leurs adversaires socialistes. Et tous, des plus obscurs aux plus connus, de proclamer finalement leur allégeance à l’homme providentiel, le seul qui puisse aider la France à traverser cette période agitée, j’ai nommé l’actuel locataire de l’Elysée qui était d’ailleurs significativement absent de ces rencontres.

Parmi tous les slogans qui fleurissaient sur les tee-shirts et les calicots de cette sémillante jeunesse, l’un a particulièrement capté mon attention. Sur le tricot rouge porté par une jeune Bretonne s’étalaient les mots suivants : « militant de la liberté ». Devant quoi, je dois dire que je me suis retenu de rire, tellement l’absurdité de cette proposition m’apparaissait évidente. Car comment associer la défense de la liberté à un parti qui, depuis dix ans, n’a cessé de réduire les libertés publiques et individuelles en France ? Un parti dont les dirigeants ont systématiquement sacrifiés les Droits de l’Homme sous le rouleau compresseur de l’économie mondialisée. Un parti qui a, à maintes reprises, tenté de bâillonner la presse chaque fois qu’elle menaçait ses intérêts. Est-ce que cette jeune personne ignorait tous les crocs-en-jambes que son cher parti a pu faire à cette vieille dame répondant au beau nom de Liberté ? Sans doute car, autrement, comment aurait-elle pu véhiculer avec autant de désinvolture un tel slogan ? Dans les années 70, Jean Ferrat se demandait en chantant « ce qui peut justifier en notre temps/ un jeune républicain indépendant ». Et moi, je me demande, en 2011, ce qui peut justifier un jeune militant de l’UMP dans le paysage politique français.


Erik PANIZZA